Intervention de Valérie Létard

Réunion du 20 octobre 2022 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire part de ma satisfaction de voir aujourd’hui cette proposition de loi examinée par notre assemblée.

Cette aide universelle d’urgence vise à combler un réel manque lorsque les victimes de violences conjugales rencontrent des difficultés à s’extraire de l’emprise de leur conjoint violent en raison de leur dépendance financière, qui peut les faire renoncer au départ ou forcer celles qui ont franchi le pas à revenir en arrière.

Je tiens à associer à cette proposition les équipes du conseil départemental du Nord, présentes dans nos tribunes, avec qui je travaille depuis plusieurs mois sur ce dispositif, résultat de nos nombreux échanges avec les associations compétentes, les travailleurs sociaux, les services de gendarmerie et de police, le procureur et la caisse d’allocations familiales.

Ce travail de terrain nous a permis d’imaginer le dispositif proposé aujourd’hui, que nous avons d’ores et déjà décidé d’expérimenter dans le Valenciennois.

Je tiens également à remercier la rapporteure, Jocelyne Guidez, qui a su s’emparer de ce texte, en comprendre les enjeux et l’enrichir utilement lors de son passage en commission.

Le Président de la République a fait des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes l’une des grandes causes de son premier quinquennat. À ce titre, le 3 septembre 2019, le Gouvernement lançait le Grenelle des violences conjugales, qui déboucha sur un plan d’action global et inédit.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre, a renouvelé l’engagement du Gouvernement en faveur de cette cause.

Il le faut, car les chiffres sont glaçants ! En 2020, en France, hors homicides, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, soit une hausse de 10 % en un an. En 2021, quelque 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées, contre 125 l’année précédente, soit 18 victimes en plus.

Dans l’arrondissement de Valenciennes, le territoire dans lequel nous avons imaginé cette aide, les statistiques du parquet sont particulièrement inquiétantes. Chaque année, le service d’aide aux victimes accompagne 1 000 victimes de violences conjugales. En 2021, les services de police et de gendarmerie ont eu à traiter en moyenne 8 cas de violences intrafamiliales chaque jour.

Face à ce constat alarmant, il est plus que nécessaire de s’interroger sur la façon de prévenir ces violences, d’anticiper, de protéger et d’agir en amont.

Sur ce sujet, je ne puis que soutenir le Gouvernement et l’inciter à faire davantage pour la prévention, en lien avec les professionnels de terrain, à qui il faut donner les moyens d’agir. Un vrai travail doit être effectué en amont.

À ce titre, je remercie et félicite mes collègues et anciens collègues Laurence Rossignol, Laurence Cohen, Nicole Duranton, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Noëlle Rauscent pour le rapport d’information qu’ils ont présenté en juin 2018 au nom de la délégation aux droits des femmes. Intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, ce travail dressait des constats, énumérait des points de vigilance et contenait 36 recommandations qui feraient une excellente feuille de route pour renforcer aujourd’hui les mesures de prévention.

Il est également urgent d’apporter une réponse adaptée et rapide à ces victimes une fois l’emprise du conjoint violent malheureusement établie.

Aider une victime qui trouve la force d’aller porter plainte, de demander une ordonnance de protection et de quitter le foyer conjugal – un choix parfois tout aussi effrayant que de rester et subir les violences de son conjoint –, tel est le cœur de la présente proposition de loi.

En créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, on leur accorde un droit à s’émanciper de cette emprise découlant d’une dépendance financière envers le conjoint violent.

Trop souvent, les victimes de violences sont contraintes de retrouver le foyer conjugal très peu de temps après l’avoir quitté, faute d’autonomie financière immédiate. Ce constat, mes chers collègues, est celui des professionnels de terrain.

J’ai souhaité faire de ce dispositif une aide universelle, le prêt octroyé n’étant pas soumis à des conditions de ressources ou à un statut particulier. En effet, que l’on soit éligible au revenu de solidarité active (RSA) ou que l’on dispose de revenus et d’un patrimoine, que l’on ait plus ou moins de 25 ans, que l’on soit actif ou retraité, personne n’est épargné par les violences et l’emprise. N’oublions pas que la rétention de moyens de paiement ou de titres par le conjoint violent est fréquente.

L’objectif est donc de garantir aux victimes les conditions financières nécessaires pour leur permettre de se libérer le plus vite possible de l’emprise.

C’est pourquoi le dispositif répond également au caractère d’urgence qu’imposent ces situations. La capacité pour les victimes de se mettre à l’abri le plus rapidement possible est déterminante pour leur survie, mais aussi, parfois, pour celle de leurs enfants.

Dans ces situations plus que dans toutes les autres, le temps est compté. Le présent texte, amendé avec efficacité par Jocelyne Guidez et d’autres collègues en commission, prévoit ainsi un délai de déblocage du prêt alloué par la caisse d’allocations familiales de soixante-douze heures, soit trois jours ouvrés. Cette durée n’a pas été choisie arbitrairement ; elle représente un juste équilibre entre le besoin d’une solution à court terme pour les victimes et la capacité des services compétents de la CAF à instruire la demande le plus vite possible.

S’inspirant des mécanismes extralégaux d’action sociale de la branche famille, le montant retenu pour cette avance d’urgence, versée en trois mensualités maximum, équivaut au revenu de solidarité active.

Je souhaite que nos débats n’excluent pas la question de l’impact budgétaire de la mesure proposée, face aux critiques qui pourraient s’élever.

Au-delà du drame humain et familial que constituent les violences au sein d’un couple – elles peuvent avoir des conséquences humaines dramatiques pour la victime comme pour ses enfants –, nous avons conçu un dispositif utile et financièrement maîtrisé.

Si besoin était d’en justifier, son impact budgétaire sur les finances publiques est sans commune mesure avec les conséquences financières d’une mise à l’abri de la victime et de ses enfants. En effet, un placement dans une maison de l’enfance coûte 200 euros par jour, soit 6 000 euros par mois, et ne permet pas de « réparer » de façon satisfaisante une mère et ses enfants. On voit donc tout l’intérêt de cette mesure de bon sens.

En outre, un mécanisme de remboursement par l’auteur des violences est prévu. Une subrogation de la CAF dans les droits des victimes est possible, qui permettrait à l’institution de se constituer partie civile et de demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi.

L’idée est simple : faire payer l’auteur des violences pour une situation dont il est responsable.

Enfin – il s’agit là d’une condition essentielle d’efficacité du dispositif proposé –, le président du conseil départemental sera informé dès la transmission de la demande à la CAF, afin d’engager immédiatement l’accompagnement social de la victime, parallèlement au versement de l’aide d’urgence.

Concrètement, cela signifie un accompagnement global de la victime, dès le dépôt de plainte, l’ordonnance de protection ou le signalement par un travailleur social. Ce dernier fera office de personne-ressource tout au long du parcours de rebond de la victime. En effet, rappelons-le, l’objectif est non seulement de sécuriser les situations fragiles, mais aussi, et surtout, de conduire à une indépendance pérenne.

Cela passe forcément par un accompagnement multidimensionnel. Logement, démarches administratives, accompagnement juridique, accompagnement santé et psychologique, insertion professionnelle : autant de domaines dans lesquels les travailleurs sociaux des départements et des centres communaux d’action sociale (CCAS) sont tout désignés pour intervenir. Ils agiront comme facilitateurs, tout en étant les garants du respect des étapes du parcours et de la coordination des différents partenaires.

Cette aide universelle, travaillée en bonne intelligence avec les acteurs de terrain, permet d’offrir un résultat opérationnel. L’attente est forte de la part des victimes de violences conjugales, qui cherchent à se mettre à l’abri et à retrouver une indépendance économique et administrative, mais aussi des travailleurs sociaux, associations, structures d’aide et acteurs judiciaires, qui se battent chaque jour pour tenter de changer la vie des victimes, et parfois de sauver des vies.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle que soit notre place dans l’hémicycle, quelles que soient nos convictions politiques, nous rejetons tous la violence.

Ces violences conjugales détruisent la vie de trop nombreuses victimes et de trop nombreuses familles. Elles touchent toutes les catégories de notre société. Notre pays s’est toujours grandi à protéger les plus fragiles et les victimes d’actes de violence.

Cette aide universelle s’adresse à l’ensemble des victimes de violences conjugales, quels que soient leur sexe, leur origine, leur statut ou leur âge. Elle se veut un moyen de rendre aux victimes leur dignité et de leur permettre de relever la tête et de s’extraire d’une situation personnelle qui n’apporte que souffrance et douleur.

Elle sera, je l’espère, si vous l’adoptez, mes chers collègues, un moyen supplémentaire, mais essentiel, mis à disposition de notre République pour endiguer le fléau des violences conjugales.

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