Intervention de Jocelyne Guidez

Réunion du 20 octobre 2022 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Valérie Létard a rappelé le contexte douloureux dans lequel s’inscrit cette proposition de loi. En dépit de la mobilisation des pouvoirs publics, les violences commises au sein du couple perdurent à un niveau élevé.

Dans l’Hexagone, une enquête statistique estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales entre 2011 et 2018, dont 72 % de femmes. La violence au sein du couple est aussi prégnante outre-mer. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme interrogée sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.

La proposition de loi entend répondre à cet enjeu et puise sa force dans les retours concrets d’expérience. Valérie Létard a en effet présenté le travail qu’elle mène avec le département et la caisse d’allocations familiales du Nord pour mettre en place un prêt d’urgence et un accompagnement global des victimes de violences conjugales identifiées par les services sociaux.

Le texte est issu du constat empirique d’un déficit à combler dans les politiques publiques que nous déployons en faveur des victimes de violences conjugales. Il convient de les aider à quitter définitivement leur partenaire violent, en leur apportant une aide cruciale dans des délais très réduits.

Les données issues des appels au numéro 3919 « Violences Femmes Info » montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal, tandis que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs du domicile. Il est donc très difficile pour la femme de réussir à couper définitivement les ponts avec son tortionnaire.

La précarité économique ou les incertitudes financières figurent souvent parmi les freins au départ des victimes. Ces dernières peuvent être sans emploi ou sans prestations sociales, mais aussi disposer de ressources propres et en être privées par l’emprise économique dont le conjoint violent fait preuve.

Les moyens employés par les auteurs de violences pour placer leur victime dans une dépendance économique sont nombreux : chantage financier, confiscation des ressources ou des moyens de paiement, comportements visant à placer la victime dans des surendettements personnels…

Dès lors, comment donner les moyens financiers aux victimes de s’extirper de leur environnement violent ? La proposition de loi choisit d’accorder une aide d’urgence, débloquée en trois jours et versée par la caisse d’allocations familiales pendant trois mois.

Le besoin de créer une aide d’urgence est un constat partagé sur les travées de notre assemblée. Une proposition de loi à l’objectif similaire, déposée par notre collègue Michelle Gréaume, adaptait le régime existant du revenu de solidarité active pour permettre aux CAF de verser des avances sur droits supposés au RSA, financées par le département.

La proposition de loi que nous examinons prévoit un dispositif sui generis, sous la forme d’un prêt qui se rapprocherait des prêts d’honneur que les conseils d’administration des CAF peuvent librement consentir au titre de leur politique d’action sociale.

L’article 1er de la proposition de loi, adopté par la commission, prévoit une avance d’urgence octroyée par les caisses et financée par la branche famille.

Ce prêt à taux zéro serait versé en trois mensualités, dont la première devra être payée dans un délai très court – la commission l’a porté à trois jours ouvrés. Ce délai reste très ambitieux, mais l’étendre davantage aurait affaibli l’intérêt du dispositif d’urgence.

Le montant du prêt sera fixé par décret. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir des montants majorés lorsque la victime quitte le domicile avec ses enfants. J’insiste sur ce point, en présence de Mme la ministre : les enfants sont directement victimes des violences conjugales, et les femmes victimes quittent rarement le domicile en abandonnant leurs enfants. L’aide d’urgence devra donc être adaptée à la situation familiale des victimes.

La commission s’est penchée sur la question des conditions d’octroi permettant aux victimes de violences conjugales de faire valoir leur droit. Elle a considéré qu’un fait générateur trop souple risquerait de gêner la mise en œuvre de la loi et a donc retenu des conditions d’octroi précises. Elle a ainsi conditionné la délivrance de l’avance à une ordonnance de protection ou à un dépôt de plainte attestant de violences conjugales.

Ces deux critères étaient déjà prévus à titre illustratif par le texte initial. Cependant, nous savons bien que nombre de femmes n’osent pas pousser la porte de la gendarmerie ou de la police et dénoncer les faits qu’elles subissent.

De même, seules 5 800 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021 par les juges aux affaires familiales. C’est pourquoi, afin de ne pas trop restreindre l’accès à ce prêt d’urgence, la commission a ouvert la prestation aux victimes de violences attestées par un signalement adressé au procureur de la République.

S’appuyant sur une nouvelle disposition prévue par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, certains centres hospitaliers ont contractualisé avec le parquet, afin de faciliter, avec l’accord de la personne, les signalements des victimes prises en charge médicalement. L’avance d’urgence pourra ainsi s’appliquer à cette situation. L’article 1er prévoit également que les allocataires de l’avance bénéficient des droits accessoires à la prestation du RSA.

À côté du dispositif financier, la victime doit pouvoir être aidée, comme c’est déjà souvent le cas, par les associations ou les travailleurs sociaux des collectivités locales.

La commission a précisé que ces droits accessoires comprennent également un accompagnement social et professionnel adapté à leur situation, à l’instar de celui qui est délivré aux bénéficiaires du RSA.

La commission a également adopté un amendement, déposé par notre collègue Victoire Jasmin, visant à permettre aux bénéficiaires de l’avance d’urgence d’être domiciliés de droit auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un autre organisme agréé.

Enfin, la commission a précisé les règles de récupération des avances, lesquelles seraient très proches des modalités déjà existantes pour les prêts consentis par les CAF.

La dette pourra ainsi être remboursée en une ou plusieurs échéances si le bénéficiaire le souhaite. Sinon, elle sera récupérée par retenues sur les prestations sociales par ailleurs versées par les caisses. Ces dernières pourront décider de remises ou de réductions de créances. Cette possibilité n’est pas hypothétique : les conseils d’administration des caisses devront faire preuve de discernement pour ne pas ajouter une dette à des situations de précarité ou de surendettement.

La proposition de loi prévoit également un mécanisme inédit de subrogation des CAF dans les droits des victimes de se constituer partie civile pour demander, en leur nom, la réparation du préjudice subi. Ce mécanisme ne serait applicable que lorsque les victimes renoncent à leurs droits, ce qui n’est pas une situation rare. La récupération de la créance de la CAF pourra alors se faire sur les dommages et intérêts prononcés au bénéfice de la victime, ce qui permettra de faire payer l’auteur des violences en lieu et place de la victime.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit des mesures ambitieuses, en disposant que la victime déposant plainte pour des faits de violences conjugales devra être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire de la possibilité de demander l’avance d’urgence.

Plus encore, le gendarme ou policier « plaintier » devra enregistrer la demande de la victime et la transmettre à la CAF compétente, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.

Lorsqu’un travailleur social sera présent, cette mission lui sera naturellement assignée. Néanmoins, si le déploiement des intervenants sociaux en commissariat et unité de gendarmerie suit son cours, il est encore loin d’être effectif dans tous les départements. Nous nous sommes donc interrogés en commission sur le bien-fondé de cette disposition.

À l’évidence, il ne s’agit pas là de compétences naturelles aux policiers et gendarmes. Nous avons cependant préservé cette possibilité de demander l’avance à l’occasion du dépôt de plainte. Nous savons tous qu’une simple information des victimes sur leurs droits ne sera pas suffisante.

Les personnes, souvent dans des états traumatiques, ne seront pas si nombreuses à aller d’elles-mêmes vers la CAF. En outre, les situations contraintes dans lesquelles elles se trouvent peuvent les empêcher de se rendre comme elles le souhaitent auprès d’un nouveau guichet, retardant alors le déclenchement de l’aide.

Le texte propose donc un nécessaire mécanisme de liaison entre services de l’État et services sociaux, qui doit s’appliquer du mieux possible grâce à des échanges informatisés, formalisés dans des conventions locales.

En outre, un amendement de coordination de la commission aura pour objet de permettre aux assistants d’enquête, que le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur entend créer, d’exercer ces missions d’enregistrement et de transmission de la demande d’aide d’urgence.

Voilà, mes chers collègues, le dispositif que le présent texte entend établir. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé diverses mesures, notamment un « pack nouveau départ ». D’autres initiatives locales fleurissent : je pense à celle menée par la CAF du Var et le barreau de Toulon pour orienter efficacement les victimes de violences conjugales et mener sous quarante-huit heures un examen complet de leurs droits à prestations légales.

Nous ne pouvons que nous réjouir que toutes ces avancées aillent dans la même direction. Le dispositif de cette proposition de loi n’est donc ni concurrent ni redondant. Il s’agit d’une occasion de compléter les dispositifs existants d’aide aux victimes de violences conjugales. C’est pourquoi la commission a adopté la proposition de loi.

Il est évident que l’expérimentation dans le Nord pourra, le cas échéant, apporter des voies d’amélioration du texte en cours de navette parlementaire.

Par ailleurs, elle lèvera sans aucun doute les réserves institutionnelles qui peuvent encore être formulées. Cette aide monétaire légale s’inscrira dans les environnements déjà formés par les acteurs de l’action sociale. Le texte laisse en effet la liberté au pouvoir réglementaire et aux parties prenantes de s’organiser au plus proche des besoins de chaque département.

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