Intervention de Anne Thiebeauld

Commission des affaires sociales — Réunion du 26 octobre 2022 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Audition de Mme Anne Thiebeauld directrice des risques professionnels de la caisse nationale de l'assurance maladie cnam

Anne Thiebeauld, directrice des risques professionnels de la Caisse nationale de l'assurance maladie :

Effectivement, 90 % des maladies professionnelles sont des TMS. Ceux-ci concernent la grande majorité des secteurs d'activité. Pour la branche AT-MP, c'est une préoccupation forte et ancrée dans la durée.

Nous déployons depuis 2014 un programme national de prévention de ces troubles, dit TMS-Pros. Tous les cinq ans, nous menons sur ce programme un exercice d'évaluation très approfondi. Les entreprises peuvent y adhérer de manière volontaire, mais ce sont surtout les préventeurs des caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) qui ciblent des entreprises de leur territoire, en fonction du taux de sinistralité. Il faut que la sinistralité soit avérée, c'est-à-dire que l'entreprise ait perdu plus de 600 journées de travail au cours de l'année précédente, contre une moyenne avoisinant 300 jours. Depuis 2014, environ 13 000 établissements sont entrés dans le programme ; ils sont 8 000 depuis 2018. Les secteurs d'activité principalement concernés sont le secteur médico-social, le commerce de détail, la grande distribution, la métallurgie, le bâtiment, le transport et la logistique.

La démarche est pertinente dans sa structuration, avec un programme assez classique d'accompagnement en quatre étapes : diagnostic de la situation ; identification des situations exposantes ; développement d'un plan d'action ; évaluation de ses effets. Sont aussi évalués positivement les critères de ciblage des entreprises précités, l'approche sectorielle et les offres de services que nous proposons. Nos partenaires, principalement des fédérations professionnelles, jugent très majoritairement le programme utile, ainsi que les entreprises qui l'ont suivi.

Dans les points à améliorer, il faut valoriser positivement et financièrement les entreprises qui investissent dans ce programme de prévention. C'est une piste de réflexion. L'outil informatique accompagnant TMS-Pros a également connu quelques soucis.

Comme toute politique publique de prévention, la grande difficulté est de mesurer objectivement l'impact en termes d'évitement de risque. Néanmoins, on constate que l'indice de fréquence de survenue des TMS baisse deux fois plus vite au sein des entreprises engagées dans TMS-Pros depuis 2014 que dans les autres entreprises. L'effet est encore plus intense pour le secteur de l'aide et des soins à la personne : les cas de TMS ont progressé de 14 % entre 2014 et 2019 dans le secteur, tandis qu'ils baissaient de 8 % au sein des entreprises ayant suivi le programme.

S'agissant des troubles psychiques, ils occupent également une part croissante. On voit traditionnellement la prise en charge à titre professionnel de ces troubles à travers les maladies professionnelles, qui, pour être reconnues par la branche, doivent entraîner un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 %. Le seuil de gravité étant relativement élevé, le nombre de ces maladies est légèrement supérieur à 1 500 par an. Mais on sait moins que la branche prend aussi en charge annuellement 12 000 accidents de travail au titre des troubles psychosociaux. La valeur du risque de ces affections psychiques représente environ 200 millions d'euros en accidents de travail et 166 millions d'euros en maladies professionnelles, pour une valeur du risque totale de 9 milliards d'euros. Trois secteurs sont principalement concernés : le secteur médico-social, le transport, notamment de personnes, et le commerce de détail. Ils ont un point commun, le rapport au public.

En termes d'action de prévention, nous menons une démarche d'alerte et de sensibilisation auprès d'entreprises qui présentent un taux d'absentéisme particulièrement fort, deux à trois fois supérieur à la moyenne du secteur. Nous pouvons alors les accompagner dans le déploiement de démarches de prévention. Pour cela, nous pouvons leur proposer de la documentation, des formations, des outils d'aide à l'objectivation du risque, etc. Nous avons également travaillé sur un réseau de consultants en risques psychosociaux (RPS) labellisés auxquels les entreprises peuvent faire appel.

S'agissant de la tarification des établissements médico-sociaux, l'existence de taux forfaitaires se justifie pleinement, mais, sur des secteurs en forte sinistralité, nous perdons un levier très important en prévention : le caractère incitatif de la tarification. Des préconisations ont été faites pour revenir à un dispositif de droit commun, mais ce retour aurait un impact financier douloureux, notamment pour l'hébergement et l'aide à domicile des personnes âgées - le sujet est donc sensible. Pour près de 40 % des établissements, il n'y aurait pas d'incidence et on trouverait quelques gagnants, notamment les établissements pour personnes handicapées, petite enfance et prise en charge de l'adolescence. Le sujet reste ouvert.

Comme je l'indiquais en introduction, le PLFSS prévoit un retour à un excédent significatif et durable de la branche. En tant que directrice des risques professionnels, je n'ai pas de positionnement spécifique sur les perspectives financières. Au sein des finances sociales, il y a une approche transversale de l'équilibre financier des différentes branches : c'est le modèle historique de la sécurité sociale.

La question de la compensation du coût de la sous-déclaration des AT-MP ne renvoie pas à la même problématique : le reversement à la branche maladie n'est pas en lien avec un besoin de combler le déficit de cette branche. Le rapport de la commission chargée d'estimer le coût de la sous-déclaration - commission indépendante, je le rappelle - est très étayé. Il établit techniquement et scientifiquement le phénomène de sous-déclaration, notamment en matière de maladies professionnelles. La déclaration pour les maladies est effectivement laissée à la main des assurés et, dans le cas, par exemple, de cancers professionnels se déclarant avec un effet différé, vingt à trente ans après l'exposition, ce peut être une initiative complexe à entreprendre.

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