Intervention de Claude Nougein

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 octobre 2022 à 10h00
Contrôle budgétaire — Organisation et moyens de la douane face au trafic de stupéfiants - communication

Photo de Claude NougeinClaude Nougein, rapporteur spécial :

C'est au début de l'année 2021 que nous avons décidé, avec Albéric de Montgolfier, de mener un travail de contrôle sur l'organisation et les moyens de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) face au trafic de stupéfiants. Trois constats nous avaient conduits à faire ce choix.

Tout d'abord, l'impression que les missions de la douane sont encore trop méconnues. On a beaucoup parlé de son action depuis le Brexit ; elle joue aussi un rôle fondamental dans la lutte contre les trafics de marchandises illicites, dont les stupéfiants.

Ensuite, nous avions eu l'écho, pendant nos auditions budgétaires, d'une certaine lassitude des services douaniers face à l'ampleur de la menace. Pour reprendre une expression entendue en audition, les services ont parfois l'impression de devoir « vider la mer à la petite cuillère », avec des méthodes encore très artisanales.

Enfin, l'ampleur de la menace : le trafic de stupéfiants ne cesse de croître. Je crois que, pendant longtemps, les pouvoirs publics n'ont pas entièrement pris conscience de ce que représente le trafic de stupéfiants en matière de flux et de produits financiers.

Il va sans dire qu'il s'agit aussi d'un sujet qui touche aux politiques pénales et à celles de santé publique. En tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances, nous avons toutefois centré notre propos sur la douane, une administration en première ligne face au trafic de stupéfiants.

Lors de ce contrôle, nous avons entendu la quasi-totalité des acteurs douaniers et quelques acteurs du ministère de l'intérieur, avec qui la douane est amenée à coopérer. Nous nous sommes également déplacés à l'aéroport d'Orly et au port du Havre, où nous avons pu prendre connaissance du quotidien des brigades de surveillance. Les équipements dont ils disposent sont encore sommaires alors qu'ils doivent surveiller et contrôler les flux de milliers de conteneurs ou de millions de colis qui arrivent chaque jour.

Le positionnement de la douane explique le rôle aussi important qu'elle joue dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Administration de la marchandise et de la frontière, elle se situe au coeur de la surveillance de l'ensemble des vecteurs d'entrée des produits sur le territoire. La frontière est aujourd'hui multidimensionnelle : elle est terrestre, maritime, numérique, aérienne, nationale et européenne. Elle voit transiter des flux de marchandises, de personnes, mais aussi de données. C'est sur l'ensemble de ces vecteurs que la douane doit déployer sa « stratégie du bouclier » pour servir de « premier rideau » et empêcher une partie des produits stupéfiants de pénétrer le territoire national. Pour y parvenir, elle utilise ses prérogatives spécifiques, telles que la saisie, la fouille ou l'interception de marchandises.

Cette stratégie semble pour partie porter ses fruits. La douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 32 % de plus qu'en 2020, année marquée par les confinements et les restrictions de déplacement. C'est aussi près de 15 % de plus qu'en 2019, ce qui illustre le dynamisme du trafic. Les produits les plus saisis sont le cannabis, le khat et la cocaïne.

Pourtant, il est difficile de savoir si les saisies de la douane augmentent parce que ses services sont de plus en plus efficaces ou parce que les flux augmentent. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont répondu que la vérité se situait sans doute entre les deux.

Les services douaniers sont à l'origine de la grande majorité des saisies de stupéfiants sur le territoire national. La douane a ainsi réalisé 67 % des saisies de cannabis en 2021, 70 % des saisies de cocaïne, 80 % des saisies d'amphétamines et 74 % des saisies d'ecstasy. Cette prépondérance s'explique une nouvelle fois par son positionnement au coeur des flux de trafic, tandis que la police et la gendarmerie interviennent davantage sur les enquêtes et auprès des consommateurs.

La douane participe ainsi pleinement au plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui comprend 55 mesures. Elle en pilote trois, dédiées notamment à la lutte contre le trafic par voie maritime, par voie terrestre et par fret express et postal. Elle joue également un rôle crucial dans l'interception des passeurs de drogue par voie aérienne, et notamment dans la lutte contre le phénomène dit des mules, ces passeurs de cocaïne en provenance de Guyane. Ils transportent la drogue dans leurs bagages, à corps ou in corpore, c'est-à-dire après l'ingestion des produits illicites.

Nous avons pu observer à Orly une inspection approfondie d'un vol en provenance de Cayenne, avec un contrôle systématique des bagages et le ciblage de certains passagers. Les douaniers avaient à cette occasion saisi deux kilos de cocaïne transportés assez simplement dans deux enveloppes placées dans un sac à dos.

Les services douaniers nous indiquent qu'ils sont aujourd'hui dans l'incapacité de lutter contre le phénomène des passeurs, alors que les organisations criminelles saturent les vols : ils acceptent de sacrifier les premiers pris, en sachant très bien que les services douaniers ne pourront pas arrêter tout le monde. S'ils agissaient ainsi, cela provoquerait d'importants retards et surtout une embolie de toute la chaîne administrative et judiciaire.

Pour remédier à ces difficultés et au regard des frictions que nous avons pu constater, nous formulons deux propositions.

Première proposition : nous estimons primordial d'installer, à proximité des aéroports d'Orly et de Cayenne - voire à l'intérieur même des aéroports - des unités médicalisées permettant de traiter les personnes ayant ingéré de la drogue. En cas de suspicion, les personnes interceptées doivent aujourd'hui être transportées depuis Orly ou Roissy vers l'Hôtel-Dieu. Elles peuvent alors soit donner leur accord pour une échographie soit être placées en observation. Pour une personne interceptée, ce sont trois à quatre douaniers bloqués pendant une demi-journée. À titre de comparaison, à Amsterdam, faire passer une échographie prend une demi-heure, des équipements ayant été installés dans l'enceinte de l'aéroport. À court terme, le ministère de la santé doit proposer des solutions pour que des hôpitaux plus proches des aéroports soient utilisés.

Deuxième proposition : il faut revoir les modalités de répartition des transferts et des remises judiciaires des personnes retenues par la douane. En cas de transport de plus de deux kilogrammes de stupéfiants, les personnes doivent être remises à l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Or l'antenne supposée être en place à Orly relève davantage d'une structure fantôme. Les officiers de l'Ofast n'acceptent plus de remise après 17 ou 18 heures et ne sont même plus présents pour les vols du soir ! Par conséquent, il revient aux douaniers de mobiliser des effectifs pour surveiller les personnes retenues, alors qu'ils ne disposent que de six cellules à Orly. De nouvelles infrastructures doivent être créées si nous voulons contrôler la totalité des passagers d'un vol, à l'image de l'action menée aux Pays-Bas depuis plusieurs années.

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