Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 20 octobre 2022 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Valérie Létard d’avoir déposé cette proposition de loi et, ainsi, lancé une procédure législative qui, nous le souhaitons, aboutira. Je la remercie aussi d’avoir engagé dans son département une expérimentation qu’elle propose ici, d’une certaine façon de généraliser.

Celles et ceux d’entre nous qui ont déjà eu l’occasion d’accompagner des victimes de violences conjugales le savent : l’un des premiers écueils à la dénonciation des violences subies est la crainte des conséquences de cette dénonciation, en particulier le fait de devoir quitter le domicile et de se retrouver sans ressource, dans une précarité matérielle qui menace la survie de l’écosystème mère-enfant.

Cette crainte est dissuasive et amène nombre de femmes à rester dans le foyer conjugal. Il arrive souvent que des gens nous demandent pourquoi ces femmes restent dans cette situation… Nous avons tant de réponses à leur donner ! Ce texte propose de traiter l’une des explications de ce phénomène.

L’indépendance économique est une étape indispensable pour l’émancipation des femmes, qu’elles soient ou non, d’ailleurs, victimes de violences. L’indépendance économique est également importante pour prévenir les violences conjugales.

C’est la raison pour laquelle j’ai défendu la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial, ou encore l’augmentation du Smic. En effet, je le rappelle, en 2021 quelque 59, 3 % des salariés au Smic étaient des femmes. Par conséquent, un Smic bas signifie davantage de femmes en situation de précarité.

Nous fêtons cette année les cinq ans du mouvement #MeToo. Grâce aux milliers de témoignages de violences sexuelles et sexistes, grâce au mouvement féministe, grâce à la mobilisation des associations spécialisées, le combat contre les violences conjugales est maintenant un objet de politique publique qui mobilise les gouvernements depuis de nombreuses années.

Cette mobilisation n’a pas commencé en 2017. J’ai moi-même défendu le cinquième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Aujourd’hui, en tout cas, il s’agit d’un sujet de société.

J’en profite, madame la ministre, pour vous dire qu’il est positif d’avoir organisé un Grenelle sur ce sujet, mais qu’il est également important de définir un plan interministériel s’inscrivant dans la continuité des précédents plans.

Des choses ont été faites, mais il en reste encore, aussi bien sur le plan légal que d’un point de vue matériel et pratique.

Il nous faudra ainsi travailler sur plusieurs questions : les restrictions aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences ; l’exclusion de la résidence principale de l’enfant chez l’auteur des violences ; l’augmentation de la durée et de la portée de l’ordonnance de protection ; la dissimulation de l’adresse de résidence et de l’école des enfants à l’ex-conjoint violent ; le renforcement de la lutte contre les violences post-séparation, etc.

Je ne doute pas que le calendrier parlementaire nous permettra d’avancer sur ces différents points. J’imagine que la mission parlementaire que vous avez lancée, madame la ministre, et confiée à une sénatrice et à une députée permettra, au-delà de la question relative à la juridiction spécialisée, de balayer l’ensemble des difficultés juridiques qui se posent. Ainsi éliminerons-nous les « trous dans la raquette », si vous me passez l’expression, qui subsistent.

La création d’une aide financière d’urgence pour les victimes de violences conjugales est indispensable : c’est un moyen immédiatement mobilisable pour faciliter la sortie des violences. J’ajoute que nous aurions tort d’hésiter à voter cette mesure vu la situation financière de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), puisqu’elle est en excédent cette année !

Un amendement déposé par ma collègue Victoire Jasmin au nom du groupe socialiste a pour objet la domiciliation de droit des victimes de violences conjugales bénéficiant de l’avance d’urgence auprès d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale ou d’un organisme agréé, si elles le demandent.

Pour conclure, je veux ajouter que cette mobilisation financière nouvelle, qui constitue de fait un effort pour la collectivité publique, est finalement un juste retour des choses.

Je vous suggère de ce point de vue la lecture du Coût de la virilité de Lucile Peytavin, dans lequel cette dernière souligne à quel point la violence masculine est omniprésente dans la société et très coûteuse pour elle. Elle indique ainsi : « En France, les comportements virils masculins sont responsables chaque année de 7 milliards d’euros sur les 9, 06 milliards d’euros du budget total de la justice, […] de 8, 6 milliards d’euros sur les 13, 1 milliards d’euros du budget total des forces de l’ordre, de 2, 3 milliards d’euros sur les 16, 1 milliards d’euros du budget total des urgences et des hospitalisations qui s’ensuivent. À cela, il faut ajouter le coût humain et social de ces infractions à la loi, puisqu’il y a, derrière ces actes, des vies brisées ».

Plus de 200 000 femmes sont victimes chaque année de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Sur la totalité des violences conjugales, 96 % des auteurs sont des hommes. Cela représente, pour nos finances publiques, un coût de 3, 3 milliards d’euros par an.

Au regard de ce que nous coûte la violence masculine, le budget que nous propose de mobiliser Valérie Létard est bien minuscule, d’autant qu’il s’agit de prêts, donc de sommes destinées à être remboursées.

En proposant de créer une aide financière d’urgence, cette proposition de loi va dans le bon sens, celui du soutien aux victimes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la soutiendra avec enthousiasme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion