La séance est ouverte à dix heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
La parole est à M. Laurent Burgoa, pour une mise au point au sujet d’un vote.
Lors du scrutin n° 8 sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Joëlle Garriaud-Maylam souhaitait ne pas prendre part au vote.
Acte est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 875 [2021-2022], texte de la commission n° 22, rapport n° 21).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire part de ma satisfaction de voir aujourd’hui cette proposition de loi examinée par notre assemblée.
Cette aide universelle d’urgence vise à combler un réel manque lorsque les victimes de violences conjugales rencontrent des difficultés à s’extraire de l’emprise de leur conjoint violent en raison de leur dépendance financière, qui peut les faire renoncer au départ ou forcer celles qui ont franchi le pas à revenir en arrière.
Je tiens à associer à cette proposition les équipes du conseil départemental du Nord, présentes dans nos tribunes, avec qui je travaille depuis plusieurs mois sur ce dispositif, résultat de nos nombreux échanges avec les associations compétentes, les travailleurs sociaux, les services de gendarmerie et de police, le procureur et la caisse d’allocations familiales.
Ce travail de terrain nous a permis d’imaginer le dispositif proposé aujourd’hui, que nous avons d’ores et déjà décidé d’expérimenter dans le Valenciennois.
Je tiens également à remercier la rapporteure, Jocelyne Guidez, qui a su s’emparer de ce texte, en comprendre les enjeux et l’enrichir utilement lors de son passage en commission.
Le Président de la République a fait des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes l’une des grandes causes de son premier quinquennat. À ce titre, le 3 septembre 2019, le Gouvernement lançait le Grenelle des violences conjugales, qui déboucha sur un plan d’action global et inédit.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre, a renouvelé l’engagement du Gouvernement en faveur de cette cause.
Il le faut, car les chiffres sont glaçants ! En 2020, en France, hors homicides, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, soit une hausse de 10 % en un an. En 2021, quelque 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées, contre 125 l’année précédente, soit 18 victimes en plus.
Dans l’arrondissement de Valenciennes, le territoire dans lequel nous avons imaginé cette aide, les statistiques du parquet sont particulièrement inquiétantes. Chaque année, le service d’aide aux victimes accompagne 1 000 victimes de violences conjugales. En 2021, les services de police et de gendarmerie ont eu à traiter en moyenne 8 cas de violences intrafamiliales chaque jour.
Face à ce constat alarmant, il est plus que nécessaire de s’interroger sur la façon de prévenir ces violences, d’anticiper, de protéger et d’agir en amont.
Sur ce sujet, je ne puis que soutenir le Gouvernement et l’inciter à faire davantage pour la prévention, en lien avec les professionnels de terrain, à qui il faut donner les moyens d’agir. Un vrai travail doit être effectué en amont.
À ce titre, je remercie et félicite mes collègues et anciens collègues Laurence Rossignol, Laurence Cohen, Nicole Duranton, Loïc Hervé, Françoise Laborde et Noëlle Rauscent pour le rapport d’information qu’ils ont présenté en juin 2018 au nom de la délégation aux droits des femmes. Intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, ce travail dressait des constats, énumérait des points de vigilance et contenait 36 recommandations qui feraient une excellente feuille de route pour renforcer aujourd’hui les mesures de prévention.
Il est également urgent d’apporter une réponse adaptée et rapide à ces victimes une fois l’emprise du conjoint violent malheureusement établie.
Aider une victime qui trouve la force d’aller porter plainte, de demander une ordonnance de protection et de quitter le foyer conjugal – un choix parfois tout aussi effrayant que de rester et subir les violences de son conjoint –, tel est le cœur de la présente proposition de loi.
En créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, on leur accorde un droit à s’émanciper de cette emprise découlant d’une dépendance financière envers le conjoint violent.
Trop souvent, les victimes de violences sont contraintes de retrouver le foyer conjugal très peu de temps après l’avoir quitté, faute d’autonomie financière immédiate. Ce constat, mes chers collègues, est celui des professionnels de terrain.
J’ai souhaité faire de ce dispositif une aide universelle, le prêt octroyé n’étant pas soumis à des conditions de ressources ou à un statut particulier. En effet, que l’on soit éligible au revenu de solidarité active (RSA) ou que l’on dispose de revenus et d’un patrimoine, que l’on ait plus ou moins de 25 ans, que l’on soit actif ou retraité, personne n’est épargné par les violences et l’emprise. N’oublions pas que la rétention de moyens de paiement ou de titres par le conjoint violent est fréquente.
L’objectif est donc de garantir aux victimes les conditions financières nécessaires pour leur permettre de se libérer le plus vite possible de l’emprise.
C’est pourquoi le dispositif répond également au caractère d’urgence qu’imposent ces situations. La capacité pour les victimes de se mettre à l’abri le plus rapidement possible est déterminante pour leur survie, mais aussi, parfois, pour celle de leurs enfants.
Dans ces situations plus que dans toutes les autres, le temps est compté. Le présent texte, amendé avec efficacité par Jocelyne Guidez et d’autres collègues en commission, prévoit ainsi un délai de déblocage du prêt alloué par la caisse d’allocations familiales de soixante-douze heures, soit trois jours ouvrés. Cette durée n’a pas été choisie arbitrairement ; elle représente un juste équilibre entre le besoin d’une solution à court terme pour les victimes et la capacité des services compétents de la CAF à instruire la demande le plus vite possible.
S’inspirant des mécanismes extralégaux d’action sociale de la branche famille, le montant retenu pour cette avance d’urgence, versée en trois mensualités maximum, équivaut au revenu de solidarité active.
Je souhaite que nos débats n’excluent pas la question de l’impact budgétaire de la mesure proposée, face aux critiques qui pourraient s’élever.
Au-delà du drame humain et familial que constituent les violences au sein d’un couple – elles peuvent avoir des conséquences humaines dramatiques pour la victime comme pour ses enfants –, nous avons conçu un dispositif utile et financièrement maîtrisé.
Si besoin était d’en justifier, son impact budgétaire sur les finances publiques est sans commune mesure avec les conséquences financières d’une mise à l’abri de la victime et de ses enfants. En effet, un placement dans une maison de l’enfance coûte 200 euros par jour, soit 6 000 euros par mois, et ne permet pas de « réparer » de façon satisfaisante une mère et ses enfants. On voit donc tout l’intérêt de cette mesure de bon sens.
En outre, un mécanisme de remboursement par l’auteur des violences est prévu. Une subrogation de la CAF dans les droits des victimes est possible, qui permettrait à l’institution de se constituer partie civile et de demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi.
L’idée est simple : faire payer l’auteur des violences pour une situation dont il est responsable.
Enfin – il s’agit là d’une condition essentielle d’efficacité du dispositif proposé –, le président du conseil départemental sera informé dès la transmission de la demande à la CAF, afin d’engager immédiatement l’accompagnement social de la victime, parallèlement au versement de l’aide d’urgence.
Concrètement, cela signifie un accompagnement global de la victime, dès le dépôt de plainte, l’ordonnance de protection ou le signalement par un travailleur social. Ce dernier fera office de personne-ressource tout au long du parcours de rebond de la victime. En effet, rappelons-le, l’objectif est non seulement de sécuriser les situations fragiles, mais aussi, et surtout, de conduire à une indépendance pérenne.
Cela passe forcément par un accompagnement multidimensionnel. Logement, démarches administratives, accompagnement juridique, accompagnement santé et psychologique, insertion professionnelle : autant de domaines dans lesquels les travailleurs sociaux des départements et des centres communaux d’action sociale (CCAS) sont tout désignés pour intervenir. Ils agiront comme facilitateurs, tout en étant les garants du respect des étapes du parcours et de la coordination des différents partenaires.
Cette aide universelle, travaillée en bonne intelligence avec les acteurs de terrain, permet d’offrir un résultat opérationnel. L’attente est forte de la part des victimes de violences conjugales, qui cherchent à se mettre à l’abri et à retrouver une indépendance économique et administrative, mais aussi des travailleurs sociaux, associations, structures d’aide et acteurs judiciaires, qui se battent chaque jour pour tenter de changer la vie des victimes, et parfois de sauver des vies.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle que soit notre place dans l’hémicycle, quelles que soient nos convictions politiques, nous rejetons tous la violence.
Ces violences conjugales détruisent la vie de trop nombreuses victimes et de trop nombreuses familles. Elles touchent toutes les catégories de notre société. Notre pays s’est toujours grandi à protéger les plus fragiles et les victimes d’actes de violence.
Cette aide universelle s’adresse à l’ensemble des victimes de violences conjugales, quels que soient leur sexe, leur origine, leur statut ou leur âge. Elle se veut un moyen de rendre aux victimes leur dignité et de leur permettre de relever la tête et de s’extraire d’une situation personnelle qui n’apporte que souffrance et douleur.
Elle sera, je l’espère, si vous l’adoptez, mes chers collègues, un moyen supplémentaire, mais essentiel, mis à disposition de notre République pour endiguer le fléau des violences conjugales.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Valérie Létard a rappelé le contexte douloureux dans lequel s’inscrit cette proposition de loi. En dépit de la mobilisation des pouvoirs publics, les violences commises au sein du couple perdurent à un niveau élevé.
Dans l’Hexagone, une enquête statistique estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. La violence au sein du couple est aussi prégnante outre-mer. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.
La proposition de loi entend répondre à cet enjeu et puise sa force dans les retours concrets d’expérience. Valérie Létard a en effet présenté le travail qu’elle mène avec le département et la caisse d’allocations familiales du Nord pour mettre en place un prêt d’urgence et un accompagnement global des victimes de violences conjugales identifiées par les services sociaux.
Le texte est issu du constat empirique d’un déficit à combler dans les politiques publiques que nous déployons en faveur des victimes de violences conjugales. Il convient de les aider à quitter définitivement leur partenaire violent, en leur apportant une aide cruciale dans des délais très réduits.
Les données issues des appels au numéro 3919 « Violences Femmes Info » montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal, tandis que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile. Il est donc très difficile pour la femme de réussir à couper définitivement les ponts avec son tortionnaire.
La précarité économique ou les incertitudes financières figurent souvent parmi les freins au départ des victimes. Ces dernières peuvent être sans emploi ou sans prestations sociales, mais aussi disposer de ressources propres et en être privées par l’emprise économique dont le conjoint violent fait preuve.
Les moyens employés par les auteurs de violences pour placer leur victime dans une dépendance économique sont nombreux : chantage financier, confiscation des ressources ou des moyens de paiement, comportements visant à placer la victime dans des surendettements personnels…
Dès lors, comment donner les moyens financiers aux victimes de s’extirper de leur environnement violent ? La proposition de loi choisit d’accorder une aide d’urgence, débloquée en trois jours et versée par la caisse d’allocations familiales pendant trois mois.
Le besoin de créer une aide d’urgence est un constat partagé sur les travées de notre assemblée. Une proposition de loi à l’objectif similaire, déposée par notre collègue Michelle Gréaume, adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre aux CAF de verser des avances sur droits supposés au RSA, financées par le département.
La proposition de loi que nous examinons prévoit un dispositif sui generis, sous la forme d’un prêt qui se rapprocherait des prêts d’honneur que les conseils d’administration des CAF peuvent librement consentir au titre de leur politique d’action sociale.
L’article 1er de la proposition de loi, adopté par la commission, prévoit une avance d’urgence octroyée par les caisses et financée par la branche famille.
Ce prêt à taux zéro serait versé en trois mensualités, dont la première devra être payée dans un délai très court – la commission l’a porté à trois jours ouvrés. Ce délai reste très ambitieux, mais l’étendre davantage aurait affaibli l’intérêt du dispositif d’urgence.
Le montant du prêt sera fixé par décret. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir des montants majorés lorsque la victime quitte le domicile avec ses enfants. J’insiste sur ce point, en présence de Mme la ministre : les enfants sont directement victimes des violences conjugales, et les femmes victimes quittent rarement le domicile en abandonnant leurs enfants. L’aide d’urgence devra donc être adaptée à la situation familiale des victimes.
La commission s’est penchée sur la question des conditions d’octroi permettant aux victimes de violences conjugales de faire valoir leur droit. Elle a considéré qu’un fait générateur trop souple risquerait de gêner la mise en œuvre de la loi et a donc retenu des conditions d’octroi précises. Elle a ainsi conditionné la délivrance de l’avance à une ordonnance de protection ou à un dépôt de plainte attestant de violences conjugales.
Ces deux critères étaient déjà prévus à titre illustratif par le texte initial. Cependant, nous savons bien que nombre de femmes n’osent pas pousser la porte de la gendarmerie ou de la police et dénoncer les faits qu’elles subissent.
De même, seules 5 800 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021 par les juges aux affaires familiales. C’est pourquoi, afin de ne pas trop restreindre l’accès à ce prêt d’urgence, la commission a ouvert la prestation aux victimes de violences attestées par un signalement adressé au procureur de la République.
S’appuyant sur une nouvelle disposition prévue par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, certains centres hospitaliers ont contractualisé avec le parquet, afin de faciliter, avec l’accord de la personne, les signalements des victimes prises en charge médicalement. L’avance d’urgence pourra ainsi s’appliquer à cette situation. L’article 1er prévoit également que les allocataires de l’avance bénéficient des droits accessoires à la prestation du RSA.
À côté du dispositif financier, la victime doit pouvoir être aidée, comme c’est déjà souvent le cas, par les associations ou les travailleurs sociaux des collectivités locales.
La commission a précisé que ces droits accessoires comprennent également un accompagnement social et professionnel adapté à leur situation, à l’instar de celui qui est délivré aux bénéficiaires du RSA.
La commission a également adopté un amendement, déposé par notre collègue Victoire Jasmin, visant à permettre aux bénéficiaires de l’avance d’urgence d’être domiciliés de droit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un autre organisme agréé.
Enfin, la commission a précisé les règles de récupération des avances, lesquelles seraient très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les CAF.
La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les caisses. Ces dernières pourront décider de remises ou de réductions de créances. Cette possibilité n’est pas hypothétique : les conseils d’administration des caisses devront faire preuve de discernement pour ne pas ajouter une dette à des situations de précarité ou de surendettement.
La proposition de loi prévoit également un mécanisme inédit de subrogation des CAF dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi. Ce mécanisme ne serait applicable que lorsque les victimes renoncent à leurs droits, ce qui n’est pas une situation rare. La récupération de la créance de la CAF pourra alors se faire sur les dommages et intérêts prononcés au bénéfice de la victime, ce qui permettra de faire payer l’auteur des violences en lieu et place de la victime.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit des mesures ambitieuses, en disposant que la victime déposant plainte pour des faits de violences conjugales devra être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire de la possibilité de demander l’avance d’urgence.
Plus encore, le gendarme ou policier « plaintier » devra enregistrer la demande de la victime et la transmettre à la CAF compétente, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.
Lorsqu’un travailleur social sera présent, cette mission lui sera naturellement assignée. Néanmoins, si le déploiement des intervenants sociaux en commissariat et unité de gendarmerie suit son cours, il est encore loin d’être effectif dans tous les départements. Nous nous sommes donc interrogés en commission sur le bien-fondé de cette disposition.
À l’évidence, il ne s’agit pas là de compétences naturelles aux policiers et gendarmes. Nous avons cependant préservé cette possibilité de demander l’avance à l’occasion du dépôt de plainte. Nous savons tous qu’une simple information des victimes sur leurs droits ne sera pas suffisante.
Les personnes, souvent dans des états traumatiques, ne seront pas si nombreuses à aller d’elles-mêmes vers la CAF. En outre, les situations contraintes dans lesquelles elles se trouvent peuvent les empêcher de se rendre comme elles le souhaitent auprès d’un nouveau guichet, retardant alors le déclenchement de l’aide.
Le texte propose donc un nécessaire mécanisme de liaison entre services de l’État et services sociaux, qui doit s’appliquer du mieux possible grâce à des échanges informatisés, formalisés dans des conventions locales.
En outre, un amendement de coordination de la commission aura pour objet de permettre aux assistants d’enquête, que le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur entend créer, d’exercer ces missions d’enregistrement et de transmission de la demande d’aide d’urgence.
Voilà, mes chers collègues, le dispositif que le présent texte entend établir. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé diverses mesures, notamment un « pack nouveau départ ». D’autres initiatives locales fleurissent : je pense à celle menée par la CAF du Var et le barreau de Toulon pour orienter efficacement les victimes de violences conjugales et mener sous quarante-huit heures un examen complet de leurs droits à prestations légales.
Nous ne pouvons que nous réjouir que toutes ces avancées aillent dans la même direction. Le dispositif de cette proposition de loi n’est donc ni concurrent ni redondant. Il s’agit d’une occasion de compléter les dispositifs existants d’aide aux victimes de violences conjugales. C’est pourquoi la commission a adopté la proposition de loi.
Il est évident que l’expérimentation dans le Nord pourra, le cas échéant, apporter des voies d’amélioration du texte en cours de navette parlementaire.
Par ailleurs, elle lèvera sans aucun doute les réserves institutionnelles qui peuvent encore être formulées. Cette aide monétaire légale s’inscrira dans les environnements déjà formés par les acteurs de l’action sociale. Le texte laisse en effet la liberté au pouvoir réglementaire et aux parties prenantes de s’organiser au plus proche des besoins de chaque département.
Applaudissements.
La parole est à Mme la ministre déléguée. ( M. Xavier Iacovelli applaudit.)
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi de féliciter Mme la sénatrice Valérie Létard et Mme la rapporteure Jocelyne Guidez pour leur mobilisation dans la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause des deux quinquennats du Président de la République.
Je sais le Sénat particulièrement engagé sur cette question, comme en témoignent les nombreuses signatures transpartisanes recueillies par cette proposition de loi.
La lutte contre les violences conjugales, premier pilier de la grande cause du quinquennat, s’est traduite par plusieurs actions concrètes, fruits pour la plupart du Grenelle des violences conjugales et du travail conjoint du Gouvernement et des parlementaires.
C’est l’illustration que nous avançons collectivement sur ce sujet qui dépasse largement les clivages partisans. C’est aussi le résultat du ressaisissement collectif qu’a opéré notre société ces dernières années, notamment grâce à la vague #MeToo, qui a déferlé sur le monde. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Trop longtemps, notre société n’a pas écouté les victimes, ne les a pas crues, les laissant souvent seules face à l’emprise, abandonnées face aux coups, dans un huis clos avec leur agresseur.
Depuis cinq ans, nous n’avons eu de cesse de renforcer les dispositifs de protection ou d’en créer de nouveaux. Je pense aux téléphones grave danger, aux ordonnances de protection, aux bracelets anti-rapprochement, à la présence renforcée des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries, à la formation massive des policiers, des gendarmes et des magistrats, mais aussi à la considérable progression du nombre de places d’hébergement d’urgence durant le précédent quinquennat. Ce mouvement, je compte bien entendu le poursuivre.
La Première ministre a annoncé le 2 septembre dernier qu’elle présiderait dans les prochains mois un comité interministériel sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Je le piloterai en vue d’établir dans son prolongement un plan gouvernemental qui sera décliné dans les cinq ans à venir.
Oui, je partage votre constat : il faut aider les femmes et les victimes à sortir de cette emprise. Au cours de mes trente ans de magistrature et de mes quelques années de présidence de cour d’assises, j’ai trop souvent été témoin de ces faux départs.
Même lorsqu’une femme parvient à parler, à révéler les faits, elle reste trop souvent sous la dépendance financière ou psychologique de son conjoint et finit parfois par retourner auprès de lui. Le cas échéant, c’est lors de ces allers-retours que l’irréparable est commis.
J’ai également beaucoup travaillé avec les associations, comme magistrate, puis en tant que haut fonctionnaire du ministère de la justice chargée de coordonner les travaux du Grenelle : elles pensent aussi qu’il faut agir vite.
Oui, il faut aider les femmes à sortir de cette emprise et éviter à tout prix ces faux départs. En ce sens, le « pack nouveau départ » sera expérimenté à la suite du comité interministériel.
Quant à votre texte, il vise à créer un dispositif d’aide financière sous la forme d’une avance versée par les caisses d’allocations familiales aux femmes victimes de violences. Il s’agirait d’un prêt sans intérêt, ce qui pose bien évidemment la question de son remboursement.
Cette perspective pourrait constituer un frein à l’objectif consistant à sécuriser les femmes pour qu’elles se décident à fuir. Pour répondre à cet enjeu, votre texte permet notamment à la CAF, via un mécanisme de subrogation, de se retourner contre l’auteur des violences pour obtenir le remboursement du prêt.
Un tel dispositif se heurte néanmoins en droit au principe de la subrogation légale, qui suppose que les créances transmises soient de même nature et répondent au même régime juridique.
Or l’avance octroyée par la CAF est un prêt sans intérêt, de nature et de régime distincts des indemnités octroyées par le tribunal correctionnel en réparation du préjudice subi par la victime de violences. La mise en œuvre de ce dispositif serait donc d’une particulière complexité, et le remboursement par l’auteur semble très hypothétique.
De manière plus générale, si l’autonomie financière est un volet essentiel de l’aide que nous devons apporter à ces femmes, il n’est pas le seul.
Comme vous le savez, leurs besoins sont multiples : logement, aide financière, accès aux droits, garde d’enfants, réinsertion professionnelle, accompagnement psychologique… L’esprit du « pack nouveau départ » passe justement par le développement d’une prise en charge globale coordonnée, prioritaire dans la durée et individualisée.
Avant de généraliser un modèle de prise en charge, la Première ministre et moi-même allons lancer une expérimentation dans plusieurs territoires, pour définir le dispositif qui répondra le mieux aux besoins des femmes.
Nous souhaitons y associer pleinement les parlementaires et nous inspirer des dispositifs qui fonctionnent sur leur territoire.
J’aimerais d’ailleurs, comme vous l’avez fait, madame la rapporteure, saluer plusieurs initiatives développées par les CAF.
Par exemple, la CAF de la Côte-d’Or propose une aide financière individuelle non remboursable d’un montant maximal de 1 500 euros aux victimes de violences conjugales ayant au moins un enfant à charge.
La CAF du Var a signé un protocole avec le barreau de Toulon pour prendre en charge sous quarante-huit heures toute victime de violences conjugales à la demande de son avocat, une aide financière étant versée aux victimes pour un relogement en urgence.
La CAF du Val-d’Oise apporte des aides pour acquérir des biens d’équipement ménager ou mobilier de première nécessité.
Dernier exemple, la CAF de la Somme finance une aide au départ d’urgence d’un montant de 500 euros, plus 200 euros par enfant, versée aux femmes victimes de violences conjugales par les associations têtes de réseau départemental.
Je pourrais citer de nombreux autres exemples, ce qui montre la mobilisation collective qui a lieu un peu partout sur le territoire.
L’expérimentation qui sera lancée dans votre département, le Nord, madame la sénatrice Valérie Létard, et qui a inspiré votre proposition de loi, est intéressante. Elle peut être intégrée dans les réflexions du Gouvernement, mais elle doit être, à notre avis, enrichie pour couvrir tous les besoins des femmes.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet sur ce texte à la sagesse du Sénat et s’engage à travailler en synergie avec les parlementaires, les collectivités et les associations désireux d’agir concrètement.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets sur lesquels nous devons nous exprimer avec la plus grande précaution. C’est le cas des violences conjugales, parce qu’il s’agit de situations où la violence s’immisce dans l’intime, où l’amour s’abîme dans l’horreur et dans la haine, où les problématiques sont aussi complexes que révoltantes.
Cette précaution ne doit pas nous empêcher d’agir, bien au contraire. Seulement, il convient de privilégier la voie du pragmatisme à celle de l’idéologie, la mesure et l’action aux condamnations à l’emporte-pièce. C’est pourquoi je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Valérie Létard, dont le travail répond précisément à cette exigence.
Que le dispositif de la proposition de loi soit directement inspiré par une expérimentation conduite par des acteurs de terrain a de quoi nous rassurer à cet égard. Ces acteurs de terrain, qu’il s’agisse des services sociaux de proximité ou des associations de soutien aux victimes de violences conjugales, sont unanimes sur la question : le soutien aux victimes doit passer par une aide d’urgence, facilement accessible et rapidement décaissable.
En effet, comme je le disais en préambule, les victimes de violences conjugales sont particulièrement fragiles et précaires, puisqu’elles partagent bien souvent le même domicile et les mêmes revenus que leur bourreau. En conséquence, les victimes n’ont aucun moyen d’échapper à ces violences, qui sévissent au sein même du foyer.
D’où le cercle vicieux de la violence, qui s’installe de manière pernicieuse dans la normalité d’un couple, où les sévices, tout d’abord isolés, commencent à se répéter, puis à devenir de plus en plus graves. Et puisque les victimes n’ont pas les moyens de s’échapper, ces violences finissent par se banaliser : elles deviennent régulières, bien souvent quotidiennes ; bientôt, les victimes ne peuvent plus s’y opposer ni même les éviter.
Que faire face à cette banalisation du mal ? Que faire, alors même que les victimes ont parfois tendance à occulter ou à nier les violences qu’elles subissent, parce qu’un lien affectif les unit encore à leur bourreau ?
La proposition de loi que nous allons examiner vise précisément à offrir à ces victimes l’espoir d’une échappatoire. En prévoyant la possibilité de débloquer en trois jours un pécule pour permettre à la victime de se mettre à l’abri, nous apportons une réponse concrète pour briser ce cercle vicieux de la violence.
En commission, j’ai fait part de plusieurs interrogations relatives à la sécurisation du dispositif, notamment pour ce qui concerne les modalités de versement de l’avance et de son recouvrement.
Je crois que l’adoption des amendements proposés par la rapporteure a contribué à renforcer le dispositif. Les précisions apportées, notamment pour mieux définir les critères d’octroi, rendront le dispositif envisagé plus efficace et plus opérant.
Pour dire clairement les choses, c’est toute la difficulté de ce dispositif qui doit apporter une réponse rapide pour faire face à l’urgence d’une situation, en évitant à tout prix que l’irréparable ne se produise. C’est cet objectif qui nous oblige à veiller, en priorité, à la célérité du dispositif. Cela n’exclut pas une forme de contrôle, mais il est nécessaire que ce contrôle intervienne ex post, c’est-à-dire après le versement de l’avance, afin de ne pas ralentir une procédure dans laquelle la mise à l’abri d’une victime tient parfois à peu de chose.
En conclusion, je crois que le travail en commission a amélioré une initiative parlementaire de grande qualité, qui répond aux préoccupations issues du terrain. Nous avons déposé un amendement qui vise à répondre à un angle mort de la proposition de loi et qui a pour objet le versement par les mutuelles sociales agricoles de cette avance.
Le groupe Les Indépendants soutient cette initiative. J’espère qu’elle sera largement adoptée par le Parlement et rapidement mise en œuvre par le Gouvernement.
Applaudissements.
M. Joël Labbé applaudit.
Sourires.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quarante ou cinquante ans, apparaissaient, grâce aux mouvements féministes, les expressions « féminicide » et « violences conjugales ». Il y a trente et un ans était créé le premier numéro d’appel d’État anonyme pour les victimes de violences conjugales. Il y a six ans commençait le décompte des féminicides en France. Il y a cinq ans, #MeToo libérait la parole sur les violences sexuelles, notamment au sein des couples.
Depuis lors, des lois ont été votées en 2014, 2018 et 2020 pour tâcher de pallier nos manquements. Mais la France continue d’être un pays où les femmes meurent et sont victimes de violences, parce qu’elles sont des femmes. Le décompte de nos mortes est à 102 féminicides pour 2022.
Nous ne cessons de dire tous les ans en novembre et en mars à toutes les victimes de violences que nous les croyons. Croire la parole est essentiel, mais, quand on est cru, encore faut-il pouvoir partir de chez soi, fuir son conjoint violent, en avoir la possibilité économique.
Nous vivons encore dans un monde où la réalité est que, dans les couples hétérosexuels, la majorité des hommes gagnent plus d’argent que leurs conjointes, l’écart de revenus étant de 47 % en faveur des hommes. Cet écart se creuse avec les séparations conjugales.
Face à cet état de fait, le texte proposé par notre collègue Valérie Létard prévoit l’attribution d’un prêt aux femmes victimes de violences afin de leur donner les moyens de partir de chez leur conjoint violent et d’engager des actions judiciaires.
Le principe d’un prêt, c’est qu’il doit être remboursé. Or il peut paraître difficile de demander à une femme victime de violences d’accepter un prêt, certes à taux zéro, car elle devra s’engager à le rembourser, en supposant qu’elle en aura les moyens.
De plus, 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, si bien que, en l’état actuel de la réalité de notre pays vis-à-vis du traitement judiciaire des violences conjugales, les femmes devront, sauf exception, rembourser ce prêt.
Enfin, même si la procédure aboutit à une condamnation, la CAF pourra utiliser les dommages et intérêts obtenus pour réparation de violences, alors que ceux-ci, auxquels nul n’aurait touché si la victime avait eu les moyens, ont vocation à réparer les préjudices subis.
Je pense également aux Françaises qui résident à l’étranger, qui me semblent en partie oubliées par ce texte et auxquelles nous devons aussi protection. En effet, les victimes devront être inscrites sur le registre des Français établis hors de France et porter plainte ou faire un signalement en France ou dans le pays de résidence.
Or plus de la moitié des Français qui vivent à l’étranger ne sont pas inscrits sur ce registre – on peut estimer que c’est une erreur de leur part, mais c’est la réalité. Je regrette donc que cette inscription soit obligatoire. On se lance rarement dans de telles démarches administratives lorsque l’on est victime de violences conjugales…
Cela dit, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce texte, qui constitue malgré tout une avancée, un petit pas dans la bonne direction.
Cette proposition de loi ne doit pas faire oublier tout le chemin qu’il reste à parcourir en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, en termes de prévention, de formation et de moyens financiers alloués à la mise en sécurité des victimes et de leurs enfants, à leur reconstruction, à la fin de l’impunité et à la neutralisation des agresseurs.
En attendant, mes chers collègues, je vous invite à ne pas oublier d’aller manifester le 16 novembre avec le collectif Nous toutes contre toutes les violences sexistes et sexuelles. C’est par la rue que nous gagnons les combats !
Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Xavier Iacovelli et Mme Valérie Létard applaudissent également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 213 000, c’est le nombre de femmes qui déclarent avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.
Les chiffres, nous le savons, sont plus qu’alarmants. En 2020, une femme meurt tous les trois jours et demi sous les coups de son mari ou de son ex-mari. En 2021, quelque 122 femmes et 21 hommes sont ainsi décédés. Ces violences touchent tous les territoires et toutes les catégories sociales. Elles sont toujours, lorsque l’issue n’est pas mortelle, source d’isolement et de vulnérabilité chez la victime, trop souvent livrée à elle-même, seule face à son bourreau.
Face au calvaire que vivent de trop nombreuses victimes, nous devons agir.
Agir, en protégeant les personnes victimes de violences conjugales. C’est l’ambition de la loi de 2010 que le Parlement et le Gouvernement ont renforcée sous la précédente législature et qui permet au juge des affaires familiales de statuer sur des mesures de protection sans que la personne ait déposé plainte. Le nombre d’ordonnances n’a cessé d’augmenter depuis 2015 ; il a même doublé en cinq ans.
Agir, en éloignant le conjoint violent, car ce ne doit pas être systématiquement à la victime de quitter le domicile. C’est l’objectif du bracelet anti-rapprochement, dispositif de surveillance électronique créé par la loi du 28 décembre 2019, qui permet de géolocaliser la victime et son agresseur, ce qui constitue l’une des mesures les plus protectrices en matière de violences conjugales.
Je pense également à l’instauration du référé violences conjugales, procédure qui permet au juge d’ordonner l’éviction du conjoint violent et l’attribution du domicile conjugal à la victime.
Agir, en apportant assistance aux victimes en situation de vulnérabilité et en grave danger. C’est la raison pour laquelle le dispositif téléphone grave danger, accessible sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a été généralisé, afin de permettre à toutes les victimes de violences conjugales d’y avoir accès sur l’ensemble du territoire. Il permet d’alerter et de faire intervenir immédiatement, grâce à la géolocalisation, les forces de l’ordre en cas de menaces ou de violences.
Un numéro unique, le 3919, a par ailleurs été déployé, et l’examen de cette proposition de loi doit nous permettre d’en faire la promotion à destination de toutes les femmes victimes ou en danger.
Agir, enfin, pour l’avenir des victimes. C’est tout l’objet du pacte Nouveau départ, annoncé en septembre dernier par Mme la ministre, qui accompagnera les victimes de violences de façon globale grâce à la mobilisation d’aides sociales, l’accès à la formation, l’aide au retour à l’emploi, l’hébergement d’urgence ou encore un soutien psychologique.
Pourtant, malgré ces avancées salutaires et l’action du Gouvernement, la situation est critique, mes chers collègues. Trop de femmes, par peur de se retrouver seules avec leur conjoint violent, s’enferment dans le déni, parfois la honte, et renoncent à porter plainte ou à s’enfuir.
Face à ces drames, il est de la responsabilité du législateur d’apporter des solutions concrètes. C’est l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Déposé par Valérie Létard, ce texte, dont j’ai l’honneur d’être cosignataire, vise à créer une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales.
Le groupe RDPI partage son objectif, puisque le dispositif permettra à la victime de s’extraire, avec ses enfants, d’une situation de danger, en lui apportant une aide garantissant son autonomie financière.
Protéger la mère, c’est aussi protéger les enfants. Ces enfants sont en effet les victimes directes, lorsqu’ils sont eux-mêmes frappés ou menacés, ou indirectes, lorsqu’ils sont tout simplement exposés à ces violences. Par ailleurs, ils sont souvent instrumentalisés pour maintenir une certaine emprise du conjoint violent sur la victime.
Les études récentes montrent que les enfants traumatisés par ces violences ont davantage de problèmes de santé, comme des retards de croissance, et qu’ils présentent dix à dix-sept fois plus de troubles du comportement que les enfants qui vivent dans un foyer sans violence.
Nous sommes néanmoins sceptiques quant à la notion de prêt, car devoir rembourser cette aide pourrait, dans de nombreux cas, être synonyme d’insécurité chez les femmes victimes en situation de précarité qui en subiraient les effets sur le plan financier. Mais je ne doute pas que Valérie Létard nous apportera des réponses complémentaires visant à pallier les difficultés que ce dispositif pourrait entraîner.
En tout état de cause, et malgré cette réserve, notre groupe soutiendra sans réserve cette proposition de loi.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Valérie Létard d’avoir déposé cette proposition de loi et, ainsi, lancé une procédure législative qui, nous le souhaitons, aboutira. Je la remercie aussi d’avoir engagé dans son département une expérimentation qu’elle propose ici, d’une certaine façon de généraliser.
Celles et ceux d’entre nous qui ont déjà eu l’occasion d’accompagner des victimes de violences conjugales le savent : l’un des premiers écueils à la dénonciation des violences subies est la crainte des conséquences de cette dénonciation, en particulier le fait de devoir quitter le domicile et de se retrouver sans ressource, dans une précarité matérielle qui menace la survie de l’écosystème mère-enfant.
Cette crainte est dissuasive et amène nombre de femmes à rester dans le foyer conjugal. Il arrive souvent que des gens nous demandent pourquoi ces femmes restent dans cette situation… Nous avons tant de réponses à leur donner ! Ce texte propose de traiter l’une des explications de ce phénomène.
L’indépendance économique est une étape indispensable pour l’émancipation des femmes, qu’elles soient ou non, d’ailleurs, victimes de violences. L’indépendance économique est également importante pour prévenir les violences conjugales.
C’est la raison pour laquelle j’ai défendu la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial, ou encore l’augmentation du Smic. En effet, je le rappelle, en 2021 quelque 59, 3 % des salariés au Smic étaient des femmes. Par conséquent, un Smic bas signifie davantage de femmes en situation de précarité.
Nous fêtons cette année les cinq ans du mouvement #MeToo. Grâce aux milliers de témoignages de violences sexuelles et sexistes, grâce au mouvement féministe, grâce à la mobilisation des associations spécialisées, le combat contre les violences conjugales est maintenant un objet de politique publique qui mobilise les gouvernements depuis de nombreuses années.
Cette mobilisation n’a pas commencé en 2017. J’ai moi-même défendu le cinquième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, en tout cas, il s’agit d’un sujet de société.
J’en profite, madame la ministre, pour vous dire qu’il est positif d’avoir organisé un Grenelle sur ce sujet, mais qu’il est également important de définir un plan interministériel s’inscrivant dans la continuité des précédents plans.
Des choses ont été faites, mais il en reste encore, aussi bien sur le plan légal que d’un point de vue matériel et pratique.
Il nous faudra ainsi travailler sur plusieurs questions : les restrictions aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences ; l’exclusion de la résidence principale de l’enfant chez l’auteur des violences ; l’augmentation de la durée et de la portée de l’ordonnance de protection ; la dissimulation de l’adresse de résidence et de l’école des enfants à l’ex-conjoint violent ; le renforcement de la lutte contre les violences post-séparation, etc.
Je ne doute pas que le calendrier parlementaire nous permettra d’avancer sur ces différents points. J’imagine que la mission parlementaire que vous avez lancée, madame la ministre, et confiée à une sénatrice et à une députée permettra, au-delà de la question relative à la juridiction spécialisée, de balayer l’ensemble des difficultés juridiques qui se posent. Ainsi éliminerons-nous les « trous dans la raquette », si vous me passez l’expression, qui subsistent.
La création d’une aide financière d’urgence pour les victimes de violences conjugales est indispensable : c’est un moyen immédiatement mobilisable pour faciliter la sortie des violences. J’ajoute que nous aurions tort d’hésiter à voter cette mesure vu la situation financière de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), puisqu’elle est en excédent cette année !
Un amendement déposé par ma collègue Victoire Jasmin au nom du groupe socialiste a pour objet la domiciliation de droit des victimes de violences conjugales bénéficiant de l’avance d’urgence auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un organisme agréé, si elles le demandent.
Pour conclure, je veux ajouter que cette mobilisation financière nouvelle, qui constitue de fait un effort pour la collectivité publique, est finalement un juste retour des choses.
Je vous suggère de ce point de vue la lecture du Coût de la virilité de Lucile Peytavin, dans lequel cette dernière souligne à quel point la violence masculine est omniprésente dans la société et très coûteuse pour elle. Elle indique ainsi : « En France, les comportements virils masculins sont responsables chaque année de 7 milliards d’euros sur les 9, 06 milliards d’euros du budget total de la justice, […] de 8, 6 milliards d’euros sur les 13, 1 milliards d’euros du budget total des forces de l’ordre, de 2, 3 milliards d’euros sur les 16, 1 milliards d’euros du budget total des urgences et des hospitalisations qui s’ensuivent. À cela, il faut ajouter le coût humain et social de ces infractions à la loi, puisqu’il y a, derrière ces actes, des vies brisées ».
Plus de 200 000 femmes sont victimes chaque année de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Sur la totalité des violences conjugales, 96 % des auteurs sont des hommes. Cela représente, pour nos finances publiques, un coût de 3, 3 milliards d’euros par an.
Au regard de ce que nous coûte la violence masculine, le budget que nous propose de mobiliser Valérie Létard est bien minuscule, d’autant qu’il s’agit de prêts, donc de sommes destinées à être remboursées.
En proposant de créer une aide financière d’urgence, cette proposition de loi va dans le bon sens, celui du soutien aux victimes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra avec enthousiasme.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet des violences conjugales revient régulièrement devant notre assemblée, et force est de constater qu’il reste beaucoup à faire pour éradiquer ce mal qui ronge notre société.
Le Nord est le deuxième département de France métropolitaine le plus touché ; c’est dire si Valérie Létard et moi connaissons bien la problématique. Une réalité locale qui rejoint les statistiques nationales des violences faites aux femmes.
En 2019, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 213 000 femmes ont été victimes de violences physiques et sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Selon le bilan du ministère de l’intérieur paru cet été, le nombre de féminicides a augmenté de 20 % en 2021 par rapport à l’année précédente : 122 de nos sœurs, de nos mères, de nos cousines, de nos voisines, de nos filles sont décédées sous les coups d’un conjoint ou ex-conjoint, contre 102 en 2020.
Ce qui retient les femmes de quitter le domicile conjugal, outre l’emprise exercée par le conjoint, c’est le manque de ressources financières. En effet, il est fréquent que les victimes n’aient pas accès au compte bancaire du foyer ou qu’elles n’aient pas de source de revenus personnelle.
Le départ est alors synonyme de difficultés à assurer, pour elles et pour leurs enfants, les achats de première nécessité. Très souvent, ces difficultés contribuent à un retour contraint au domicile conjugal. La mise en place d’une aide financière d’urgence aux victimes permettra d’encourager cette démarche salvatrice de départ.
J’avais moi-même formulé cette proposition dans un texte déposé en février 2021 : il s’agissait d’attribuer le RSA en urgence aux victimes de violences intrafamiliales. Ce dispositif sera d’ailleurs expérimenté dès le mois prochain dans mon arrondissement du Valenciennois, sur l’initiative du département du Nord. On pourra au passage regretter que l’évaluation de cette expérimentation n’ait pas été attendue avant de débattre d’un dispositif alternatif.
Dans le texte qui nous est soumis, l’aide prend la forme d’un prêt accordé par les caisses d’allocations familiales, déclenché dans un délai porté à trois jours ouvrés par la commission et versé en trois mensualités. Les modifications apportées par la commission ont permis de cadrer les conditions d’accès à cette aide sans qu’elles soient trop restrictives, et nous devons l’en remercier et saluer le travail de notre collègue Guidez, en tant que rapporteure de ce texte.
Ce principe de soutien au départ d’urgence n’a pas vocation à remettre en cause le principe d’éloignement des auteurs des violences ni à résoudre à lui seul l’ensemble de la problématique des violences faites aux femmes.
Je rappelle que les associations féministes demandent un investissement massif, à hauteur d’un milliard d’euros, afin d’engager efficacement une véritable lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans l’esprit de la grande cause nationale décrétée et annoncée par le Président de la République à l’aube de son précédent mandat.
La prévention et la protection des femmes et des enfants victimes de violences sont également indispensables pour éviter que ces comportements ne se reproduisent de génération en génération.
Néanmoins, il s’agit d’un premier pas, qui doit être salué, pour accompagner les victimes de violences conjugales. Avec cette proposition de loi, le Sénat a l’occasion d’envoyer un signal, en montrant que nous sommes capables de nous réunir et de dépasser nos divergences partisanes pour lutter contre les violences conjugales.
Pour cette raison, le groupe CRCE votera ce texte modifié par la commission.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà cinq ans que #MeeToo a libéré la parole des femmes, cinq ans que, avec courage, elles sont enfin sorties du silence, bravant le sentiment de honte qui trop souvent les enferme dans un carcan de culpabilité.
Les témoignages se sont multipliés dans toutes les couches de la société, révélant au grand jour des violences jusque-là insoupçonnées ou ignorées. Les victimes se sont mises à parler et la société à les écouter – enfin ! Nous avons pris conscience de ce fléau. C’est une véritable révolution.
Les violences conjugales sont un phénomène multiforme, complexe, qu’il nous revient de traiter dans sa globalité.
Elles peuvent être physiques, psychologiques, mais aussi économiques. Elles se traduisent dans les faits par une précarité telle que la victime ne peut survivre sans son agresseur. Chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, ces comportements visent à acculer la victime et à la pousser vers un surendettement personnel. Lorsqu’elles font appel aux numéros d’aide aux victimes, 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques.
Selon le ministère de l’intérieur, les plaintes pour violences conjugales atteignaient en 2020 le nombre de 159 400, en hausse depuis quelques années, alors qu’une enquête statistique du ministère estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales, dont 72 % de femmes et 28 % d’hommes – il ne faut pas oublier ces derniers.
En 2021, quelque 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou un ancien conjoint, soit une hausse de 20 % par rapport à 2020.
J’ajoute qu’une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.
Un certain nombre de mesures ont déjà été prises ou renforcées : le téléphone grave danger – il y en a plus de 4 000 – ; le 3919 joignable sans interruption depuis le 30 août 2021 ; la messagerie instantanée qui permet de dialoguer avec un agent de police ; les plus de 9 000 places d’hébergement avec les 1 000 nouvelles décidées en début d’année ; les ordonnances de protection prises par un juge aux affaires familiales qui prononce l’éloignement du conjoint violent et permet, dans le même temps, d’organiser la vie de la famille ; les bracelets anti-rapprochement ; enfin, les centres de prise en charge des auteurs de violences pour éviter des récidives.
Malgré ces avancées, les données issues des appels au numéro 3919 Violence Femmes Info montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal et que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs pour revenir au foyer faute de moyens financiers leur permettant d’être autonomes. Il leur est donc très difficile de couper définitivement les ponts avec leur tortionnaire, d’autant plus lorsqu’elles partent avec leurs enfants.
L’aide financière d’urgence doit donc s’imposer comme l’un des piliers de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes de violences conjugales.
C’est une mesure de bon sens, qui émane du terrain, de celles et ceux qui travaillent au quotidien avec ces victimes : services sociaux du département, CAF, parquet, associations. Pour avoir été en charge des solidarités au conseil départemental du Doubs, je peux dire, chère Valérie Létard, que cette proposition de loi est la bienvenue.
Quelques éléments du texte me semblent particulièrement importants.
Nous savons que, au-delà de soixante-douze heures, les victimes, livrées à elles-mêmes, sont contraintes de rentrer au domicile. Ce dispositif répond à ce problème en versant, dans un délai maximum de trois jours, une somme dont le montant sera fixé par décret.
Cette aide étant non pas une allocation, mais bien un prêt à taux zéro, elle devra être remboursée dans son intégralité selon un échéancier variable. Cependant, la proposition de loi contient un mécanisme permettant à la CAF de se constituer partie civile. Cela lui permettra, si le prêt est encore en cours moment du jugement, de se rembourser sur les dommages et intérêts versés par le coupable.
Enfin, cette aide est universelle, et je pense que, à ce niveau d’urgence, il n’y a pas lieu de faire une quelconque distinction entre milieux sociaux.
Nous connaissons tous le taux de non-recours aux aides sociales. C’est pour cette raison qu’il incombera soit à l’officier ou l’agent de police judiciaire, soit à l’intervenant social en commissariat et gendarmerie recevant la victime de l’informer de l’existence de ce prêt, d’en enregistrer la demande et de la transmettre à la CAF, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.
Cette procédure nécessitera une parfaite information et formation de ceux qui sont souvent en première ligne pour accueillir les victimes.
Je terminerai mon propos en soulignant le travail formidable accompli par tous les partenaires, dans toutes les associations d’aide aux victimes de violences conjugales, souvent confrontées à des difficultés financières. Je garde en mémoire la lueur d’espoir qui se rallume dans les yeux de celles qui sont prises en charge et accompagnées pour se reconstruire et qui voient enfin leur avenir s’éclaircir.
Je voudrais remercier chaleureusement notre collègue Valérie Létard d’avoir travaillé sur le terrain dans son département du Nord et concrétisé ce dispositif si utile, ainsi que Jocelyne Guidez de son travail consciencieux et sérieux de rapporteure, qui a permis d’amender ce texte avec précision.
Je suis persuadée que cette proposition de loi permettra de réaliser un bond en avant dans la lutte contre les violences conjugales et pourra éviter bien des drames en offrant une échappatoire aux victimes.
Mme Annick Jacquemet. Le groupe Union Centriste votera évidemment en faveur de ce texte.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme le souligne le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « l’autonomie financière est une condition pour reprendre sa vie en main ». J’ajoute : a fortiori lorsqu’il s’agit des femmes victimes de violences conjugales.
Reprendre sa vie en main est un long parcours. Il faut tout d’abord que ces femmes soient écoutées et que l’on prenne en considération ce qu’elles disent, les mots et les souffrances qui les accompagnent. Elles cherchent aussi une protection pour, enfin, envisager de se reconstruire.
La mise en place de cette avance d’urgence pour les victimes de violences conjugales incite à emprunter cette voie, si difficile soit-elle. C’est une pierre qui s’ajoute à la construction d’une culture de la protection, si défaillante actuellement.
Pour plus de 350 000 interventions par les forces de l’ordre au domicile des familles, seuls 79 000 procès-verbaux de renseignement judiciaire et mains courantes ont été déposés en 2019. La faille réside dans cet écart. S’il y avait eu une prise en charge à temps, on aurait pu éviter quelques victimes.
Mardi dernier, j’ai rencontré Aïcha dans les locaux du foyer Louise Labé, géré par l’association Halte aide aux femmes battues, un centre d’hébergement spécialisé. Voici son témoignage : « Mon mari me frappait. Il me disait “Maintenant que tu n’as plus ta famille, je fais ce que je veux de toi”. Alors un jour, je suis partie avec un bébé dans le ventre, un dans les bras, mes claquettes et rien d’autre. Pendant deux ans, je n’ai pu toucher aucune aide. »
Conjointement à la colère des femmes dont les signalements ne sont pas toujours entendus, il est heureux, si l’on peut s’exprimer ainsi, que l’actualité fasse écho au sujet qui nous réunit aujourd’hui.
En réalité, la relative libération de la parole des femmes oblige les institutions à agir dans le bon sens : c’est ce que nous ferions en votant ce texte ! Il est temps que les victimes de violences conjugales soient guidées dans leurs démarches administratives et judiciaires, leur seul courage ne suffisant pas. Leur situation précaire et leur vulnérabilité, entretenues par des mécanismes d’emprise physique, psychologique et financière, aboutissent en fin de compte à leur isolement.
Si elle est votée, cette aide, même insuffisante, sera d’une grande utilité, aussi bien pour les victimes de violences conjugales que pour leurs enfants. Je voterai en faveur de ce texte.
Mmes Valérie Létard, Victoire Jasmin et Michelle Meunier applaudissent.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est difficile de ne pas partager l’ambition de cette proposition de loi déposée par notre collègue Valérie Létard, qui a eu l’amabilité de nous inviter à la cosigner, ce que plusieurs d’entre nous ont fait au sein du groupe RDSE.
Il y a eu 143 victimes de morts violentes au sein du couple en 2021, dont 122 femmes. L’année 2022 ne semble malheureusement pas marquer de recul, ce qui a sans doute poussé le Président de la République à déclarer grande cause nationale du quinquennat, pour la seconde fois, la lutte contre les violences faites aux femmes.
Le sujet a d’ailleurs fait la une des médias récemment, prouvant une fois de plus qu’aucun milieu n’était épargné par la violence et que, parmi les hommes politiques, certains avaient encore un long chemin à parcourir sur cette question.
Poussés par la société civile et de nombreuses activistes, les pouvoirs publics tentent, avec des moyens et des résultats encore insuffisants, de réduire la violence au sein des couples. Le Grenelle contre les violences conjugales de 2019 a accouché de 54 mesures, dont 46 sont aujourd’hui en vigueur. Des outils existent, comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement. En les assortissant d’un budget à la hauteur et en les accompagnant de mesures telles qu’une formation adaptée des forces de l’ordre ou l’éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge, nous pouvons espérer que la situation s’améliore dans les années à venir.
Dans l’immédiat, et afin de compléter l’arsenal aujourd’hui disponible, cette proposition de loi vise à répondre à une problématique récurrente pour les victimes de violences conjugales : la dépendance financière. Elles sont en effet nombreuses à demeurer ou à retourner au domicile conjugal faute de ressources suffisantes, notamment lorsqu’elles ont des enfants à charge, qu’elles refusent naturellement de laisser derrière elles. Les aides, telles que le RSA, lorsqu’elles y sont éligibles, sont assorties d’un délai souvent rédhibitoire.
Il est donc proposé, ici, de donner les moyens financiers aux victimes de s’extirper d’un environnement violent, en leur accordant une aide d’urgence, sous forme de prêt à taux zéro, délivré par la CAF en trois mensualités, dont la première débloquée sous trois jours.
Cette avance est subordonnée à une ordonnance de protection délivrée par le juge, un dépôt de plainte de la victime ou un signalement d’un professionnel de santé adressé au procureur. Elle pourra être récupérée par la CAF, si celle-ci se constitue partie civile, directement auprès de l’auteur des violences, pour demander, au nom de la victime, la réparation de la créance sur les dommages et intérêts prononcés. La victime n’aurait plus alors à rembourser le prêt.
La PPL prévoit, par ailleurs, que les allocataires de l’avance bénéficient automatiquement des droits accessoires à la prestation du RSA, comme la complémentaire santé solidaire ou les droits décidés par les collectivités, tels que le tarif réduit pour les transports en commun. Cependant, cette aide n’est pas subordonnée à un accès au RSA, ce qui la rend universelle.
Ce texte s’appuie sur une expérimentation menée par le conseil départemental du Nord, la CAF, le parquet et d’autres acteurs, notamment associatifs. Cette expérience sera particulièrement utile à sa généralisation.
Une telle généralisation est souhaitable, voire indispensable puisqu’elle aboutira à la création d’un droit supplémentaire sur la question hautement sensible de la dépendance financière. Les auteurs de violences, eux, ne manquent pas de ressources. Le chantage financier et la confiscation des moyens de paiement sont fréquents. Ils aggravent le climat de violence, restreignent le champ de liberté des victimes et les éloignent de la perspective d’une fuite pourtant vitale.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera d’une seule voix pour cette proposition de loi.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que répondre aux victimes de violences, dont certaines, hélas, ne peuvent même plus nous entendre ?
En tout état de cause, tous les mots prononcés dans cet hémicycle aujourd’hui n’apaiseront en rien la douleur des coups répétés d’un conjoint violent.
Espérons néanmoins que ce débat puisse faire évoluer la cause des femmes et des hommes victimes de violences conjugales, afin que la peur change de camp une bonne fois pour toutes, qu’un véritable cadre protecteur et rassurant pour les victimes soit enfin mis en place, qu’elles ne se sentent plus seules et abandonnées à leur sort et qu’elles gardent ce qu’elles ont de plus précieux : leur liberté et leur dignité.
Alors, le ton doit être humble, et la volonté politique ambitieuse ! Réunis pour examiner ce texte défendu par notre collègue Valérie Létard, nous ne pouvons que la féliciter pour sa proposition, qui va dans le bon sens : rendre aux victimes de violences conjugales une indépendance financière, condition sine qua non pour qu’elles se libèrent enfin des chaînes de l’angoisse de la violence.
Ce texte est le fruit d’un consensus transpartisan. C’est avec honneur que j’en défends donc la teneur et en réaffirme la qualité.
Le Sénat s’est saisi depuis de nombreuses années de ce sujet et demeure une source inépuisable de propositions lorsqu’il s’agit d’introduire des mesures efficaces et protectrices envers les victimes de violences conjugales. Le récent rapport sur les zones blanches de l’égalité doit appeler toute l’attention du Gouvernement sur la particularité, notamment, des zones rurales, qui apparaissent malheureusement comme des terreaux intarissables de féminicides.
Si des moyens supplémentaires sont engagés pour endiguer cet effroyable fléau, il nous revient de veiller avec beaucoup de vigilance qu’ils puissent bénéficier à toutes et tous de façon égalitaire, et cela en tout point de l’Hexagone et des outre-mer. L’égalité entre les êtres, ce plébiscite de tous les jours, passe aussi par une égalité entre les territoires. Nous devons collectivement revoir notre copie pour que personne ne soit laissé sur le bord de la route.
À trente-six jours de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, affirmons d’abord notre reconnaissante admiration à celles qui ont trouvé les ressources pour demander de l’aide, entamer un processus de reconstruction et témoigner. Osons clamer enfin, car il le faut, que le combat pour l’égalité est une lutte de tous les instants, une bataille permanente, et que le moindre relâchement nous est interdit.
Alors que les Françaises et les Français décompteront les heures avant le passage en 2023, d’autres procéderont déjà au décompte des femmes lâchement assassinées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Le 1er janvier dernier, Muriel, Lisa et Éléonore ouvraient ce bal funeste illustrant les dysfonctionnements dramatiques de notre système judiciaire. Nous devons enfin comprendre que la non-assistance à personne en danger ne peut plus durer.
Pour preuve, un rapport de l’inspection générale de la justice de 2019 sur les homicides conjugaux indique que, si 41 % des victimes avaient alerté les forces de sécurité, 82 % des mains courantes et procès-verbaux de renseignement judiciaire n’avaient donné lieu à aucune investigation, tandis que 80 % des plaintes avaient abouti à un classement sans suite. Avant d’envisager d’autres réformes, il est urgent, pour celles qui sont encore en vie, d’appliquer les lois existantes.
La responsabilité individuelle ne doit pas se diluer dans la responsabilité collective. La parole politique, la loi et la justice ont le pouvoir de remettre ce monde à l’endroit, ce monde où la victime a trop longtemps été la coupable.
Et il nous faut penser au futur et ne pas hypothéquer la liberté de nos filles et de nos fils en laissant se perpétrer la violence devant eux, parce que ne pas arrêter la violence, c’est en engager une reproduction mécanique à l’égard de la génération suivante.
Comment ignorer qu’un enfant témoin présente quatre fois plus de chance de devenir auteur de violences conjugales et six fois plus de chance de devenir victime ?
Les études démontrent qu’ils subissent des traumatismes comparables à ceux que les personnes confrontées à la guerre développent. Comment tolérer encore en 2022 une telle destruction de l’enfance ?
Il y a urgence à agir sur les plans de la détection, de la prise en charge et de la protection des victimes de violences, tout en s’assurant de la mise hors d’état de nuire des personnes violentes. Il est urgent de protéger, soutenir et accompagner celles qui sont, chaque jour, humiliées, esseulées et violentées.
Chère Valérie Létard, je vous remercie de contribuer, grâce à vos travaux et aux dispositions de cette proposition de loi, à un meilleur accompagnement des victimes. Au-delà de ces avancées incontestables, la protection des victimes face aux violences doit rester une priorité collective. Le travail ne s’achèvera jamais tant qu’il y aura des êtres atteints de cette folie de suprématie sur l’autre, avec la violence comme seule arme d’affirmation.
Poursuivons tous ensemble ce chantier ô combien essentiel pour l’humanité.
Applaudissements.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment, dans notre pays, pouvons-nous contrer ce véritable fléau que constituent les violences conjugales ? Cette question, nous l’évoquons régulièrement au sein de cet hémicycle, tant le sujet est majeur, complexe et revêt plusieurs réalités.
Le constat est unanime : seule une mobilisation collective de tous les acteurs de la société permettra d’y arriver.
Je souhaite ce matin rappeler trois chiffres : les violences conjugales ont augmenté de 20 % en 2021. Quelque 87 % des victimes de violences sont des femmes, mais seulement 3 % des victimes de violences conjugales avaient porté plainte en 2020.
En février dernier, nous débattions ici même des mesures issues du Grenelle des violences conjugales de 2019. Nous mettions alors en évidence l’importance d’une réponse judiciaire rapide et efficace, mais également la question de la sensibilisation et de la formation des professionnels, ainsi que le sujet ô combien essentiel de l’accompagnement des victimes, qui recouvre de très nombreux aspects, notamment sociaux, psychologiques ou économiques.
Même si le principe premier doit être l’éviction de l’auteur des violences, il convient de rappeler que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile. Une réalité, qui ressort des témoignages des victimes, s’impose à nous : « Sans argent, on ne part pas ! ».
La dépendance économique de certaines femmes demeure actuellement l’un des freins pour quitter le domicile conjugal. Par ailleurs, les violences économiques, qui vont du contrôle financier jusqu’à la dépossession totale de moyens financiers, sont souvent invisibles et mal identifiées.
Ce type de comportement, qui fait partie intégrante des violences conjugales, mériterait d’être clairement défini dans notre droit interne. Il est indispensable que les victimes puissent faire confiance aux institutions et qu’elles puissent trouver et rencontrer des interlocuteurs de proximité, mais aussi échanger avec eux. Il nous appartient, à nous, législateurs, de faciliter et de sécuriser au mieux leur parcours.
Aussi, je salue aujourd’hui cette proposition de loi et le travail mené par notre collègue Valérie Létard. Instaurer une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, c’est tout simplement une réponse concrète, qui peut se mettre rapidement en place – une réponse à un besoin identifié.
Cette aide financière viendra ainsi compléter des initiatives locales qui ont émergé pour permettre d’accompagner les victimes sur le plan matériel. Je cite, pour exemple, l’association d’aide aux victimes Viaduq 67 dans le Bas-Rhin, qui distribue des produits de première nécessité aux femmes ayant quitté leur domicile.
Je tiens à saluer le principe même de cette aide d’urgence, qui prendra la forme d’un prêt financier sans intérêt versé par les caisses d’allocations familiales.
Je suis pleinement en accord avec les modalités envisagées par le texte, que le travail parlementaire a permis d’enrichir. Le mécanisme de subrogation des CAF dans les droits des victimes, pour demander réparation du préjudice subi et faire payer l’auteur des violences, me paraît tout à fait pertinent, tout comme l’information de la victime dès son dépôt de plainte, prévue à l’article 2. Il s’agit là d’une condition nécessaire pour que cette aide d’urgence soit effective dans de brefs délais, ce qui est indispensable pour que le dispositif puisse fonctionner.
Comme le souligne également l’auteure du rapport, cette aide d’urgence devra être accompagnée du déploiement d’intervenants sociaux en commissariat et unité de gendarmerie. Nous convergeons ici vers un constat déjà établi au moment du Grenelle : nous avons besoin de moyens humains au plus près des territoires, notamment dans la ruralité, pour combattre efficacement les violences conjugales.
Je tiens enfin à rappeler, pour m’en féliciter, que cette proposition de loi est le fruit d’une expérimentation de terrain, inspirée par des initiatives locales. Il s’agit là, à mon sens, de la meilleure manière de légiférer utilement et de manière pragmatique.
À ce titre, je souligne le travail mené quotidiennement sur le terrain par les acteurs locaux, associations, élus locaux, parquets, services de police et de gendarmerie. Notre message collectif est clair : inciter les femmes à porter plainte, les encourager à dénoncer l’inacceptable et leur permettre de quitter le domicile, étape souvent cruciale et délicate, notamment lorsqu’il y a des enfants.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains salue ce texte et votera bien évidemment en sa faveur.
Applaudissements.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Après le chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV BIS
« Avance d’urgence aux victimes de violences conjugales
« Art. L. 214 -8. – I. – Il est créé une avance d’urgence en faveur des victimes de violences conjugales. Cette avance est à la charge de la caisse nationale des allocations familiales.
« Dans les conditions prévues au présent article, l’avance d’urgence mentionnée au premier alinéa du présent I est accordée à la victime de violences commises par son conjoint, son concubin ou le partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité et attestées par une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales en application du titre XIV du livre Ier du code civil, un dépôt de plainte ou un signalement adressé au procureur de la République, notamment en application du 3° de l’article 226-14 du code pénal.
« II. – La demande d’avance est formulée auprès de la caisse d’allocations familiales dont la circonscription comprend le domicile du demandeur ou à l’occasion d’un dépôt de plainte, dans les conditions prévues à l’article 15-3-2-1 du code de procédure pénale. En application de l’article L. 264-1 du présent code, la victime de violences conjugales bénéficiaire de l’avance d’urgence mentionnée au I du présent article peut élire domicile soit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale, soit auprès d’un organisme agréé à cet effet.
« III. – L’avance octroyée est un prêt, sans intérêt, dont le montant est versé en trois mensualités par la caisse d’allocations familiales dont la circonscription comprend le domicile du demandeur.
« Le versement de la première mensualité de l’avance intervient dans un délai de trois jours ouvrés après la réception de la demande selon des modalités qui permettent un accès effectif du bénéficiaire aux sommes versées.
« Le montant et les modalités de ce prêt sont prévus par décret.
« IV. – Le refus d’octroi est motivé. Il ne peut être fondé que sur la méconnaissance des conditions prévues au second alinéa du I et au II, sur le fait qu’une demande identique est pendante ou sur le caractère manifestement frauduleux ou répétitif de la demande. Le refus est notifié au demandeur dans le délai prévu au deuxième alinéa du III.
« V. – Le bénéficiaire de l’avance d’urgence prévue au présent article peut se prévaloir, pendant six mois à compter du versement de la première mensualité, de la qualité de bénéficiaire du revenu de solidarité active afin que lui soient reconnus les droits et aides accessoires à cette allocation, y compris l’accompagnement social et professionnel mentionné à l’article L. 262-27.
« VI. – L’avance d’urgence ne peut être considérée comme une ressource au sens du présent code.
« Art. L. 214 -9. – I. – Le régime de prescription des avances d’urgence prévues à l’article L. 214-8 suit les modalités prévues à l’article L. 262-45.
« I bis
« Des remises ou des réductions de créance peuvent être consenties en cas de précarité de la situation du débiteur.
« Lorsque l’avance d’urgence a été obtenue par fraude ou a été indûment versée, la créance correspondante est exigible sans délai.
« Toute réclamation dirigée contre une décision de récupération de la dette, le dépôt d’une demande de remise ou de réduction de créance ainsi que les recours administratifs et contentieux, y compris en appel, contre les décisions prises sur ces réclamations et demandes ont un caractère suspensif.
« II. – La caisse d’allocations familiales créancière est subrogée dans les droits des bénéficiaires des avances prévues à l’article L. 214-8 du présent code pour se constituer partie civile, si ces derniers renoncent à ce droit, afin de demander, en leur nom, la réparation du préjudice induit par les violences qui ont, le cas échéant, motivé la plainte à l’origine de la demande d’avance d’urgence.
« III. – Sans préjudice de l’article L. 132-10, les montants versés au titre de l’avance d’urgence peuvent être récupérés sur les dommages et intérêts prononcés, le cas échéant, en réparation du préjudice induit par les violences qui ont motivé la plainte à l’origine de la demande d’avance quand bien même la créance correspondante ne serait pas encore exigible auprès du bénéficiaire.
« Art. L. 214 -10. – Le présent chapitre est mis en œuvre selon des modalités prévues par décret. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er pose les conditions d’accès et les modalités d’attribution de l’aide d’urgence aux victimes de violences conjugales.
Il est ainsi précisé que la personne bénéficiaire de l’aide d’urgence peut se prévaloir, dans les six mois à compter du versement de la première mensualité, de la qualité de bénéficiaire du revenu de solidarité active, afin que lui soient reconnus les droits et aides accessoires à cette allocation, y compris l’accompagnement social et professionnel mentionné à l’article L. 262-27 du code de l’action sociale et de familles.
Dans sa première mouture, le texte ne prévoyait pas d’inclure cette disposition, qui est pourtant automatiquement proposée aux bénéficiaires du RSA aujourd’hui.
Je me félicite donc de ce que la commission ait ajouté cette précision, qui figurait d’ailleurs dans le texte de ma proposition de loi relative à une aide financière d’urgence en direction des victimes de violences conjugales, déposée en 2021.
Cette aide incombera au conseil départemental, lequel est déjà responsable de cette prise en charge pour les bénéficiaires du RSA, et consistera en une démarche d’accompagnement prenant en compte la situation globale de la personne et ses besoins : formation, santé, logement. Un tel dispositif proposé aux victimes de violences conjugales permettrait de limiter le risque d’un retour contraint au domicile conjugal, en favorisant l’accès à l’emploi et à une autonomie financière.
Il me semblait important de souligner l’intérêt de cet ajout de la commission.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord la commission des affaires sociales et sa rapporteure d’avoir enrichi cet article 1er d’une disposition supplémentaire pour entrer dans le dispositif, à savoir le signalement.
J’ai échangé sur ce point avec Mme la rapporteure, qui, je le sais, a entendu ceux qui, dans les services du conseil départemental du Nord, participent à cette expérimentation. Les choses sont en train de se mettre en place avec le centre hospitalier ou avec les services sociaux. À ce stade, il me paraît justifié que cette mesure soit intégrée dans le dispositif, ce qui n’était pas encore évident au moment où l’on a écrit ce texte.
Par ailleurs, je veux dire, en particulier à Michelle Gréaume, qui a travaillé sur les questions d’emprise financière, que, si nous avons fait un autre choix que celui de l’avance sur droits supposés pour les bénéficiaires du RSA, c’est tout simplement parce que nous considérions l’universalité indispensable à cette aide.
Nous ne voulions pas que seules les femmes victimes bénéficiaires du RSA soient concernées. Avec cette aide universelle sous la forme d’un prêt d’honneur, nous permettrons à une femme qui travaille, mais qui n’a pas accès, par exemple, à son compte bancaire et à son propre salaire, d’en bénéficier, de même qu’à une jeune femme de moins de 25 ans ou à une retraitée. J’y insiste, cette approche change complètement les données du sujet.
Enfin, madame la ministre, il est important de ne pas perdre de temps. Plutôt que de renvoyer à des dates ou à des expérimentations futures, il faut se nourrir de l’expérimentation qui est d’ores et déjà lancée. Dans le cadre de la navette parlementaire, celle-ci a le mérite d’être un élément sur lequel vous pourrez vous appuyer pour terminer le travail. De grâce, ne perdons pas de temps ! Chaque jour compte !
Je pense aussi que cette proposition de loi est une étape, un petit pas en avant, mais qui est important quand on sait que, effectivement, les violences conjugales sont systémiques et touchent absolument tous les milieux.
Comme l’ont souligné Valérie Létard et Michelle Gréaume, l’expérimentation dans le département du Nord constitue un point d’appui intéressant.
En même temps, madame la ministre, je veux attirer votre attention sur le caractère cloisonné d’un certain nombre de dispositions que nous avons votées, même si elles comportaient des avancées.
Vous le savez, je plaide, avec les associations féministes, pour que nous puissions enfin adopter une loi-cadre contre les violences. C’est la seule façon de vraiment débarrasser la société de ce fléau. Je sais que vous y êtes sensible vous aussi, mais il faut vraiment se retrousser les manches.
Pour combattre les violences, nous avons également besoin de moyens humains et financiers. Là encore, le rapport de nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin de juillet 2020 montre bien que le milliard d’euros n’y est pas. Or c’est une revendication que je soutiens, avec les féministes. Tout dernièrement, la Fédération nationale solidarité femmes 3919 nous a d’ailleurs alertés, tant ses standards reçoivent d’appels de femmes en détresse auxquels elle n’arrive plus à répondre.
Chère Valérie Létard, je vous remercie de nouveau, parce que chaque pas compte. Et je suis vraiment très heureuse également que l’amendement que j’ai proposé ait été intégré à ce texte, car ses dispositions correspondent à un besoin urgent.
Nous devons aujourd’hui collectivement prendre en compte toutes les problématiques. Malgré les différentes possibilités qui existent déjà, grâce aux évolutions législatives permises par les gouvernements successifs, il y a encore trop de féminicides et trop de violences faites aux femmes, avec de terribles conséquences sur la société, sur les enfants, dans l’ensemble de nos territoires.
Il est important que nous puissions voter ce texte aujourd’hui. J’ai heureusement pu constater que l’unanimité régnait dans notre assemblée.
Madame la ministre, j’ai bien entendu également les propositions et suggestions que vous avez formulées pour aller plus avant. Je souhaite vraiment que tout cela aille très vite et que les mesures qui seront prises par votre gouvernement permettent à des femmes et à des enfants de vivre dans de meilleures conditions. Il s’agit d’ailleurs aussi d’éviter les récidives, en quelque sorte, car, très souvent, les enfants témoins de violences conjugales reproduisent ces comportements à l’âge adulte, ce qui est profondément regrettable.
Je souhaite véritablement que nous puissions, tous ensemble, faire progresser notre législation, en prenant notamment des mesures de prévention qui permettront d’éviter le pire demain.
L’amendement n° 1, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Après le mot :
renoncent
insérer le mot :
explicitement
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Cet amendement tend à s’inscrire dans la philosophie du présent texte.
Quitter le foyer est l’une des décisions les plus difficiles. Le retour, quant à lui, est parfois inévitable. Cette proposition de loi encourage la victime à prendre l’initiative de la demande. Nous devons également nous assurer qu’elle lui permette d’être accompagnée jusqu’au bout de sa démarche.
Il faut que le dernier lien soit rompu entre l’agresseur et l’agressé et que le parcours judiciaire de la victime soit complet. Le renoncement à la poursuite civile doit alors être un choix éclairé, délesté de l’emprise souvent persistante du conjoint violent.
Cet amendement vise donc à préciser que le renoncement à la poursuite civile de l’agresseur doit être explicite.
L’article 1er permet à la caisse d’allocations familiales (CAF) d’être subrogée dans les droits de la victime pour se constituer partie civile au procès pénal si la victime renonce à exercer ce droit.
Le présent amendement tend à préciser le caractère explicite du renoncement de la victime. Cette précision n’apparaît pas comme utile et se trouve en réalité satisfaite.
La caisse exercera les droits de la victime de manière subsidiaire. Il est donc clair, à ce titre, qu’elle informera expressément la victime de son intention d’agir en justice et que son action sera interrompue dès lors que la victime se constituera elle-même partie civile.
Il ne s’agit nullement de décourager les victimes d’exercer leurs droits, mais, au contraire, de faire en sorte qu’elles soient informées de la possibilité qui leur est offerte de demander réparation du préjudice, y compris matériel, qu’elles ont subi.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Madame la sénatrice Benbassa, vous souhaitez par cet amendement renforcer le principe de choix éclairé de la victime, pour aller jusqu’au bout de la démarche à l’encontre de son agresseur.
Nous ne pouvons qu’être favorables à cette démarche. Néanmoins, les dispositions de l’amendement, tel qu’elles sont rédigées, ne conduisent pas tant à renforcer le principe de choix éclairé de la victime en matière de poursuites à l’encontre de l’agresseur qu’à préciser dans quel cas la caisse peut être subrogée, en l’étendant du renoncement simple au renoncement explicite.
Je le répète, la rédaction que vous proposez pour l’alinéa 18 ne constitue pas une solution juridiquement opérationnelle.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
L ’ article 1 er est adopté.
Après l’article 15-3-2 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-3-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 15 -3 -2 -1. – En cas de plainte déposée pour une infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement commise par le conjoint de la victime, son concubin ou le partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité, l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte informe la victime qu’elle peut, le cas échéant, bénéficier d’une avance d’urgence au titre de l’article L. 214-8 du code de l’action sociale et des familles.
« L’officier ou l’agent de police judiciaire ayant reçu la plainte ou, le cas échéant, le travailleur social mentionné à l’article L. 121-1-1 du même code enregistre la demande et la transmet à la caisse d’allocations familiales mentionnée au II de l’article L. 214-8 dudit code selon des modalités prévues par le décret prévu à l’article L. 214-10 du même code. La demande est transmise au président du conseil départemental. »
L’amendement n° 5, présenté par Mme Guidez, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après la seconde occurrence du mot :
plainte
insérer les mots :
ou, sous leur contrôle, l’assistant d’enquête
II. – Alinéa 3, première phrase
Après le mot :
plainte
insérer les mots :
ou, sous leur contrôle, l’assistant d’enquête
La parole est à Mme la rapporteure.
Cet amendement de la commission tend à proposer une coordination avec le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), qui a été adopté par le Sénat.
Il est ainsi prévu de créer la fonction d’assistant d’enquête pour seconder les officiers et agents de police judiciaire sur certaines tâches de procédure. Les assistants d’enquête exerceront donc les nouvelles missions que l’article 2 vise à confier à ces officiers ou agents.
Dans les commissariats ou gendarmeries où ils seront présents, ces assistants d’enquête seront mieux à même d’enregistrer les demandes d’avances d’urgence et de les transmettre à la CAF.
Madame la rapporteure, nous souhaitons vraiment aller plus loin, ensemble, en nous inspirant des différentes expérimentations ou dispositifs mis en place dans les territoires. Mais je m’en tiendrai à votre disposition initiale, pour que nous avancions au mieux et dans le même état d’esprit : mieux protéger les victimes et leur permettre de reprendre leur autonomie.
S’agissant de cet amendement, il semble nécessaire que les assistants d’enquête disposent d’une compétence d’attribution limitée, définie dans un nouvel article 21-3 inséré au code de procédure pénale, et sans autonomie d’intervention. Ce n’est qu’à cette condition essentielle que le Conseil d’État a admis la validité de la disposition dans son avis du 10 mars dernier.
En outre, il est prématuré d’ajouter des compétences aux assistants d’enquête alors que l’Assemblée nationale n’a pas encore examiné le texte. Le Sénat a d’ailleurs souhaité évaluer ce nouveau dispositif.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
C’est justement le moment ou jamais d’ajouter ce genre de dispositions ! Il serait dommage de ne pas les introduire dès le vote de cette proposition de loi.
Je ne comprends pas votre réponse, madame la ministre. Aussi, je maintiens cet amendement.
Je remercie Mme la rapporteure de nous donner une possibilité supplémentaire d’appuyer cette mission des officiers de police ou de gendarmerie. En effet, si ces derniers sont accompagnés en principe de travailleurs sociaux, tel n’est pas le cas partout.
Si, demain, nous confions à des agents d’enquête complémentaires des prérogatives faisant d’eux un soutien supplémentaire, cette demande sera mieux prise en compte. Il s’agira d’une avancée.
Tout cela demande vérification, mais il me semble que ces dispositions sont cohérentes avec la loi que nous avons votée tout récemment.
Par ailleurs, dans cet article 2, il est précisé que la demande est transmise simultanément au président du conseil départemental au moment du dépôt de plainte ou du signalement. Cela répond à un point abordé par notre collègue Michelle Gréaume : au travers des présidents de conseil départemental, nous mobilisons les services sociaux, dotant ainsi le dispositif d’une approche globale.
Cela permet d’utiliser tous les outils dont nous disposons pour l’accompagnement social et administratif des bénéficiaires du RSA vers l’emploi. La demande d’aide, d’instruction sociale et d’accompagnement sera immédiatement transmise à la CAF, ce qui n’est pas anodin.
L ’ amendement est adopté.
L ’ article 2 est adopté.
L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Decool, Wattebled, Guerriau et Menonville, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Capus et A. Marc, Mme Paoli-Gagin, M. Détraigne, Mme Berthet, M. Daubresse, Mme N. Delattre, M. Calvet, Mme Sollogoub, MM. Cadec et Laménie, Mmes Dindar, N. Goulet, Ract-Madoux, Létard et Guidez, MM. Fialaire, Belin, Guérini, Longeot et Chauvet, Mmes Gruny et Bonfanti-Dossat, M. H. Leroy, Mme Lopez, M. Nougein, Mme Perrot et MM. Gold et Moga, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant sur l’intérêt de permettre aux mutuelles sociales agricoles de procéder, aux côtés des caisses d’allocations familiales, au versement de l’avance d’urgence en faveur des victimes de violences conjugales.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
Cet amendement, qui a peut-être été mal rédigé, tendait, dans mon esprit, à permettre aux caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) de procéder aux côtés des CAF au versement de l’avance d’urgence pour les victimes de violences conjugales.
Le dispositif risque en effet de manquer certaines cibles, car il a pour interlocuteur les CAF plutôt que les caisses de la MSA. Or il me semble pertinent d’ouvrir la possibilité à la MSA de procéder au versement de cette aide. Par là même, nous éviterions une incompréhension du dispositif, tel qu’il est prévu par la proposition de loi, car les 35 cosignataires, dont Mme Létard et Mme la rapporteure, l’ont interprété de la même manière que moi.
Cet amendement vise donc à ouvrir le dispositif à la MSA.
Mon cher collègue, je souscris entièrement à votre intention. Par ailleurs, grâce à cette demande de rapport, nous pouvons discuter de ce sujet sans tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution.
C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai cosigné cet amendement avec Valérie Létard. À terme, il conviendra aux caisses de la MSA de verser l’aide d’urgence à leurs allocataires – je m’adresse ici à Mme la ministre. Il y a un trou dans la raquette, si j’ose dire, qu’il est important de combler.
Toutefois, comme cet amendement tend à demander un rapport, je suis obligée de vous demander de le retirer ; mon cher collègue ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Il me semble évident, et je ne comprends pas ce que vient faire l’article 40 de la Constitution ici, que les personnes assujetties à la CAF bénéficieront de cette aide d’urgence, alors que celles qui sont assujetties à la MSA ne pourront la toucher.
Les violences conjugales existent aussi, malheureusement, dans le monde rural. Je ne comprends donc absolument pas pourquoi nous n’associons pas la MSA. Dans mon esprit, cet amendement est pratiquement rédactionnel : il s’agit d’un oubli dans la proposition de loi – je pense que tout le monde en conviendra.
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
Il s’agit donc de l’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Rossignol.
Vous avez la parole pour le défendre, ma chère collègue.
Il y a quelques mois, la délégation aux droits des femmes a travaillé, de manière transpartisane comme à son habitude, et quatre de nos collègues ont produit un rapport sur les inégalités spécifiques dont les femmes sont victimes en milieu rural, rapport intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l ’ égalité.
Dans ce document, il est très clairement indiqué que les femmes victimes de violences en milieu rural souffrent encore plus que celles qui se trouvent en milieu urbain, car l’environnement de soutien et le tissu associatif y sont plus limités.
Mme Victoire Jasmin applaudit.
En tant que membre de la délégation aux droits des femmes, il me semble totalement cohérent de reprendre et de faire voter l’amendement présenté par notre collègue Chasseing.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.
En principe, il faudrait que la commission se réunisse pour prendre une décision ! Je maintiens donc mon avis défavorable sur cet amendement, en renvoyant la balle à Mme la ministre, à qui revient, à mon sens, la décision.
En effet, qu’on le veuille ou non, cette disposition aura un coût supplémentaire et devrait donc tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution.
Mme Laurence Rossignol proteste.
Je suis très favorable au texte, mais nous ne devons pas créer une fois de plus des disparités, madame la rapporteure.
Nous adhérons tous à la proposition de loi de Mme Létard, qui porte sur un sujet sérieux. Or la proposition de notre collègue est parfaitement cohérente avec le rapport publié par la délégation aux droits des femmes, auquel l’ensemble des groupes politiques a concouru.
Dans sa prise de parole dans la discussion générale, Mme la ministre a déclaré qu’elle allait faire évoluer les choses. Par conséquent, votons cet amendement, et Mme la ministre fera le nécessaire pour améliorer le dispositif !
Je le répète, nous ne devons pas créer de disparités entre les femmes selon qu’elles vivent ou non en milieu rural, d’autant plus que nous avons été unanimes à reconnaître les mérites du rapport et de ses préconisations, qui reflètent la réalité de nos territoires. Les femmes de nos territoires sont malheureusement les victimes de ces disparités.
Il faut que les choses soient très claires : Mme la rapporteure ne fait qu’appliquer une règle imposée aux commissions de façon générale. Toutefois, elle approuve cette disposition, d’autant que, si celle-ci ne passait pas par un rapport, nous serions confrontés à un problème budgétaire difficile.
Aussi, nous pouvons nous accorder sur le fait que Mme la rapporteure, tout en ayant émis un avis défavorable, soutient l’amendement…
Exclamations amusées.
Pour ma part, je ferai une exception à la règle imposée aux commissions et voterai pour cet amendement, tout simplement parce que l’esprit de ce texte l’exige : la MSA doit être intégrée au dispositif.
Madame la ministre, j’espère que vous avez bien entendu le message !
Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER.
Si je relis son dispositif, cet amendement vise à demander au Gouvernement la remise au Parlement d’un rapport sur l’opportunité d’ouvrir le dispositif à la MSA en plus des CAF. Voilà exactement ce dont nous sommes saisis.
Si le dispositif fait preuve d’efficacité, il apparaîtra nécessaire de l’élargir aux caisses de la MSA, par équité de traitement entre les allocataires et par simplification de l’accès à l’aide pour les personnes victimes relevant du régime agricole, même si, pour le prêt d’urgence sans intérêt, ces dernières devront toujours s’adresser à la CAF.
La production d’un tel rapport n’apparaît pas nécessaire. C’est pourquoi je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
L ’ amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
I. – Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
L ’ article 3 est adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Je regrette le rejet de l’étude conjointe de cette proposition de loi et de la mienne, car cette dernière, je le précise, répondait aussi aux besoins de personnes en situation d’emploi, retraitées ou se trouvant dans d’autres situations. En effet, il s’agissait d’instaurer non pas un prêt, mais une avance de RSA, avec révision des ressources au bout de trois mois.
Je me réjouis cependant de l’avancée que constitue ce texte. Comme je l’avais annoncé lors de la discussion générale, notre groupe votera cette proposition de loi : elle est complémentaire des dispositifs déjà mis en place et elle est impérative pour toutes les personnes qui l’attendent et qui en ont besoin.
Cette proposition de loi vise à mettre en place une avance universelle d’urgence à taux zéro, financée par la CAF, pour les victimes de violences conjugales.
Même s’il s’agit d’un prêt, qui devra donc être remboursé – avec souplesse, espérons-le –, elle apporte un soutien à ces femmes trop souvent confrontées à un départ sans ressources, qui les contraint parfois à revenir.
Toutes les mesures de nature à aider ces femmes à quitter le domicile, le plus souvent avec des enfants, doivent être activement soutenues – 102 féminicides ont eu lieu en 2022, soit un décès tous les trois jours et demi…
Madame la ministre, il faudra aussi donner aux associations les moyens d’accompagner dignement ces femmes en leur proposant des hébergements d’urgence adaptés. Je le redis, un logement d’urgence situé au bord d’une quatre voies et sans accompagnement n’est pas une solution incitative à quitter l’enfer de la violence conjugale, une fois la crise aiguë passée.
Or nous connaissons le phénomène du cycle infernal de la violence : la victime trouve des justifications aux violences qu’elle a subies, ce qui conduit à une phase dite « de lune de miel », qui suit la crise aiguë, jusqu’à la prochaine…
Je salue l’action des intervenants sociaux dans les gendarmeries, les commissariats et les centres hospitaliers : leur présence doit se généraliser sur tout le territoire. Je souligne par ailleurs la nécessité de former les policiers et les gendarmes.
Je remercie la commission d’avoir amélioré le texte en intégrant l’amendement proposé par notre collègue Victoire Jasmin sur la domiciliation bancaire dans un centre communal d’action sociale (CCAS) ou un centre intercommunal d’action sociale (CIAS).
Comme l’a dit Laurence Rossignol lors de la discussion générale, notre groupe soutient avec enthousiasme cette proposition de loi. Celle-ci n’apporte pas de solution miracle, mais l’indépendance économique des femmes est une condition indispensable à leur émancipation.
Enfin, je rejoins la proposition formulée par Laurence Cohen d’une loi-cadre contre les violences conjugales.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.
Je félicite tout d’abord Mme Létard et Mme la rapporteure de cette très importante proposition de loi.
Il faut bien sûr poursuivre la prévention. Des progrès ont eu lieu, vous l’avez dit, madame la ministre, mais il faut absolument mettre un frein aux encore trop nombreux féminicides. Cela passe par la mise à disposition de logements, mais aussi par l’aide financière que vous proposez et qui est vraiment très importante pour empêcher la personne dépendante financièrement de retourner dans son foyer, où les violences continueront.
Je remercie également mes collègues ayant voté mon amendement, car, cela a été dit, les violences ont aussi lieu en milieu rural. L’État doit soutenir les associations, de sorte qu’elles assurent également des permanences dans les zones rurales. En Corrèze, les deux associations dont j’ai rencontré les représentants sont en difficulté pour ce qui concerne le logement à cause d’une augmentation des violences.
Nous voterons avec enthousiasme ce texte. Je voudrais que le dispositif proposé soit généralisé à tous les départements.
Je remercie mes collègues, sur quelques travées qu’ils siègent, de leur contribution, de leur travail et de leur unanimité. Ce sujet dépasse largement les sensibilités politiques et mérite que nous ne perdions pas de temps.
Je salue également les professionnels, ici présents, qui ont largement contribué à cette expérimentation, donc à la réflexion sur le dispositif de la proposition de loi. En effet, nous avons travaillé sur les écueils de l’expérimentation, sur ce qui manquait pour traduire concrètement une telle initiative. C’est d’ailleurs pour cela qu’il nous faut légiférer.
Madame Vogel, vous m’avez interrogée sur la forme de cette aide. Nous avons choisi le prêt, parce que c’était le seul moyen d’arriver à l’universalité. Ainsi, nous pouvons faire en sorte qu’une personne salariée, malgré ses conditions de ressources, si elle est privée de ses revenus, puisse y avoir accès dans ce temps intermédiaire.
Nous avons travaillé avec la CAF, qui nous a dit que le système de l’avance sur droits supposés était trop rigide et ne fonctionnait pas. Les prêts, eux, fonctionnent. Surtout, ils ouvrent la possibilité d’une remise gracieuse pour les personnes en précarité. Autrement dit, il y a une solution pour toutes les situations.
Nous devons aller au bout de ce dispositif, qui a été pensé. La construction a été complexe, mais la mise en application ne pose aucun problème aux professionnels : ils la connaissent sur le bout des doigts et apporteront la garantie, la sécurité et les affinements nécessaires.
Le cadre est posé. De grâce, madame la ministre, ne perdons pas de temps.
Applaudissements.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée.
M. le président. Je constate que le texte a été adopté à l’unanimité des présents.
Applaudissements.
Madame la ministre, force est de constater que, malgré toutes les lois qui existent, le nombre de féminicides en France ne diminue pas, ce qui est inquiétant. En ce sens, la proposition de loi de Valérie Létard, améliorée par la commission, est importante, car elle constitue une marche supplémentaire.
Chaque fois que nous déposons une proposition de loi, on nous dit que c’est compliqué. Je ne sais pas pourquoi, mais, en France, tout est compliqué. Même lorsque nous déposons des textes de peu d’importance, nous avons l’impression que nous faisons une révolution !
Madame la ministre, cessons de dire que c’est compliqué : avançons ensemble, et dépêchons-nous !
Applaudissements.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à douze heures vingt-sept.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 874 [2021-2022], texte de la commission n° 24, rapport n° 23).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Denise Saint-Pé, auteur de la proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP. – M. Laurent Burgoa applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte vise à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques (CSE) à La Poste.
Le statut de cette dernière a beaucoup évolué depuis la loi du 2 juillet 1990, dite loi Quilès, notamment sous l’impulsion du droit européen. Elle est ainsi devenue une société anonyme à capital intégralement public, investie de missions de service public. À ce titre, elle emploie des agents de droit privé et de droit public.
Cette particularité explique un régime de représentation du personnel hybride et original, construit au fur et à mesure des lois qui ont transformé l’entreprise.
Par conséquent, celle-ci a été exclue du champ d’application des dispositions du code du travail prévoyant la mise en place de CSE dans les entreprises de plus de onze salariés, dispositions issues de l’ordonnance du 22 septembre 2017, l’une des ordonnances dites Macron.
De même, sa nature juridique de personne morale de droit privé l’a empêchée d’entrer dans le champ des dispositions du code général de la fonction publique relatives aux comités sociaux d’administration, nouvelles instances créées dans les administrations, collectivités territoriales et établissements publics par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Néanmoins, la direction de La Poste souhaite prendre en considération les évolutions récentes du droit des relations sociales pour procéder à une mise à jour des institutions représentatives du personnel (IRP) de l’entreprise.
Il n’était pas question de le faire à l’occasion de la loi de transformation de la fonction publique, car il s’agissait alors de la première année de l’actuel mandat des IRP de La Poste. En effet, celles-ci avaient été élues au mois de décembre 2018, avant d’entrer en fonction le 1er février 2019. Le contexte pandémique qui a rapidement suivi a mis une halte bien compréhensible à ce projet, qui aurait été complètement à contretemps en pleine crise sanitaire.
Le dialogue social a donc commencé concrètement sur le sujet au mois de mai 2022, la direction de La Poste faisant à ce moment-là part aux organisations syndicales de son souhait de réorganiser les IRP en comités sociaux et économiques. Dans cette perspective, un accord de méthode a été conclu, en septembre 2022, afin de définir les modalités et les thèmes de la négociation, en vue de la mise en place des nouvelles instances.
Cette volonté de la direction de La Poste me semble en accord avec son statut de société anonyme, qui plus est s’agissant d’une entreprise employant pour deux tiers de ses effectifs des salariés de droit privé. En outre, le recrutement de fonctionnaires ayant pris fin au début des années 2000, la proportion d’agents sous ce statut ne cesse de diminuer. Enfin, il est à noter qu’il existe déjà des CSE dans certaines filiales de La Poste, ce qui donne à celle-ci une idée du dialogue social pratiqué dans ces instances.
Cependant, les IRP actuelles relèvent encore de la loi du 2 juillet 1990, malgré les évolutions législatives des trente dernières années. Aussi une nouvelle loi est-elle indispensable pour modifier ce texte antérieur.
C’est dans ce but que j’ai déposé cette proposition de loi découpée en trois articles, celle-ci appliquant à l’ensemble des personnels de La Poste les dispositions du code du travail relatives aux comités sociaux et économiques.
Madame la rapporteure, avant de vous laisser dans un instant détailler les différentes mesures contenues dans ce texte, je souhaite insister sur un point qui me paraît de la plus haute importance.
La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique prévoit que les dispositions du code du travail relatives aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), abrogées en 2017 par l’une des ordonnances Macron, continuent de s’appliquer à La Poste jusqu’au prochain renouvellement des instances.
Or les mandats en cours dans la fonction publique et à La Poste, issus des élections professionnelles de décembre 2018, prendront fin le 31 janvier 2023. Pour autant, aucune disposition ne mentionne le cadre applicable, à l’issue des mandats actuels, au sein des instances de La Poste. Ce vide juridique ne peut que nuire à la sérénité des débats internes à l’entreprise, sérénité indispensable pour que les partenaires sociaux soient en mesure de négocier dans le cadre d’un dialogue social ambitieux.
C’est pourquoi, afin d’accompagner cette transition, le présent texte prolonge jusqu’à la proclamation des résultats des élections aux comités sociaux et économiques le maintien en vigueur des CHSCT et le mandat de leurs membres, ainsi que celui des comités techniques.
Cette extension, initialement prévue pour durer au plus tard jusqu’au 31 juillet 2024, a été prolongée jusqu’au 31 octobre 2024 par un amendement adopté en commission des affaires sociales. Je soutiens complètement cette modification apportée par notre rapporteure, car elle s’inscrit dans le droit fil de ma priorité et, à n’en pas douter, de celle de mes collègues, à savoir la concorde entre la direction et les organisations syndicales de La Poste.
Dans ces conditions, je pense que ce texte est à même de recueillir une majorité de suffrages sur les travées de la Haute Assemblée. J’espère qu’il en ira de même à l’Assemblée nationale, afin de permettre une adoption conforme de ce texte avant la fin de cette année.
De toute évidence, la mise en place de CSE à La Poste constituera un chantier de grande ampleur, du fait de la coexistence d’une pluralité de statuts. Comme la commission des affaires sociales l’a souligné, il s’agira là d’un changement culturel majeur pour l’entreprise, avec le passage au droit syndical applicable aux entreprises privées. Il sera par ailleurs primordial que cette réforme relève le défi de la proximité.
En attendant, ce texte donnera aux partenaires sociaux la visibilité nécessaire pour entamer des discussions qui s’annoncent longues, mais que je souhaite fructueuses.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.
Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Denise Saint-Pé prévoit d’accompagner la réorganisation du dialogue social à La Poste, en créant les conditions nécessaires à la mise en place des CSE, les fameux comités sociaux et économiques.
Pourquoi réorganiser le dialogue social à La Poste ?
Lorsque la loi de transformation de la fonction publique a été votée en 2019, il a été indiqué que certaines dispositions relatives au dialogue social de La Poste s’appliqueraient jusqu’au prochain renouvellement des instances représentatives et syndicales. Les mandats des représentants du personnel arrivant à leur terme, il convient de prévoir le futur cadre du dialogue social qui s’appliquera à La Poste.
Mes chers collègues, cette proposition de loi met en place un cadre en prévoyant l’application du droit commun des relations collectives de travail, sous réserve des adaptations nécessaires aux spécificités de cette entreprise.
Les spécificités de La Poste, quelles sont-elles ?
La Poste assure des missions de service public. Elle joue un rôle majeur dans l’aménagement du territoire. Elle est une entreprise publique particulière qui, du fait de son histoire et de son évolution, possède des caractéristiques particulières, y compris en matière de dialogue social.
Tout comme France Télécom, La Poste est née de la réforme de l’administration des postes et des télécommunications engagée par la loi du 2 juillet 1990. Le 1er mars 2010, elle est devenue une société anonyme à capitaux publics ayant le caractère d’un service public national.
Le personnel de La Poste se caractérise donc par une pluralité de statuts. Parmi les 170 000 collaborateurs de la société anonyme La Poste, les deux tiers sont des salariés de droit privé ; les fonctionnaires sous statuts particuliers et les agents contractuels de droit public représentent un tiers des effectifs.
Pour la représentation individuelle des salariés et agents contractuels, La Poste dispose de commissions consultatives paritaires (CCP), tandis que des commissions administratives paritaires (CAP) assurent cette mission pour les fonctionnaires.
Des comités techniques (CT) exercent des attributions en matière d’organisation et de fonctionnement des services, de règles statutaires et d’égalité professionnelle. Par ailleurs, 637 CHSCT contribuent à la santé et à la sécurité du personnel. Les comités techniques et les CHSCT n’ont, je le rappelle, désormais plus d’équivalent ni dans le secteur privé ni dans le secteur public.
Les activités sociales et culturelles de l’entreprise sont gérées par un conseil d’orientation et de gestion des activités sociales (Cogas).
Ainsi, le droit syndical et les institutions représentatives du personnel de La Poste sont largement issus du droit de la fonction publique.
Les relations collectives de travail s’exercent dans un cadre hybride, combinant droit du travail, droit de la fonction publique et règles spécifiques.
Depuis la loi du 2 juin 1990, le droit syndical de la fonction publique s’applique aux salariés de l’entreprise. Cette loi exclut La Poste des règles du dialogue social qui prévalent dans les entreprises privées, notamment celles qui sont relatives aux délégués syndicaux en matière de négociation collective.
Pour les entreprises privées, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a engagé la fusion des instances, notamment les CHSCT, au sein du comité social et économique. Dans la fonction publique, la loi du 6 août 2019 a substitué les comités sociaux aux comités techniques.
Les mandats des élus aux CHSCT s’achevant le 31 janvier 2023, la proposition de loi prévoit de les prolonger afin de rendre les dispositions relatives aux CSE applicables à La Poste au terme d’une période transitoire de négociation et de mise en place des nouvelles instances.
Dans sa version initiale, l’article 1er prolongeait les mandats en cours des membres des comités techniques et des CHSCT jusqu’à la proclamation des résultats aux élections aux CSE de La Poste et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2024.
Comme l’a rappelé Denise Saint-Pé, la commission a repoussé cette date butoir au 31 octobre 2024, considérant que l’entreprise et les représentants du personnel devaient disposer d’un temps suffisant pour mettre en place des instances adaptées au fonctionnement de l’entreprise. En particulier, l’étalement géographique des activités de La Poste nécessite de construire une représentation de proximité sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer.
Au terme des mandats ainsi prolongés, les dispositions du code du travail relatives au droit syndical, à la négociation collective et aux institutions représentatives du personnel seront applicables à l’ensemble du personnel de La Poste, comme le prévoit l’article 2, sous réserve d’adaptations justifiées par la situation particulière des fonctionnaires.
En conséquence, la représentativité syndicale se fondera sur les résultats des élections aux CSE, avec un seuil de 10 % des suffrages exprimés, et les délégués syndicaux disposeront du monopole de la négociation des accords collectifs.
S’appliquera également la règle de l’accord majoritaire. Ainsi, pour être valide, un accord devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives lors des dernières élections professionnelles, au lieu de 30 % actuellement.
Cette transformation aura également pour conséquence de faire disparaître les comités techniques, les CHSCT et le Cogas au profit d’un CSE central et de CSE d’établissement dont le nombre reste à déterminer par accord collectif.
Les CSE, qui ont été créés en 2017 pour regrouper les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les CHSCT, disposent de nombreuses prérogatives pour assurer la représentation des salariés.
Pour les entreprises d’au moins 50 salariés, le droit du travail confie aux CSE la mission d’assurer l’expression collective des salariés sur la gestion et l’évolution économique et financière de l’entreprise, ainsi que sur l’organisation du travail, la formation professionnelle et les techniques de production. Ils disposent de prérogatives spécifiques en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail.
Dans les entreprises et établissements d’au moins 300 salariés, une commission dédiée, la CSSCT, ou commission santé, sécurité et conditions de travail, doit être instaurée en son sein. Enfin, le CSE assure la gestion des activités sociales et culturelles dans l’entreprise.
Afin de tenir compte des particularités de La Poste, l’article 2 crée un organisme représentant les fonctionnaires de l’entreprise, le conseil des questions statutaires, ayant vocation à être consulté sur les projets de loi et de règlement relatifs à leurs statuts. Pour assurer la représentation individuelle du personnel, les CAP et les CCP seront conservées.
Cette transformation substantielle du cadre des relations sociales s’appuiera sur un régime transitoire fixé par l’article 3.
En effet, pour préparer l’installation des CSE et l’organisation des élections professionnelles, La Poste devra s’appuyer sur un ensemble de règles issues du code du travail avant la mise en place des CSE.
Pendant cette période transitoire, l’entreprise pourra négocier des accords pour l’organisation des élections et la détermination du fonctionnement et des attributions des futurs CSE avec les organisations syndicales disposant de sièges dans les comités techniques. Le texte prévoit, par dérogation au droit syndical actuellement applicable à La Poste, des conditions de validité des accords alignées sur celles qui prévalent en droit du travail, afin d’assurer l’applicabilité des accords après la constitution des CSE.
Au total, la commission a considéré que cette proposition de loi offrait un cadre sécurisé et adapté pour faire évoluer le dialogue social à La Poste, tout en garantissant la juste représentation de l’ensemble du personnel.
La proposition de loi pose ainsi le cadre qui sera applicable aux relations collectives de travail à La Poste. Il reviendra ensuite à l’entreprise et aux représentants du personnel de faire vivre le dialogue social pour définir l’architecture des nouvelles instances et organiser les élections professionnelles.
Ce chantier de grande ampleur pour l’entreprise, qui s’accompagne d’un changement culturel majeur, du fait de son passage au droit syndical du secteur privé, a déjà franchi une première étape : un accord de méthode a été conclu au mois de septembre 2022 afin de définir les modalités et les thèmes de la négociation en vue de la mise en place des nouvelles instances.
Cette proposition de loi donne à l’entreprise les outils nécessaires pour franchir les étapes suivantes, en concertation avec les représentants du personnel, afin de mener à bien cette réforme qui dotera La Poste d’un cadre de dialogue social ambitieux.
Sous réserve de l’adoption de quelques amendements techniques, je vous invite donc, mes chers collègues, au nom de la commission, à adopter cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, INDEP et Les Républicains.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, madame Saint-Pé, auteur de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui concerne le dialogue social d’une entreprise qui fait partie de notre vie quotidienne, La Poste. Cette entreprise, nous l’avons vue se transformer à plusieurs reprises, accompagnant les grandes étapes de l’évolution de nos services publics.
La Poste, devenue société anonyme en 2010, se caractérise par une histoire particulière, qui explique la pluralité de statuts qui la composent. Les agents publics représentent désormais un tiers des effectifs, tandis que les salariés de droit privé en constituent les deux tiers.
Le régime de représentation du personnel de La Poste est donc hybride, relevant à la fois du droit de la fonction publique et du droit du travail.
Les instances de représentation du personnel sont aujourd’hui multiples et diffèrent selon les catégories de personnel. On dénombre ainsi des comités techniques et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, permettant d’assurer la représentation collective de tous les personnels, des commissions administratives paritaires, pour assurer la représentation individuelle des fonctionnaires, et des commissions consultatives paritaires, pour assurer la représentation individuelle des salariés et des contractuels de droit public.
En matière de droit syndical, ce sont les règles de la fonction publique qui sont applicables à l’ensemble de son personnel.
Alors qu’en droit du travail les ordonnances de 2017 ont opéré une fusion des IRP, avec la création des comités sociaux et économiques, La Poste a conservé cette pluralité et cette mixité d’instances.
La proposition de loi aujourd’hui en discussion doit permettre de faire entrer le régime de représentation de La Poste dans le droit commun du code du travail.
Cela apparaît souhaitable à plusieurs titres.
D’abord, la part des salariés de droit privé est majoritaire. Il semble donc logique de leur apporter les modalités de représentation concordantes.
Ensuite, il s’agit de faire entrer La Poste dans le mouvement de modernisation et de simplification des IRP déjà engagé par l’ensemble des entreprises de droit privé depuis 2017.
Si la loi prévoit que les dispositions du code du travail relatives aux CHSCT doivent s’appliquer à La Poste jusqu’à l’expiration des mandats en cours, le CHSCT n’aura plus d’existence juridique par la suite. Ainsi, le CSE, qui assure l’expression collective des salariés et la représentation de leurs intérêts dans les décisions prises par l’entreprise, a vocation à devenir le cœur du dialogue social de cette entreprise. Cette fusion d’instances rationalisera le nombre de consultations et fluidifiera les échanges avec l’employeur.
Enfin, cette réforme doit permettre d’unifier les règles en matière de dialogue social et de droit syndical applicables aux travailleurs d’une même entreprise, quel que soit leur statut.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincue, cette proposition modernisera le dialogue social dans l’entreprise et lui donnera un nouveau souffle.
La proposition de loi prévoit la mise en place, d’ici à la fin du mois d’octobre 2024, de comités sociaux et économiques aux compétences pleines et entières, incluant celles qui sont relatives à l’hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, en cohérence avec la part sans cesse plus importante des salariés de droit privé dans les effectifs de l’entreprise. Elle prévoit bien sûr, à la marge, quelques adaptations pour tenir compte des spécificités du personnel de l’entreprise.
Ces dispositions seront applicables au terme d’une période transitoire de négociation et de mise en place des instances, à l’issue des mandats en cours, qui, sans cette réforme, se seraient achevés en janvier 2023. Ce texte est donc également un texte de sécurisation juridique.
Ainsi, seront applicables à l’ensemble des personnels de La Poste les dispositions du code du travail relatives au droit syndical, à la négociation collective, aux institutions représentatives du personnel et aux salariés protégés. C’est donc un cadre profondément renouvelé et clarifié qui sera applicable au sein de l’entreprise.
Il reviendra aux partenaires sociaux de La Poste de se saisir de ces nouveaux outils dans l’exercice du dialogue social au quotidien.
Ce dialogue social revêt une importance d’autant plus forte que l’entreprise est désormais le niveau de référence en matière de négociation, permettant d’adapter les règles applicables au plus près des attentes et besoins des entreprises.
Surtout, les objets de négociation sont nombreux : salaires, épargne salariale, télétravail, qualité de vie au travail… Dans une entreprise comme La Poste, implantée sur des territoires d’une grande diversité et comptant plus de 245 000 collaborateurs, la mise en place d’un dialogue social de proximité, permettant de traiter au mieux ces enjeux, est d’autant plus cruciale.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par ce texte, c’est donc une véritable impulsion qui est donnée au dialogue social de La Poste, au service des droits des salariés, mais aussi de la performance économique et sociale de l’entreprise. Le Gouvernement lui est donc tout à fait favorable.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 1983, en passant par sa transformation en société anonyme, le groupe La Poste n’a cessé de subir des restructurations délétères qui l’éloignent toujours plus de ses missions de service public et le privent de ses moyens.
Il reste 5 300 bureaux de poste dits de plein exercice, contre 8 414 il y a cinq ans. La Poste SA est passée de 320 000 employés en 2000 à 180 000 en 2021. Elle compte 70 000 facteurs, contre 100 000 il y a vingt ans.
Les cadences augmentent, les conditions de travail se dégradent, les risques psychosociaux se multiplient. Entre 2008 et 2016, on a déploré chaque année une trentaine de suicides.
Les tournées chronométrées par des logiciels, selon le mantra du lean management, retirent toute autonomie aux salariés, qui perdent le sens de leur travail et du travail bien fait.
Selon le sociologue Nicolas Jounin, ce taylorisme d’un nouveau genre appliqué à La Poste empêche les postiers de faire valoir leur intelligence dans leur travail et vise à les priver d’une maîtrise de leurs tâches. On justifie ces restructurations à rythme soutenu par la baisse du courrier, en masquant l’augmentation du nombre de colis.
Surtout, on ne prend plus en compte les missions de lien social qui, de l’État romain au système de relais postaux de Louis XI, nationalisé sous Louis XIV, font de La Poste l’un des plus anciens services publics au monde.
Pressé par une action en justice après avoir laissé filer, sans rien faire ni rien négocier, le temps ouvert par l’accord de méthode, le groupe La Poste espère une loi pour transposer en son sein, contre l’avis des sept organisations syndicales
Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.
Au cœur des dangers, pour qui prétend défendre la valeur du travail réel, la disparition des CHSCT privera les salariés de leur expertise et de moyens d’alerte, y compris de la possibilité d’ester en justice contre les risques psychosociaux et la dégradation des conditions de travail.
Les 637 CHSCT du groupe remplissent sur le terrain une mission de proximité primordiale pour les salariés, comme en témoignent les milliers de réunions annuelles, qui sont la conséquence de restructurations incessantes.
Jamais la centaine de CSSCT du projet de la direction, qui auront des prérogatives bien moindres, ne protégeront aussi efficacement le droit à la santé et à la sécurité des salariés dans un contexte de baisse sensible des moyens syndicaux.
La protection des salariés sera difficilement assurée, d’autant que le passage abrupt du régime actuel de dialogue social aux CSE, sans passer par l’étape du comité d’entreprise, d’une entreprise de cette taille et dotée de deux statuts, ne fait l’objet d’aucune étude d’impact : on n’a pas même pris en compte les drames survenus à France Télécom !
Concentration et éloignement des centres de décisions, appauvrissement du dialogue social, diminution de la représentation syndicale, atteintes à l’autonomie et à la proximité dans une entreprise en restructuration et désorganisation permanentes, perte de la singularité des territoires : tout dans cette proposition de loi conduit le groupe GEST à voter contre, d’autant que des alternatives étaient possibles.
Dans ses Questions sur l ’ Encyclopédie, par des amateurs, Voltaire disait de La Poste qu’elle était « la consolation de la vie ». Pour notre part, nous disons de La Poste qu’elle incarne le service public d’intérêt général et que la défense des travailleurs est en congruence avec la défense du droit des administrés à des structures publiques fonctionnelles, et ce dans tous les territoires de France.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de septembre 2017, Emmanuel Macron, Président de la République, signait cinq ordonnances pour le renforcement du dialogue social.
Au-delà de la transformation juridique, c’est l’état d’esprit des relations sociales, celui du code du travail et celui du marché du travail, que le Président de la République et la ministre du travail d’alors, Muriel Pénicaud, estimaient nécessaire de modifier.
La réforme sur le renforcement du dialogue social s’inscrivait dans un contexte plus large, un contexte de transformation de notre modèle social destiné à libérer les énergies des entreprises pour qu’elles investissent, créent de l’emploi et protègent les salariés.
Ces leviers du progrès économique et social, ainsi liés, devaient naturellement s’inscrire dans le renforcement du dialogue au sein des entreprises. La première pierre de l’édifice était posée.
Dans la même veine, sous l’impulsion des différents gouvernements depuis 2017, s’ensuivront la formation professionnelle, l’apprentissage, la sécurisation des parcours et, dans quelques jours, l’assurance chômage. Le grand équilibre entre l’ensemble de ces réformes tient à ce mix d’agilité et de capacité d’adaptation tant pour les salariés que pour les entreprises.
Le franc succès des ordonnances n’aurait pu se faire sans 300 heures de concertation avec les partenaires sociaux et plus de 80 heures de discussion au Parlement.
S’appuyer sur le fort héritage social français tout en nous adaptant aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, voilà la logique dans laquelle Mme Denise Saint-Pé a déposé cette proposition de loi : il s’agit de faire en sorte que La Poste s’inscrive pleinement dans cet état d’esprit.
La Poste n’est pas une entreprise comme les autres, et pour cause : elle se compose de 32 % de fonctionnaires ou agents de droit public et de 68 % de salariés de droit privé. Elle se voit confier quatre missions de service public : le service universel postal, l’accessibilité bancaire, l’aménagement du territoire, le transport et la livraison de la presse.
Cette particularité imposait de lui laisser un long temps de négociation pour organiser son dialogue social.
Sans intervention du législateur, à compter du 1er février 2023, il n’y aurait plus de base légale permettant de maintenir en vigueur les CHSCT de La Poste. Ce texte y remédie, en prolongeant leur existence jusqu’à la fin du mandat de ses représentants et, au plus tard, jusqu’au 31 octobre 2024.
Par ailleurs, sans base légale pour mettre en place des comités sociaux et économiques, La Poste se verrait dans l’impossibilité d’offrir un cadre de représentation à ses personnels sur l’ensemble des questions relatives à la sécurité et à la santé au travail.
Cette situation contreviendrait au principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail. Personne ici ne voudrait de cette impasse.
Une réforme des institutions représentatives du personnel de La Poste est nécessaire, car elle permettra de soumettre l’ensemble de ses effectifs aux dispositions du code du travail relatives aux comités sociaux et économiques.
C’est le sens de ce texte et nous le partageons.
Par voie d’amendement, la rapporteure a enrichi cette proposition de loi en reportant au 31 octobre 2024 la proclamation des résultats des élections aux comités sociaux et économiques. Trois mois supplémentaires sont ainsi octroyés, donnant un peu plus de temps à la concertation, gage de la bonne mise en œuvre de cette réforme.
Le groupe que je représente reconnaît ici une avancée équilibrée et votera en faveur de cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.