Notre traditionnel tunnel budgétaire de l'automne commence cette année par l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, dont l'avenir paraît bien incertain.
En effet, l'Assemblée nationale a rejeté hier ce texte en première lecture et pourrait confirmer son vote lors de la navette. De son côté, le Gouvernement, tout en insistant sur les dangers à ne pas adopter ce texte - le ministre Gabriel Attal nous en a parlé hier matin -, a clairement indiqué qu'il ne ferait pas usage de la procédure définie au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution afin d'en obtenir l'adoption. Nous verrons donc ce qu'il adviendra.
La saisine de notre commission concerne cinq articles, évidemment relatifs aux comptes sociaux et au domaine des lois de financement de la sécurité sociale. L'article 17 est relatif aux objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) jusqu'en 2025 et à l'évolution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et de ses sous-objectifs à cette même échéance. L'article 18 concerne les dépenses de gestion administrative des organismes de sécurité sociale. L'article 19 reconduit le principe, qui figurait déjà dans la précédente loi de programmation des finances publiques (LPFP), d'une mise en réserve d'une fraction de 0,3 % de l'Ondam. L'article 20 reconduit également deux dispositifs de l'ancienne LPFP relatifs à l'encadrement des « niches sociales ». Enfin, l'article 24 prévoit que le Gouvernement transmette au Parlement, avant le 15 octobre de chaque année, une décomposition des recettes, des dépenses et du solde des administrations de sécurité sociale, en distinguant les Robss, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), les régimes complémentaires de retraite et les hôpitaux.
Du fait du rejet du projet de loi par l'Assemblée nationale, c'est la version initiale de ce texte qui nous est soumise.
L'article 17 illustre les paradoxes de la LPFP dans le domaine de la sécurité sociale puisque l'horizon de programmation n'est que de trois ans. Cet horizon est inférieur à celui qui figure chaque année en loi de financement de la sécurité sociale, dont l'annexe B donne chaque année une vision quadriennale des comptes sociaux et de l'Ondam. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 ne fait pas exception et donne au Parlement des prévisions portant jusqu'à l'année 2026.
Si une vision à trois ans constitue un progrès pour les finances de l'État au regard de la stricte annualité des lois de finances, il n'en va pas de même pour les comptes de la sécurité sociale.
Sur le fond - et nous en reparlerons dès la semaine prochaine dans le cadre de l'examen du PLFSS -, les prévisions du Gouvernement apparaissent à la fois optimistes et mal documentées. À cet égard, l'Ondam mérite notre attention.
L'Ondam devrait ainsi, suivant cette trajectoire, être inférieur en 2023 à 244,1 milliards d'euros ; en 2024 à 249,7 milliards d'euros et en 2025 à 256,4 milliards d'euros. Ces montants correspondent du reste au tendanciel décrit dans le PLFSS pour 2023 et son annexe B.
Pour le sous-objectif relatif à la ville, la trajectoire est un taux de 2,9 % en 2023, puis 2,3 % en 2024 et 2025. Pour le sous-Ondam relatif aux établissements de santé, le taux d'évolution serait de 4,1 % en 2023, puis 2,9 % en 2024 et 2,8 % en 2025. Au-delà de 2025, nous n'avons plus aucune trajectoire pour ces sous-objectifs, dont certains pèsent quand même environ 100 milliards d'euros, la direction de la sécurité sociale estimant que tout cela relève d'hypothèses « conventionnelles » et ne nécessite pas de justification.
Ces différents chiffres appellent plusieurs observations, car cette trajectoire apparaît fragile et parfois d'une crédibilité discutable.
Concernant l'Ondam, si l'on évoque souvent le taux d'évolution - c'est la présentation de l'annexe B au PLFSS -, je préfère que nous parlions du montant en euros. Le rythme d'évolution à 2,6 % à l'horizon de 2027 n'a rien à voir avec ce qu'aurait été le même taux il y a cinq ans.
En effet, la crise sanitaire, mais surtout les revalorisations du Ségur ont produit un saut du niveau de dépenses, et ce de manière pérenne. La base de calcul n'a plus rien à voir. Nous sommes passés d'un Ondam de l'ordre de 200 milliards d'euros en 2019 à un Ondam qui frôlerait les 250 milliards d'euros dans deux ans. Lorsque nous discutions de 2,3 % d'augmentation de l'Ondam en 2019, cela représentait 4,6 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, mais un tendanciel à 2,6 % en 2027 correspond à 6,7 milliards d'euros - ayons ces chiffres à l'esprit.
Cela étant dit, cette trajectoire est pour le moins ambitieuse, « exigeante », nous a pudiquement dit Thomas Fatome mercredi dernier.
Ce taux qui aurait semblé très satisfaisant il y a quelques années - il est nettement supérieur aux taux que nous avons connus durant la décennie 2010 - paraît difficilement tenable, car les incertitudes sont grandes sur l'impact financier de la crise sanitaire en 2023 et dans les années ultérieures. De plus, nous voyons bien l'ampleur des besoins de santé, l'ampleur des attentes en matière de rénovation de l'hôpital, mais aussi l'ampleur de l'impact financier que représente aujourd'hui le choc d'innovation dans le secteur du médicament. Par ailleurs, le contexte inflationniste rend le taux réel de progression bien moindre que celui qui est affiché. Sur ce point, si le ministre des comptes publics considère que l'inflation ne se reproduit pas de manière identique sur les dépenses de santé, force est de constater qu'elle est parfois plus forte encore sur certaines des charges principales des hôpitaux, comme l'énergie. Enfin, et surtout, le Gouvernement comme le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) reconnaissent qu'il faudra prendre des mesures fortes d'économies pour garantir le respect de cette trajectoire. Mais nous n'avons aucune donnée sur ces mesures. Régulera-t-on enfin l'Ondam de ville et si oui, comment ? Cela acte-t-il le retour explicite d'économies sur l'hôpital ?
Concernant le reste des Robss, je ne peux, là aussi, que regretter le caractère particulièrement lacunaire des informations transmises par le Gouvernement.
Pour m'en tenir à l'exemple le plus significatif, l'évolution des dépenses de la branche vieillesse est censée intégrer dès 2023 les effets d'une réforme des retraites, mais ni ses paramètres ni même son impact financier ne sont précisés dans un quelconque document. Et malgré mes demandes réitérées, je n'ai pas eu d'éléments d'information.
C'est pourquoi, vous l'aurez compris, j'émets de fortes réserves sur la crédibilité des chiffres que nous présente le Gouvernement.
Pour autant, le nouveau cadre organique nous permettra de vérifier le respect, voire le non-respect, de cette trajectoire puisqu'un « compteur des écarts » devra faire apparaître dans toutes les prochaines lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) les éventuelles dérives par rapport aux objectifs de cette loi de programmation.
Je vous suggère donc de prendre le Gouvernement au mot et de proposer à la commission des finances le maintien de cet article, tout en l'amendant afin de prolonger la trajectoire des dépenses des Robss et de l'Ondam. En effet, le compteur des écarts doit concerner toutes les LFSS jusqu'à l'année 2027 - il importe que l'horizon de programmation ne se limite pas à l'année 2025. La nouvelle rédaction de l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale fait de ce compteur un élément obligatoire de la LFSS de l'année.
L'article 18 prévoit de stabiliser les dépenses de gestion administrative des organismes de sécurité sociale pendant la période de programmation. Je vous proposerai un amendement de précision.
L'article 19 porte sur la « mise en réserve » de l'Ondam. Concrètement, il s'agit de « geler » en début d'exercice une fraction de l'Ondam pour assurer le respect du montant voté. Cette mise en réserve, classique sur le budget de l'État, existe depuis 2010 sur les dotations relevant de l'Ondam et depuis 2014 sur l'ensemble des crédits. Le Gouvernement peut ou non « dégeler » en fin d'exercice tout ou partie des crédits mis en réserve. Le montant minimal est fixé depuis 2010 à « au moins 0,3 % » et suit en réalité ce taux. Pour 2022, cela représente 710 millions d'euros.
Là aussi, soyons honnêtes : comment est concrètement mise en oeuvre cette réserve ?
Elle est mise en oeuvre cette année pour 47 % au moyen du « coefficient prudentiel » appliqué sur les tarifs hospitaliers, qui permet de les minorer en début d'année ; pour 21 % en gelant une partie des dotations hospitalières ; pour 0 % sur l'Ondam de ville, car cela n'a pas de sens de mettre en réserve le remboursement des feuilles de soins et aucun mécanisme de régulation n'existe sur les rémunérations mêmes forfaitaires des professionnels de santé. L'hôpital porte donc en réalité 68 % des mises en réserve, ce qui représente un gel de 0,51 % de ses crédits.
En écho aux travaux de la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, mais aussi aux auditions menées par Corinne Imbert, il convient de dire qu'il faut cesser de faire porter les débordements de l'Ondam de ville sur la régulation de l'hôpital. Il est sans doute temps de trouver des mécanismes de régulation infra-annuelle de l'Ondam de ville. La logique selon laquelle l'hôpital, pour connaître le niveau réel de ses crédits, attend traditionnellement de savoir si la ville n'a pas trop coûté doit cesser. Je vous proposerai donc un amendement visant, d'une part, à fixer le taux de la mise en réserve - ce serait non plus un « plancher », mais un taux fixe - et, d'autre part, à inscrire de manière claire que la mise en réserve est homogène sur l'ensemble des sous-objectifs, en vue de mettre fin à l'effort supplémentaire demandé à l'hôpital.
L'article 20 prévoit de reconduire le principe d'un bornage à trois ans de toutes les « niches sociales » adoptées à compter de 2023 et de limiter à 14 % du montant des recettes des Robss et du FSV le coût maximal des niches sociales. Cet article, qui prend la forme d'une pétition de principe non normative, n'est que peu d'utilité. Le principe du bornage a d'ailleurs été bafoué à de nombreuses reprises au cours du quinquennat.
Néanmoins, d'un point de vue symbolique, sa suppression pourrait être problématique. Elle pourrait d'ailleurs ne pas être retenue par la commission des finances, qui ne dispose pas de tels outils au niveau organique pour les niches fiscales. Je ne vous proposerai donc aucun amendement le concernant.
Enfin, l'article 24 prévoit que le Gouvernement transmette chaque année au Parlement une décomposition du solde du sous-secteur des administrations de sécurité sociale (Asso), tout en précisant les différents éléments de cette décomposition : les Robss et les organismes concourant à leur financement ; les organismes concourant à l'amortissement de leur dette, avec la Cades, ; les organismes concourant à la mise en réserve de recettes à leur profit, avec le FRR, ; les autres régimes d'assurance sociale - assurance chômage et organismes de retraite complémentaire, mais pas les organismes complémentaires d'assurance maladie, qui sont en dehors du champ des Asso - ; et les organismes dépendant des assurances sociales (Odass), c'est-à-dire, pour l'essentiel, les établissements publics de santé, mais aussi Pôle emploi. Je vous proposerai un amendement afin de préciser que la décomposition du solde du sous-secteur des Asso transmise à l'automne doit concerner l'année en cours et l'année à venir. Cette disposition, au demeurant cohérente avec la pratique actuelle du Gouvernement, se justifie d'autant plus que la LFSS de l'année comprend une partie rectificative pour l'année en cours. Surtout, cet amendement disposera que cette décomposition soit également transmise au Parlement pour ce qui concerne l'exercice clos chaque année, avant le 1er juin, soit au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.
En conclusion, malgré toutes les imperfections de ce texte, que je ne vous ai pas cachées, je vous suggère de donner un avis favorable à l'adoption des articles dont nous nous sommes saisis pour avis tels que modifiés par les amendements que je vous soumettrai.