Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 19 octobre 2022 à 15h00
Évolution de la formation de sage-femme — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en novembre, comme par la commission des affaires sociales du Sénat le 5 octobre dernier.

« Merci pour les femmes ! ». Cette phrase, lancée par des sages-femmes lors de la dernière audition, témoigne de la forte attente de la profession quant à l’adoption de ce texte visant à faire évoluer la profession de sage-femme. Cette phrase, nous la leur adressons en retour : merci aux sages-femmes !

Les sages-femmes, ce sont à près de 97 % des femmes mobilisées pour la santé des femmes. Lors des auditions, à de nombreuses reprises, une question a été posée par des sages-femmes : « Pourquoi si peu de considération ? Est-ce parce que nous sommes des femmes qui prennent soin des femmes ? »

En France, le champ de compétences des sages-femmes est le plus important d’Europe et n’a cessé de s’étendre ces dernières années. Notre pays reconnaît depuis plus de deux siècles le caractère médical de la maïeutique et confie aux sages-femmes des responsabilités plus importantes qu’ailleurs. En opérant un accompagnement global des femmes et des familles, les sages-femmes pratiquent un métier du care, du « prendre soin ».

Connues pour leur présence en salle de naissance, elles effectuent aussi la surveillance gynécologique, le suivi prénatal et postnatal, celui du nouveau-né, et cela en maîtrisant la frontière entre physiologique et pathologique.

Malgré ces avancées majeures contribuant à asseoir son rôle, la profession vit actuellement un profond mal-être : depuis trop longtemps, elle a la conviction, qu’elle a exprimée ces derniers mois à plusieurs reprises, de ne pas être reconnue.

Les conditions de travail des sages-femmes à l’hôpital se dégradent. Le taux d’encadrement y est toujours fixé par des décrets de périnatalité de 1998, qu’il serait temps de réviser. Leur formation ne s’est pas suffisamment adaptée et demeure établie sur un modèle hospitalier et régional correspondant à celui des professions paramédicales.

Leurs conditions de rémunération et leur statut ne correspondent pas, de l’avis de toutes les organisations représentatives de la profession, aux responsabilités aujourd’hui exercées. Il faudrait que la courbe des rémunérations reflète celle de l’élargissement des compétences.

L’attractivité de la formation en maïeutique et de la profession semble d’ailleurs se dégrader. Lors de la rentrée 2022, environ 20 % des places offertes en deuxième année de maïeutique sont restées vacantes. Les étudiantes font état d’une formation incomplète, dont l’intensité serait pourtant bien supérieure à celle d’autres formations médicales ; 70 % d’entre elles déclarent souffrir de symptômes dépressifs.

Or la profession de sage-femme, à l’hôpital comme en ville, est essentielle à la santé des femmes et à la santé publique partout sur le territoire. À cet égard, le récent rapport sur la santé périnatale de Santé publique France fait état « d’une situation préoccupante de la santé périnatale de façon globale en France » et rappelle que l’état de santé de la petite enfance et de l’enfance conditionne la santé à l’âge adulte.

Avec la présente proposition de loi, si nous ne résolvons pas l’ensemble des difficultés auxquelles la profession est confrontée, nous posons les jalons d’une meilleure reconnaissance de la profession.

Ainsi, nous entendons en premier lieu renforcer le caractère universitaire de la formation en maïeutique. L’article 1er vise à achever l’intégration universitaire des formations de sages-femmes, lancée par le législateur il y a plus de treize ans.

Ce processus est aujourd’hui à l’arrêt : d’après le ministère, seulement 14 des 35 écoles de sages-femmes sont intégrées à l’université. La majorité des écoles demeurent donc adossées à un centre hospitalier. Ce modèle, qui correspond à celui des formations paramédicales, n’est pas adapté à la profession de sage-femme et ne favorise pas le développement de la recherche en maïeutique.

C’est pourquoi nous substituons à la faculté d’intégration une obligation assortie d’un délai : l’intégration des écoles de sages-femmes à l’université devra être achevée au 1er septembre 2027. Ce délai nous semble nécessaire en regard des nombreux obstacles, y compris en termes de rémunérations, qui localement ont souvent entravé le processus.

La loi fixe également les modalités de cette intégration : point important, les écoles de sages-femmes seront préférentiellement intégrées aux UFR (unités de formation et de recherche) mixtes en santé réunissant plusieurs professions médicales. C’est seulement quand cela ne sera pas possible qu’elles seront intégrées aux UFR de médecine.

Ces dispositions, soutenues par l’ensemble des organisations de sages-femmes auditionnées, permettent de préserver l’autonomie pédagogique et de gouvernance des écoles de sages-femmes tout en favorisant la nécessaire collaboration entre professions médicales interdépendantes. La maïeutique, n’est-ce pas l’art de faire accoucher les esprits ?

Afin d’encourager le recrutement d’enseignants-chercheurs dans la discipline, l’article 3 vise par ailleurs à faciliter la conciliation des activités d’enseignement et de recherche avec le maintien d’une activité clinique, en ambulatoire comme à l’hôpital. Contrairement aux autres professions médicales, les sages-femmes ne bénéficient aujourd’hui d’aucun statut leur permettant de cumuler ces activités.

Malgré l’ouverture en 2019 d’une section maïeutique par le Conseil national des universités, le recrutement de sages-femmes enseignantes-chercheuses reste marginal : au milieu de cette année, notre pays comptait une seule professeure des universités – un second poste est en cours de création – et quelques dizaines de maîtres de conférences. La recherche en maïeutique est peu développée, alors même que la France compte parmi les pays où la formation est la plus longue et où la profession exerce le plus de responsabilités.

La proposition de loi vise en deuxième lieu à renouveler profondément le contenu de la formation des sages-femmes, pour l’adapter aux mutations de la profession. Elle crée un statut de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, inspiré de celui existant pour les médecins généralistes.

Ce statut permettra de mieux encadrer les stages en ambulatoire et d’accompagner leur déroulement en cohérence avec les nouvelles conditions d’exercice de la profession. Le Gouvernement doit cependant également réfléchir à la manière de mieux encadrer les stages à l’hôpital : les personnes auditionnées l’ont fréquemment décrit comme un terrain de stage difficile, et ont regretté le manque de valorisation de la fonction de référent.

Surtout, l’article 2 de la proposition de loi réforme en profondeur le contenu de la formation. Il crée un troisième cycle d’études de maïeutique. Lors d’une audition, une sage-femme le soulignait : « Enfin un troisième cycle, comme pour les autres professions médicales ! »

Parallèlement, une révision de l’ensemble des référentiels de formation est prévue. Les étudiantes obtiendront désormais, à l’issue de leurs études et après la soutenance d’une thèse d’exercice, un diplôme d’État de docteur en maïeutique.

Cette mesure, soutenue par l’ensemble des organisations de sages-femmes que nous avons auditionnées, réduira l’intensité d’études jugées trop denses et enrichira leur contenu, pour mieux tenir compte des nouvelles compétences confiées à la profession comme de la diversification des modes d’exercice. Elle favorisera nettement le développement de la recherche.

Enfin, cette proposition de loi vise à conforter la reconnaissance des sages-femmes comme profession médicale. Le quatrième article invite à modifier la classification des sages-femmes dans deux nomenclatures de l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques. La statistique est, elle aussi, traversée par le genre ; bien plus qu’un miroir, elle participe à créer les catégories.

Nombre de sages-femmes auditionnées s’en réjouissent, car, selon les mots d’une d’entre elles, « c’est un peu l’histoire de notre vie de ne pas être dans la bonne case ».

Si la commission a approuvé ces dispositions, elle a toutefois modifié leurs modalités d’application. Le texte imposait la réforme aux étudiants actuellement en deuxième et troisième années d’études, qui se sont engagés dans cette filière sans savoir que celle-ci serait allongée. Surtout, cet échéancier ne permettait pas d’assurer la cohérence du cursus.

Pour tenir compte des inquiétudes tant des étudiants que des enseignants, la commission a adopté deux amendements visant à reporter la réforme à la rentrée universitaire 2024 et à ne l’appliquer qu’aux étudiants qui entreront à compter de cette date en deuxième année.

Ce report facilitera la gestion de l’« année blanche » sans sortie de sage-femme diplômée que la réforme générera nécessairement. Je souhaite qu’il permette également d’établir les nouveaux référentiels de formation, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.

En conclusion, ce texte est à la fois nécessaire et urgent. À cet égard, j’aurais souhaité vous proposer, mes chers collègues, son adoption dans des termes identiques à ceux du texte de l’Assemblée nationale, afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible.

Si les inquiétudes partagées relatives au calendrier m’ont conduite à proposer à la commission des affaires sociales de le modifier, je souhaite toutefois que ce texte soit rapidement mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

En votant cette proposition de loi, nous répondons à la huitième proposition du livre blanc des sages-femmes : à la naissance d’une trajectoire professionnelle se trouve la formation.

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