J'ai écouté avec attention l'ensemble des questions, qui constituent également l'amorce d'un débat entre vous sur la base du rapport de la Cour. Certaines trouvent leur réponse dans le rapport et sur d'autres, je ne souhaiterai pas improviser, mais nous restons disponibles pour de futurs travaux.
Vous avez dit, Monsieur le Président, que c'est un sujet impossible. Il l'est ! Parce que c'est un sujet complexe, un sujet qui divise. Dès que vous envisagez de réformer l'un de ses éléments, des forces contraires se mettent immédiatement en mouvement. Ce rapport est une modeste contribution visant à éclairer votre débat.
Monsieur le rapporteur général, je souscris à votre analyse : le dialogue et les échanges sont fondamentaux. Les propositions de la Cour sur la gouvernance sont essentielles. Sur un tel sujet la méthode et le fond sont si étroitement imbriqués qu'on ne peut avancer sur l'un sans avoir progressé sur l'autre.
Plusieurs d'entre vous ont souligné que le rapport insistait sur la bonne santé financière des collectivités. Or vous estimez que cette analyse est trop générale. Cela ne fait aucun doute. La Cour publiera son rapport sur la situation financière des collectivités en 2022 à la fin du mois d'octobre. Le retour de l'inflation et la hausse du point d'indice des fonctionnaires pèsent sur les finances des collectivités. Leurs ressources fiscales sont toutefois dynamiques. En outre, le Gouvernement a adapté ses mesures de soutien dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022.
Nul doute que le contexte de l'année 2022 sera différent de celui de 2021. Soyons attentifs au contexte macroéconomique et aux situations individuelles. L'épargne brute des collectivités atteint toutefois un niveau inédit en 2021 : 41,4 milliards d'euros en 2021, contre 39 milliards d'euros en 2019, année du précédent record. Je ne nie pas l'hétérogénéité de la situation des collectivités territoriales. Nous pouvons néanmoins être confiants quant à la situation globale, sans nier l'hétérogénéité des situations individuelles.
J'ai senti dans les propos du rapporteur général une interrogation sur la position de la Cour des comptes quant aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pourquoi nationaliser le seul levier fiscal des conseils départementaux ? Trois raisons justifient cette orientation. Premièrement, cette ressource est très volatile et difficile à prévoir. Deuxièmement, son assiette est inégalement répartie entre les territoires. Troisièmement, elle ne confère pas un réel pouvoir de levier aux conseils départementaux : si son assiette est territorialisée, son taux est déjà quasiment uniforme. En lui affectant les DMTO, toute la fiscalité liée au foncier serait affectée au bloc communal, en cohérence avec les compétences de cet échelon. Leur répartition en fonction des critères socio-économiques des territoires réduirait les inégalités à la base et renforcerait la solidarité. Certes, une recette mal répartie, volatile et incertaine est retirée aux conseils départementaux. En échange, ceux-ci récupèreraient une imposition dynamique. La dotation d'action sociale couvrirait au moins 63 % des dépenses sociales constatées dans chaque département. Bien sûr, nous ne privilégions pas une strate de collectivité par rapport à une autre.
Bien sûr, des choses manquent dans ce rapport. Sur la refonte des critères de répartition, une mission conduite par la députée Christine Pires Beaune avait formulé plusieurs propositions qui, malheureusement, n'ont pas abouti. Notre système actuel est dépassé, voire, dans certains cas, source d'inégalités. Cette réforme est indispensable. Il convient de définir précisément les critères présidant à l'attribution de près de 30 milliards d'euros aux collectivités territoriales. De telles décisions doivent être prises par le Gouvernement et le Parlement. La Cour pourrait creuser ce sujet dans un prochain rapport, mais ce sujet découle du système de financement retenu, il ne le précède pas.
Vous m'avez interrogé sur les missions de l'autorité indépendante proposée et sur ce qui la distingue du comité des finances locales (CFL). Toute réforme du financement des collectivités exige de rétablir la confiance, qui se fonde sur des analyses objectives et un partage des informations. La création d'une autorité indépendante ne serait pas un haut conseil d'experts ni un clone de la Cour des comptes. Celle-ci devrait disposer d'une présidence indépendante. Plusieurs missions lui seraient confiées : un rôle de garant des principes de financement des collectivités locales, d'avis sur les textes financiers, ainsi que de production d'études et des analyses. À défaut de création d'une autorité administrative indépendante (AAI), le rapport préconise une réforme des missions et de la composition du CFL, en vue de renforcer son indépendance, sa représentativité, et ses moyens d'analyse.
Dans ce rapport, la Cour a travaillé à cadre de compétences inchangé. Une réflexion globale doit néanmoins s'engager sur le processus de décentralisation. C'est pourquoi j'ai souhaité que la Cour consacre son prochain rapport public annuel au bilan de la décentralisation. Je sais que le Sénat a relancé un groupe de travail consacré à cette question.
Vous m'avez interrogé sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Je ne sais pas ce que le Gouvernement décidera. Sa suppression progressive s'inscrit dans une volonté de réduire les impôts de production. Je n'ai pas à me prononcer sur ce choix politique. Je peux en revanche affirmer que la situation de nos finances publiques ne permet pas de poursuivre les baisses d'impôt sans contrepartie, par l'augmentation d'un autre impôt ou la baisse d'une dépense. Le pays ne peut pas se le permettre. Personne ne peut s'exonérer de sa juste part d'effort. La compensation par la TVA est sans doute la solution la plus simple. Toutefois, cet impôt est partagé à plus de 50 % avec la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Les marges de manoeuvre sont donc limitées.
La prévisibilité de l'impôt national n'est pas parfaite, mais elle est meilleure que celle des dotations. Les évolutions de la TVA et l'IR sont globalement stables. C'est moins le cas, j'en conviens, de l'IS. L'État préfère supprimer les impôts des autres plutôt que les siens propres. En contrepartie, il compense cette suppression par des impôts partagés.
Les dotations de péréquation sont insuffisamment sélectives. Nous ne les avons toutefois pas étudiées dans le détail.
La réattribution de la fiscalité énergétique à l'État ne concerne pas l'IFER, qui serait transféré au bloc communal.
Nous n'avons pas examiné les ressources spécifiques de l'outre-mer et de la Corse.
Les conséquences de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sont moins importantes, car celle-ci est très concentrée.
La Cour souscrit à l'objectif de disposer d'une vision plus globale des finances locales, constatant que le Parlement ne dispose pas de document unique synthétisant l'ensemble des moyens alloués aux collectivités. Nous avons raisonné à cadre constitutionnnel constant, ce qui ne permet pas d'envisager une loi de financement des collectivités territoriales. Nous préconisons cependant de rassembler dans une mission budgétaire unique les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » avec les subventions des ministères, les prêts d'avance sur recettes et la fiscalité partagée. La loi organique du 28 décembre 2021 n'a pas retenu cette proposition. Toutefois, un rapport sur les finances locales sera annexé au projet de loi de finances.
J'en viens aux conséquences de la transition écologique. Dans notre scénario, nous avons proposé de transférer à l'État la fiscalité écologique aujourd'hui affectée aux collectivités, notamment la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la taxe sur les certificats d'immatriculation. La Cour estime que l'État doit être en mesure de mener une politique globale sur cette question primordiale.
Le conseil des prélèvements obligatoires présentera prochainement un diagnostic et des pistes de réforme sur l'objectif ZAN.
Monsieur Bocquet, je tiens à vous préciser que le ministre chargé des comptes publics recevra bien sûr ce rapport. Ses services en ont d'ores et déjà pris connaissance.