Intervention de Isabelle Rome

Réunion du 20 octobre 2022 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Isabelle Rome :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, permettez-moi de féliciter Mme la sénatrice Valérie Létard et Mme la rapporteure Jocelyne Guidez pour leur mobilisation dans la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause des deux quinquennats du Président de la République.

Je sais le Sénat particulièrement engagé sur cette question, comme en témoignent les nombreuses signatures transpartisanes recueillies par cette proposition de loi.

La lutte contre les violences conjugales, premier pilier de la grande cause du quinquennat, s’est traduite par plusieurs actions concrètes, fruits pour la plupart du Grenelle des violences conjugales et du travail conjoint du Gouvernement et des parlementaires.

C’est l’illustration que nous avançons collectivement sur ce sujet qui dépasse largement les clivages partisans. C’est aussi le résultat du ressaisissement collectif qu’a opéré notre société ces dernières années, notamment grâce à la vague #MeToo, qui a déferlé sur le monde. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Trop longtemps, notre société n’a pas écouté les victimes, ne les a pas crues, les laissant souvent seules face à l’emprise, abandonnées face aux coups, dans un huis clos avec leur agresseur.

Depuis cinq ans, nous n’avons eu de cesse de renforcer les dispositifs de protection ou d’en créer de nouveaux. Je pense aux téléphones grave danger, aux ordonnances de protection, aux bracelets anti-rapprochement, à la présence renforcée des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries, à la formation massive des policiers, des gendarmes et des magistrats, mais aussi à la considérable progression du nombre de places d’hébergement d’urgence durant le précédent quinquennat. Ce mouvement, je compte bien entendu le poursuivre.

La Première ministre a annoncé le 2 septembre dernier qu’elle présiderait dans les prochains mois un comité interministériel sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Je le piloterai en vue d’établir dans son prolongement un plan gouvernemental qui sera décliné dans les cinq ans à venir.

Oui, je partage votre constat : il faut aider les femmes et les victimes à sortir de cette emprise. Au cours de mes trente ans de magistrature et de mes quelques années de présidence de cour d’assises, j’ai trop souvent été témoin de ces faux départs.

Même lorsqu’une femme parvient à parler, à révéler les faits, elle reste trop souvent sous la dépendance financière ou psychologique de son conjoint et finit parfois par retourner auprès de lui. Le cas échéant, c’est lors de ces allers-retours que l’irréparable est commis.

J’ai également beaucoup travaillé avec les associations, comme magistrate, puis en tant que haut fonctionnaire du ministère de la justice chargée de coordonner les travaux du Grenelle : elles pensent aussi qu’il faut agir vite.

Oui, il faut aider les femmes à sortir de cette emprise et éviter à tout prix ces faux départs. En ce sens, le « pack nouveau départ » sera expérimenté à la suite du comité interministériel.

Quant à votre texte, il vise à créer un dispositif d’aide financière sous la forme d’une avance versée par les caisses d’allocations familiales aux femmes victimes de violences. Il s’agirait d’un prêt sans intérêt, ce qui pose bien évidemment la question de son remboursement.

Cette perspective pourrait constituer un frein à l’objectif consistant à sécuriser les femmes pour qu’elles se décident à fuir. Pour répondre à cet enjeu, votre texte permet notamment à la CAF, via un mécanisme de subrogation, de se retourner contre l’auteur des violences pour obtenir le remboursement du prêt.

Un tel dispositif se heurte néanmoins en droit au principe de la subrogation légale, qui suppose que les créances transmises soient de même nature et répondent au même régime juridique.

Or l’avance octroyée par la CAF est un prêt sans intérêt, de nature et de régime distincts des indemnités octroyées par le tribunal correctionnel en réparation du préjudice subi par la victime de violences. La mise en œuvre de ce dispositif serait donc d’une particulière complexité, et le remboursement par l’auteur semble très hypothétique.

De manière plus générale, si l’autonomie financière est un volet essentiel de l’aide que nous devons apporter à ces femmes, il n’est pas le seul.

Comme vous le savez, leurs besoins sont multiples : logement, aide financière, accès aux droits, garde d’enfants, réinsertion professionnelle, accompagnement psychologique… L’esprit du « pack nouveau départ » passe justement par le développement d’une prise en charge globale coordonnée, prioritaire dans la durée et individualisée.

Avant de généraliser un modèle de prise en charge, la Première ministre et moi-même allons lancer une expérimentation dans plusieurs territoires, pour définir le dispositif qui répondra le mieux aux besoins des femmes.

Nous souhaitons y associer pleinement les parlementaires et nous inspirer des dispositifs qui fonctionnent sur leur territoire.

J’aimerais d’ailleurs, comme vous l’avez fait, madame la rapporteure, saluer plusieurs initiatives développées par les CAF.

Par exemple, la CAF de la Côte-d’Or propose une aide financière individuelle non remboursable d’un montant maximal de 1 500 euros aux victimes de violences conjugales ayant au moins un enfant à charge.

La CAF du Var a signé un protocole avec le barreau de Toulon pour prendre en charge sous quarante-huit heures toute victime de violences conjugales à la demande de son avocat, une aide financière étant versée aux victimes pour un relogement en urgence.

La CAF du Val-d’Oise apporte des aides pour acquérir des biens d’équipement ménager ou mobilier de première nécessité.

Dernier exemple, la CAF de la Somme finance une aide au départ d’urgence d’un montant de 500 euros, plus 200 euros par enfant, versée aux femmes victimes de violences conjugales par les associations têtes de réseau départemental.

Je pourrais citer de nombreux autres exemples, ce qui montre la mobilisation collective qui a lieu un peu partout sur le territoire.

L’expérimentation qui sera lancée dans votre département, le Nord, madame la sénatrice Valérie Létard, et qui a inspiré votre proposition de loi, est intéressante. Elle peut être intégrée dans les réflexions du Gouvernement, mais elle doit être, à notre avis, enrichie pour couvrir tous les besoins des femmes.

C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet sur ce texte à la sagesse du Sénat et s’engage à travailler en synergie avec les parlementaires, les collectivités et les associations désireux d’agir concrètement.

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