Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des finances, Claude Raynal, qui a demandé au mois de janvier dernier à la Cour des comptes une enquête sur les finances locales. Les conclusions nous ont été présentées la semaine dernière et elles nous permettent aujourd’hui de prendre un peu de hauteur dans ce débat.
Car, derrière ce débat, nous touchons aux principes les plus structurants de l’organisation de notre République. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les collectivités territoriales ont pris une place prépondérante dans cette organisation. Notre Constitution reconnaît désormais la décentralisation comme l’un de ses principes fondateurs et consacre le caractère prioritaire de l’action des collectivités et le principe de subsidiarité.
C’est ainsi que la question du financement des collectivités territoriales devient fondamentale pour l’efficacité de l’action publique et pour l’égalité entre les territoires et entre les citoyens. Au fond, nous ne pouvons pas dissocier la question du financement de celle des compétences.
Le Premier président de la Cour des comptes a rappelé la semaine dernière que le système de financement des collectivités est à bout de souffle, qu’il est illisible et imprévisible, mais aussi que les inégalités se creusent entre certains territoires.
Et ce n’est pas un fait nouveau ! Il y a treize ans, la Cour faisait le bilan des réformes territoriales. L’enchevêtrement des compétences qu’elle relevait alors préfigurait la sédimentation budgétaire que nous constatons aujourd’hui et l’essoufflement du modèle de financement.
L’introduction de la clause de compétence générale a conduit à accélérer ce processus. Les transferts ont été réalisés de façon désordonnée et par à-coups.
La cacophonie budgétaire est souvent la conséquence des hésitations ou des tergiversations du législateur et des changements de doctrine de l’administration.
On finance par prélèvement sur les recettes de l’État l’affectation d’une nouvelle compétence, puis on prévoit une rétrocompensation quelques années plus tard, quand la compétence est affectée ailleurs. À la fin, plus personne ne s’y retrouve !
Il y a treize ans, la Cour des comptes rappelait que la nouvelle phase de décentralisation lancée en 2003 aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ. Mais déjà l’échec était flagrant aux yeux de la Cour. Les gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédé ont échoué. Treize ans plus tard, le constat sur les finances locales rejoint celui qui est posé sur les compétences.
Alors, si nous voulons débattre de ce sujet, il nous faut nous mettre d’accord sur le constat. Je me contenterai de rappeler les éléments présentés la semaine dernière par la Cour.
Les collectivités locales ont connu un excédent de 4, 7 milliards d’euros à la fin de l’année 2021 en raison d’une dynamique des recettes très supérieure à celle des dépenses. C’est une situation qui contraste très nettement avec celle des autres administrations publiques. Et la crise sanitaire a renforcé cet écart.
En 2021, l’État porte la quasi-totalité du déficit – 89 % –, alors que les collectivités locales sont en excédent. C’est la conséquence d’un fort soutien de l’État tout au long de la crise, mais également des réformes successives de la fiscalité locale, compensées par des ressources pérennes et dynamiques.
Mais ne nous y trompons pas : derrière cette question, nous sommes face à un véritable choix de doctrine, qui devra intervenir dans les années qui viennent. Et les scénarios de la Cour permettent d’en peser les conséquences.
La liberté qui va avec le levier de fiscalité locale s’accompagne nécessairement d’un recul de l’État dans son rôle de garant de la stabilité des ressources des collectivités. Nous devrons donc faire des choix.
Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, affirmait déjà : « Considérer qu’il est trois acteurs autonomes, de même niveau, l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales, n’est pas réaliste. En réalité, l’État est le seul maître du jeu. Car, précisément, il fixe les règles du jeu. Les finances publiques sont un tout, et l’État porte la responsabilité pleine et entière de leur évolution. »
Pour nous, parlementaires, élus locaux et citoyens, cela signifie trois choses.
La première, c’est que dans un contexte de contrainte forte sur nos finances publiques, chacun doit prendre sa part au rétablissement des comptes de la Nation. Et toute réforme des finances locales devra prendre en compte ce juste équilibre entre l’État et les collectivités locales dans la réduction du déficit. Élus de nos territoires, nous ne devons jamais oublier la responsabilité collective qui nous incombe s’agissant des finances de la Nation.
La deuxième, et c’est ce qu’affirmait le Premier président, toute réforme d’ampleur devra se faire en concertation avec les élus. Cela nous oblige à laisser de côté nos querelles du moment pour discuter avec responsabilité du juste niveau d’organisation et de l’adéquation des ressources aux besoins.
Là encore, le rapport de 2009 est sans appel sur les échecs du passé. Pour atteindre une véritable péréquation, il aurait fallu accepter de remettre en cause certaines situations acquises, mais cela n’a pas été fait. Et, je cite le Premier président, à l’époque, « l’objectif de péréquation est resté secondaire ».
Dans ce contexte, et tributaire des erreurs du passé, le projet de loi de finances pour 2023 apporte la seule réponse possible sans recourir à une réforme radicale. Je pense à l’annonce par la Première ministre de l’augmentation de la DGF pour compenser les variations à la baisse qu’aurait pu entraîner la péréquation – Mme la ministre vient de nous confirmer cette annonce. Il s’agissait de trouver la solution la plus équilibrée pour compenser les variations annuelles et préserver nos collectivités sans peser trop lourdement sur nos finances publiques.
La troisième enfin, c’est que nous devons accepter de revoir en profondeur le système de péréquation pour mettre fin aux inégalités de destin et rétablir l’égalité entre les territoires. Je cite de nouveau le Premier président dans sa présentation de 2009 : « La République, c’est la solidarité nationale et il ne faudrait pas que la décentralisation devienne l’alibi de son affaiblissement ».
La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. La question qui doit dès lors nous occuper est celle de l’équilibre entre le principe d’autonomie financière consacré dans la Constitution, l’équité, la cohésion entre les territoires et la responsabilité de chacun du point de vue de nos finances publiques.