Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les finances locales intervient dans un climat de défiance réciproque entre l’État tutélaire et des collectivités asphyxiées par la hausse de leurs coûts de fonctionnement. L’énergie, les denrées alimentaires, la revalorisation du point d’indice et la hausse du coût des matériaux menacent directement les projets d’investissement.
La colère des maires est partout, nous la soutenons, et se heurte à des préfets démunis. Les garants de la puissance publique dans les territoires sont sans solution. Le Gouvernement invite les collectivités à la sobriété, mais il est temps de prendre la mesure des responsabilités.
La sobriété, mais pour qui ? Il est paradoxal que la relance de l’économie soit mise à mal par des mécanismes de marché déraisonnés, alors que les collectivités sont les premiers investisseurs publics français. Ce paradoxe est entretenu par une relation financière et politique insincère entre l’État et la démocratie locale.
Les élus communaux, plus que jamais, les conseillers départementaux et régionaux consacrent le plus clair de leur temps à quémander leur dû à l’État, à quémander des dotations qui ne viennent pas.
Ce phénomène s’est accru à cause du démantèlement de la fiscalité locale mis en œuvre au cours du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron.
La suppression de la taxe d’habitation pour l’ensemble des Français a marqué une première atteinte, grave, à l’autonomie fiscale des collectivités. La baisse des impôts dits de production en est une deuxième, à laquelle vient s’ajouter la suppression totale de la CVAE sur les deux prochaines années.
Ces deux réformes ont affaibli en même temps l’État et les collectivités locales, mais aussi, et surtout, la relation entre le citoyen-contribuable, son territoire et l’activité économique.
Pis, les ménages, les travailleurs modestes en particulier, sont ceux qui financent des baisses d’impôts qu’ils ne payaient pas ! C’est une vérité, madame la ministre : alors que 93 % des ressources de TVA, assises principalement sur la consommation de tous les ménages et sur les entreprises de moins de dix salariés, étaient destinées à l’État en 2017, cette part a diminué pour atteindre 50, 6 % en 2021. Chaque année, ce sont donc 41 milliards d’euros qui échappent à l’État. Sans cette évaporation fiscale, le déficit du budget général serait déjà résorbé de près d’un tiers !
L’État procède à un transfert de fiscalité, tout en s’employant avec peu de succès à éponger sa dette sur le dos des collectivités territoriales. Nous ne le rappellerons jamais assez, elles sont toujours à l’équilibre, envers et contre tout : malgré les transferts de compétences, malgré les baisses de charges, malgré la disparition de la principale part de fiscalité économique. Ces renoncements sont ceux de gouvernements successifs. Pourquoi les PME et les travailleurs devraient-ils payer pour compenser cette forme de lâcheté ?
Cette accélération sans précédent de la quasi-disparition de l’autonomie fiscale des collectivités puise un début d’encouragement dans la loi de finances rectificative pour 1982, dans laquelle l’État a institué et pris en charge des allégements de la part salaire de la base de la taxe professionnelle. Ces allégements pour les ménages et sur la taxe professionnelle sont lourds de conséquences puisqu’ils sont compensés par l’État, qui devient dès lors le premier contribuable local.
La démocratie tourne sur elle-même, quand le contribuable perd de vue l’utilité de ses prélèvements sociaux et fiscaux. Dès 2010, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) relevait « une compatibilité de plus en plus compromise entre, d’une part, une évolution du dispositif par des aménagements à la marge, successifs et sédimentés, et d’autre part, les objectifs d’efficacité économique, de rendement budgétaire, d’équité sociale et d’acceptabilité politique ».
La situation que nous connaissons est l’aboutissement d’une logique qui conduit nos collectivités dans le mur. Elle ne peut faire que des perdants, dès lors que les collectivités constatent une décorrélation entre leurs charges et leur capacité budgétaire, fruit de compensations dépassées par l’évolution démographique, par une inflation qui érode en euros constants ces transferts et par des besoins sociaux et environnementaux nouveaux.
Face à la hausse des prix de l’énergie et à la décision du Gouvernement de revaloriser de seulement 3, 5 % le point d’indice, le fameux filet de sécurité voté à l’été comporterait, je l’entends ici ou là, des trous dans la raquette… À ce niveau, il ne s’agit pas de jouer au tennis avec une raquette de ping-pong, madame la ministre !
Le filet de sécurité, c’est 430 millions d’euros, tandis que la seule augmentation du point d’indice représente 1, 14 milliard d’euros ! Les factures énergétiques augmentent, elles, entre 30 % et 300 %, selon l’Association des maires de France (AMF).
Les propositions de mon groupe sont claires, ambitieuses et responsables, madame la ministre.
D’abord, il faut indexer dès le prochain projet de loi de finances la DGF sur l’inflation, et ce de façon pérenne, comme le demandent les élus, afin d’assurer la continuité des services publics.
Il faut ensuite sanctuariser dans la Constitution l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes.
Par ailleurs, il faut maintenir la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et refondre un impôt économique territorial avec une liberté de taux pour les communes.
En outre, il faut étendre les tarifs réglementés de vente de l’électricité à toutes les communes, et pas seulement à certaines d’entre elles.