Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport sur les finances publiques locales, annexé au projet de loi de finances, est un document de 208 pages, riche en chiffres et en informations, mais, comme l’a dit Jean-Michel Arnaud, il ne comprend quasiment rien sur la règle nouvelle qui suscite des inquiétudes considérables dans de nombreux territoires souvent en fusion : celle du zéro artificialisation nette, que nous appellerons le ZAN.
Cette règle a été définie sans les outils qui permettraient d’en assurer la mise en œuvre, laissant les collectivités démunies face à un tel écart entre l’objectif qui leur est assigné et les moyens à leur disposition.
J’alerte une nouvelle fois le Gouvernement sur cette question. Tous les élus locaux, quelle que soit leur appartenance politique, nous ont fait part de leurs inquiétudes, qui sont très nombreuses, comme je l’ai constaté lors du tour de France que j’ai effectué et qui m’a conduit à visiter quasiment un département sur deux.
La quasi-absence du mot « artificialisation » dans les différents rapports du Gouvernement démontre l’insuffisante réflexion de ce dernier sur la manière dont les obligations imposées aux collectivités seront financées.
Plusieurs pistes sont à explorer.
La première est le fonds Friches. De nombreux projets visant à revitaliser des espaces délaissés ont été déposés dans le cadre de ce fonds, auxquels seul manquait un équilibre économique pour pouvoir émerger. Mais que devient le fonds Friche ? Le Président de la République a annoncé sa pérennisation, mais il ne constitue plus que l’un des volets du fonds d’accélération de la transition écologique ou fonds vert : son objectif est désormais limité au recyclage de 1 000 hectares de friches par an. Les documents budgétaires n’indiquent pas clairement ses crédits. C’est insuffisant. Les collectivités auront besoin d’un soutien beaucoup plus important pour mener à bien les indispensables actions de recyclage urbain.
La deuxième piste est le levier fiscal, et c’est là peut-être mon message principal : la fiscalité locale n’est pas adaptée à la politique de sobriété foncière. On ne peut pas imposer aux communes une contrainte aussi forte sur l’aménagement local sans que les communes, en particulier, aient une incitation, alors que les réformes successives de la fiscalité locale distendent de plus en plus le lien entre leurs ressources et le résultat de leur action.
La commission des finances a donc saisi le Conseil des prélèvements obligatoires afin qu’il fournisse des pistes sur la manière dont la fiscalité, notamment locale, pourrait favoriser l’atteinte de l’objectif ZAN. Le CPO présentera ses résultats le 26 octobre et ses analyses pourront nourrir nos débats, notamment sur le projet de loi de finances.
En effet, plus d’un an après la promulgation de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les lois de finances successives restent muettes, ou presque, sur la question du financement du ZAN.
Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit, certes, une adaptation mineure de la taxe d’aménagement : les collectivités locales pourront en exonérer les constructions réalisées sur des sites ayant fait l’objet d’une opération de dépollution. Toutefois, cette mesure n’est de toute évidence pas à la hauteur de l’enjeu, d’autant qu’il s’agit d’une exonération facultative. En outre, son coût pour les collectivités ne sera pas compensé par l’État, alors même que l’objectif est la mise en œuvre d’une politique d’intérêt national. La taxe d’aménagement fait pourtant bien partie des voies à explorer.
D’autres pistes sont évoquées, comme la taxe sur les logements vacants ou l’ancien versement pour sous-densité, mais aussi des incitations directes aux particuliers, telles que le dispositif Denormandie. Les dispositifs fiscaux présentent chacun des avantages, mais aussi des risques de contournement ou d’effet rebond : c’est pourquoi nous aurons besoin de l’éclairage du CPO, dont les rapports font référence.
Je regrette que l’administration, que j’ai déjà interrogée en de nombreuses occasions, n’ait pas déjà conduit cette réflexion : des propositions claires sur le financement du ZAN auraient permis d’apaiser certaines des inquiétudes dans les territoires.
Les collectivités sont en effet soumises à des injonctions contradictoires, comme nous le savons désormais tous. Elles doivent développer le logement, notamment social, et attirer des activités économiques, mais sur quels terrains ? Une enquête du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et d’Intercommunalités de France (AdCF), publiée le mois dernier, montre que la pénurie de foncier est d’ores et déjà une réalité pour une majorité de territoires.
Madame la ministre, comment peut-on réindustrialiser la France si les collectivités ne peuvent pas accueillir d’activités ? Celles-ci effectuent actuellement un travail considérable pour élaborer des solutions et modifier des documents d’urbanisme. Les membres de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette », présidée par Valérie Létard, constatent le haut niveau de réflexion des élus et des acteurs locaux, qui ont des propositions à vous faire, madame la ministre.
Les décrets de mise en œuvre, publiés hâtivement, doivent être corrigés, comme un de vos collègues l’a reconnu dans cet hémicycle. La nomenclature fait encore l’objet de travaux des urbanistes et un certain nombre de grands projets, engagés ou prévus, risquent de consommer une part importante du foncier autorisé dans les dix années à venir.
Le sujet est donc bel et bien explosif. Il faut adapter les recettes fiscales locales aux nouvelles missions des collectivités, dont la transition écologique et la mise en œuvre du ZAN. Aux trois options polaires mises sur la table par la Cour des comptes, je propose d’en ajouter une : la climatisation sans délai du ZAN et de la fiscalité locale.