Intervention de Annick Jacquemet

Réunion du 20 octobre 2022 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Annick JacquemetAnnick Jacquemet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà cinq ans que #MeeToo a libéré la parole des femmes, cinq ans que, avec courage, elles sont enfin sorties du silence, bravant le sentiment de honte qui trop souvent les enferme dans un carcan de culpabilité.

Les témoignages se sont multipliés dans toutes les couches de la société, révélant au grand jour des violences jusque-là insoupçonnées ou ignorées. Les victimes se sont mises à parler et la société à les écouter – enfin ! Nous avons pris conscience de ce fléau. C’est une véritable révolution.

Les violences conjugales sont un phénomène multiforme, complexe, qu’il nous revient de traiter dans sa globalité.

Elles peuvent être physiques, psychologiques, mais aussi économiques. Elles se traduisent dans les faits par une précarité telle que la victime ne peut survivre sans son agresseur. Chantage financier, confiscation des ressources financières ou des moyens de paiement, ces comportements visent à acculer la victime et à la pousser vers un surendettement personnel. Lorsqu’elles font appel aux numéros d’aide aux victimes, 19 % des femmes déclarent subir des violences économiques.

Selon le ministère de l’intérieur, les plaintes pour violences conjugales atteignaient en 2020 le nombre de 159 400, en hausse depuis quelques années, alors qu’une enquête statistique du ministère estime à 295 000 le nombre annuel de victimes de violences conjugales, dont 72 % de femmes et 28 % d’hommes – il ne faut pas oublier ces derniers.

En 2021, quelque 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou un ancien conjoint, soit une hausse de 20 % par rapport à 2020.

J’ajoute qu’une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2018 révèle que près d’une femme sur cinq se déclare en situation de violences conjugales en Martinique et en Guadeloupe.

Un certain nombre de mesures ont déjà été prises ou renforcées : le téléphone grave danger – il y en a plus de 4 000 – ; le 3919 joignable sans interruption depuis le 30 août 2021 ; la messagerie instantanée qui permet de dialoguer avec un agent de police ; les plus de 9 000 places d’hébergement avec les 1 000 nouvelles décidées en début d’année ; les ordonnances de protection prises par un juge aux affaires familiales qui prononce l’éloignement du conjoint violent et permet, dans le même temps, d’organiser la vie de la famille ; les bracelets anti-rapprochement ; enfin, les centres de prise en charge des auteurs de violences pour éviter des récidives.

Malgré ces avancées, les données issues des appels au numéro 3919 Violence Femmes Info montrent que 59 % des victimes souhaitent quitter le domicile conjugal et que 18 % d’entre elles indiquent avoir effectué plusieurs départs pour revenir au foyer faute de moyens financiers leur permettant d’être autonomes. Il leur est donc très difficile de couper définitivement les ponts avec leur tortionnaire, d’autant plus lorsqu’elles partent avec leurs enfants.

L’aide financière d’urgence doit donc s’imposer comme l’un des piliers de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes de violences conjugales.

C’est une mesure de bon sens, qui émane du terrain, de celles et ceux qui travaillent au quotidien avec ces victimes : services sociaux du département, CAF, parquet, associations. Pour avoir été en charge des solidarités au conseil départemental du Doubs, je peux dire, chère Valérie Létard, que cette proposition de loi est la bienvenue.

Quelques éléments du texte me semblent particulièrement importants.

Nous savons que, au-delà de soixante-douze heures, les victimes, livrées à elles-mêmes, sont contraintes de rentrer au domicile. Ce dispositif répond à ce problème en versant, dans un délai maximum de trois jours, une somme dont le montant sera fixé par décret.

Cette aide étant non pas une allocation, mais bien un prêt à taux zéro, elle devra être remboursée dans son intégralité selon un échéancier variable. Cependant, la proposition de loi contient un mécanisme permettant à la CAF de se constituer partie civile. Cela lui permettra, si le prêt est encore en cours moment du jugement, de se rembourser sur les dommages et intérêts versés par le coupable.

Enfin, cette aide est universelle, et je pense que, à ce niveau d’urgence, il n’y a pas lieu de faire une quelconque distinction entre milieux sociaux.

Nous connaissons tous le taux de non-recours aux aides sociales. C’est pour cette raison qu’il incombera soit à l’officier ou l’agent de police judiciaire, soit à l’intervenant social en commissariat et gendarmerie recevant la victime de l’informer de l’existence de ce prêt, d’en enregistrer la demande et de la transmettre à la CAF, ainsi qu’au conseil départemental, chef de file de l’action sociale.

Cette procédure nécessitera une parfaite information et formation de ceux qui sont souvent en première ligne pour accueillir les victimes.

Je terminerai mon propos en soulignant le travail formidable accompli par tous les partenaires, dans toutes les associations d’aide aux victimes de violences conjugales, souvent confrontées à des difficultés financières. Je garde en mémoire la lueur d’espoir qui se rallume dans les yeux de celles qui sont prises en charge et accompagnées pour se reconstruire et qui voient enfin leur avenir s’éclaircir.

Je voudrais remercier chaleureusement notre collègue Valérie Létard d’avoir travaillé sur le terrain dans son département du Nord et concrétisé ce dispositif si utile, ainsi que Jocelyne Guidez de son travail consciencieux et sérieux de rapporteure, qui a permis d’amender ce texte avec précision.

Je suis persuadée que cette proposition de loi permettra de réaliser un bond en avant dans la lutte contre les violences conjugales et pourra éviter bien des drames en offrant une échappatoire aux victimes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion