Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 octobre 2022 à 16h35
Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables — Audition de Mme Agnès Pannier-runacher ministre de la transition énergétique

Agnès Pannier-Runacher, ministre :

M. le sénateur Cabanel m'a questionnée sur l'agrivoltaïque. Notre ligne de conduite est que l'activité agricole doit rester significative. C'est un garde-fou important. Nous abordons aujourd'hui les questions de souveraineté énergétique, mais mon collègue Marc Fesneau doit aussi défendre la souveraineté alimentaire. Il est clair que l'on ne peut pas sacrifier un objectif pour un autre. Il est donc essentiel de s'assurer d'un juste partage de la valeur.

Nous sommes pour un avis systématique de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), mais pas nécessairement conforme.

En ce qui concerne la spéculation sur le prix du foncier, l'enjeu est de parvenir à un ensemble cohérent, avec un revenu agricole et des aides de la politique agricole commune (PAC) qui soient compatibles avec les installations photovoltaïques.

Monsieur Gueret, je suis complètement en phase avec vous sur la méthode expérimentale. C'est d'ailleurs tout l'objet de la circulaire. J'ai bien entendu l'inquiétude exprimée par Mme Estrosi Sassone, mais quand on demande à des services instructeurs de tenir les délais et de considérer qu'il s'agit d'une priorité de travail, c'est une injonction qui va dans le sens des collectivités locales. Idem lorsqu'on demande de travailler à l'adhésion locale, etc.

Vous êtes plusieurs à avoir posé la question des effectifs des services instructeurs : oui nous allons avoir au total 37 équivalents temps plein supplémentaires répartis entre la Direction générale de l'énergie et du climat et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Cela figurera dans le prochain projet de loi de finances. Il s'agit d'une augmentation significative. Est-ce que ce sera suffisant ? Je propose de commencer par recruter les bonnes personnes et de faire l'analyse ensuite.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur l'accompagnement en ingénierie. Pour avoir été ministre déléguée chargée de l'industrie, je considère qu'investir un euro dans l'ingénierie pour en gagner dix, c'est un bon investissement. Nous avons débloqué des crédits en faveur de l'ingénierie, notamment pour l'éolien marin, même si je n'ai pas encore l'intention de recruter des fonctionnaires. Quoi qu'il en soit, l'État est conscient de cette problématique ; il s'agit d'éclaircir les dossiers des futurs porteurs de projet, de garantir l'indépendance des données et d'accompagner les collectivités locales, via le soutien de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Mettre à disposition ce type d'ingénierie, quitte à partager les coûts, est loin d'être idiot. Par ailleurs, se pose effectivement la question des dépenses d'exploitation (OPEX), mais nous y travaillons avec les contrats par différence.

Sylviane Noël m'a interrogée sur l'ouverture à la concurrence hydraulique. C'est une question à laquelle j'ai répondu à deux reprises. L'interdiction des systèmes de chauffage sur les terrasses a été votée dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. C'est une proposition issue de la Convention citoyenne pour le climat. La mesure répond, à mon sens, à une certaine attente sociétale. J'entends bien les difficultés, mais il est important de prendre en compte l'enjeu du réchauffement climatique. J'étais il y a deux semaines à Kinshasa pour préparer la COP27. Nous sommes aujourd'hui sur un scénario à + 3 degrés. Je vous invite à regarder ce que cela signifie : les meilleures dystopies de films tels que Mad Max sont très loin de ce qui nous attend !

Certes, l'empreinte carbone de la France est modérée au regard d'autres pays. Néanmoins, nous avons bel et bien une empreinte carbone, notamment pour la production de chaleur et faire fonctionner les transports. Nous avons contribué depuis notre entrée dans la révolution industrielle à une partie non négligeable et certainement supérieure à ce que pèse notre population par rapport à la population mondiale au réchauffement climatique. Il y a là un enjeu de responsabilité sur lequel nous interpellent les jeunes générations.

Mme Préville a évoqué les projets participatifs. Pourquoi ne pas ouvrir ces projets aux habitants et aux collectivités locales ? Il s'agit d'une piste de travail à condition de ne pas aller trop loin. Ça existe au Danemark, ça existe en Allemagne, pourquoi pas chez nous ? Comment accompagner financièrement les projets ? Il existe aujourd'hui des porteurs de projets qui sont prêts à accompagner des collectivités locales. J'invite chacun à travailler sur le sérieux des différents projets. Les préfets peuvent également avoir un rôle à jouer, tout comme la planification au niveau régional et local. M. Dantec a suggéré l'idée d'un appel à manifestation d'intérêt. Rien ne l'interdit dans la loi, c'est un point qui mérite d'être examiné, car il s'agit d'une très bonne idée.

J'ai dit un mot du photovoltaïque thermique, vous parlez du chauffe-eau solaire, mais c'est la même chose. Je ne crois pas qu'il faille une obligation : les situations sont très différentes selon qu'il s'agisse de la construction ou de la rénovation. La directive efficacité énergétique des bâtiments arrive en discussion au sein des instances européennes. Elle traitera de toutes ces questions.

Mme Berthet a évoqué le cas des entreprises. La mise en relation a été faite avec mes équipes et un rendez-vous a eu lieu début août. J'ai envie de vous renvoyer la balle : plus vite on votera la loi, plus vite il sera possible de souscrire des contrats à long terme grâce au Power Purchase Agreement (PPA). M. Gay a cité le cas particulier de Total en Nouvelle-Calédonie où l'État n'est pas compétent, je le rappelle. Le conseiller technique qui a beaucoup travaillé sur le texte qui nous occupe arrive justement de Nouvelle-Calédonie. Il pourra vous livrer le détail de ces enjeux. L'essentiel du contrat que vous évoquez ne sera pas en PPA, mais bien avec Enercal, la société néo-calédonienne d'énergie. Un accord-cadre a d'ailleurs été signé pour décarboner le mix.

En tout état de cause, les PPA sont une bonne piste. Ils permettent de définanciariser la question des contrats d'électricité. Avoir des contrats fondés sur la réalité de la production et des coûts de revient sur le long terme afin de financer les installations a une valeur à la fois pour les entreprises, mais aussi pour les collectivités locales. La comptabilisation en norme de dépenses pour les collectivités locales est d'ailleurs un point de vigilance de Bercy, il s'agit d'éviter de transférer des dettes. C'est un point sur lequel nous devons travailler. Nous sommes néanmoins prêts à étudier l'ouverture de ces dispositifs aux collectivités locales, ce qui n'est pour l'instant pas le cas. Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur la formation des artisans.

M. Cardon a évoqué l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER). C'est un enjeu de PLF, mais qui est mieux placé que le Sénat, qui représente les collectivités locales, pour réfléchir à la répartition d'un impôt qui concerne les collectivités locales ? Soit on augmente la part globale, ce qui réduira mathématiquement le nombre de projets, soit on revoit la répartition entre les différents niveaux, c'est un point qui mérite un travail de fond de votre part.

En ce qui concerne les raisons impératives d'intérêt public majeur pour les énergies renouvelables, c'est un point sur lequel nous pouvons tous nous accorder, a fortiori dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit aussi de défendre notre indépendance énergétique et de préserver le pouvoir d'achat des Français. Je rappelle qu'aujourd'hui le prix de sortie des énergies renouvelables - photovoltaïque, éolien terrestre - est très compétitif par rapport au prix du marché global, y compris par rapport au nouveau nucléaire. En tout état de cause, on ne revient à aucun moment sur les obligations de protection stricte des espèces protégées.

Madame Havet, le déploiement dans les zones non interconnectées (ZNI) est une très bonne question. Une nouvelle période d'appel d'offres s'est ouverte en septembre pour soutenir une nouvelle vague de projets. Nous avons saisi la CRE pour modifier l'arrêté tarifaire photovoltaïque, avec des seuils de guichet tarifaire qui passent de 100 à 50 kWc et des primes d'investissement sur l'autoconsommation payées en une fois et non en cinq, ce qui est de nature à aider le financement dans les zones non interconnectées. Nous avons procédé à une modification des cahiers des charges pour les appels d'offres afin de prendre en compte l'inflation. C'est valable pour la métropole et les zones non interconnectées. Par ailleurs, il faudra prévoir une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) spécifique pour les zones non interconnectées. Ce travail a abouti en Corse, mais l'exercice est compliqué. On s'inquiète à juste titre en métropole des risques de délestage ou de black-out. Je rappelle que la Guyane s'est retrouvée cet été avec un tiers de son territoire en black-out. Les outre-mer sont souvent les parents pauvres de notre politique énergétique. Il importe de trouver des solutions à la hauteur des enjeux. Le Parlement pourrait lancer des groupes de travail sur ces problématiques. Il importe d'impliquer les élus territoriaux.

Mme Loisier m'a interrogée sur les EnR non pilotables. Vous savez qu'une grande partie de l'hydroélectricité n'est pas stockable. La production se fait au fil de l'eau. La capacité de développement est limitée aujourd'hui. Des investissements sont envisagés, notamment avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et les concessions hydroélectriques d'EDF. Par ailleurs, nous sommes confrontés à la problématique du réchauffement climatique, avec une baisse des capacités de production sur le nucléaire et l'hydroélectrique en raison des épisodes de sécheresse. L'éolien n'est pas nécessairement concerné, il faudra voir avec le régime de vents.

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