Cette proposition de loi intervient à un moment où la forêt française est à la croisée des chemins, comme l’a été l’agriculture dans les années 1950. Nous allons devoir collectivement prendre des décisions. Dans les années à venir, il va falloir choisir entre un modèle industriel d’exploitation et un modèle pérenne de sylviculture douce qui respecte la multifonctionnalité des forêts.
Alors que nous n’avons de cesse de parler de décarbonation de notre économie afin de baisser nos émissions de CO2, il n’est pas inutile de rappeler que les arbres séquestrent et stockent du carbone grâce à la photosynthèse, et libèrent en retour de l’oxygène. En un an, un arbre peut absorber entre 10 et 20 kilogrammes de CO2.
Au-delà de la fonction écologique, c’est aussi la fonction sociale de la forêt qui doit être mise en exergue, car nos forêts accueillent chaque année près de 700 millions de visites.
Pour protéger ces vecteurs sociaux et écologiques, il faut un État fort et présent.
Or la situation de l’ONF est plutôt révélatrice du désengagement de l’État en la matière. En vingt ans, cet organisme a connu près de 5 000 suppressions de postes. Et il semble que le mouvement soit bien parti pour durer, le Gouvernement ayant décidé l’an dernier de supprimer 500 emplois supplémentaires sur cinq ans. De fait, en 2025, l’ONF comptera 8 000 fonctionnaires, contre 16 000 en 1986.
De telles suppressions sont un non-sens, car le dérèglement climatique et le dépérissement des forêts vont nécessiter de plus en plus de travail, comme le suivi sanitaire et le renouvellement des peuplements forestiers.
Derrière ces suppressions de postes se cache aussi un malaise bien plus profond et dramatique chez ceux qui, par leur passion, entretiennent et protègent nos forêts.
Entre 2005 et 2020, cinquante et un agents de l’ONF ont mis fin à leurs jours. Ce taux est deux fois plus élevé que dans le reste de la population française. Le malaise est révélateur de l’état de la profession. Les suicides ne peuvent pas s’expliquer par la seule solitude du forestier isolé dans les bois.
La profession a le sentiment que la mutation dont elle fait l’objet l’aliène. En ce sens, l’évolution de la sémantique est éloquente : le terme de « garde forestier » a été remplacé par celui d’« agent patrimonial ». À la base, les gardes forestiers étaient là pour garder la forêt, afin de tout gérer de manière généraliste sur un territoire donné.
Désormais, l’agent patrimonial est spécialisé sur le terrain, divisé, branche par branche, et soumis à l’objectif permanent de rendement. C’est précisément cela qui crée une perte d’identité significative.
C’est donc cette logique comptable, poussant au demeurant éternellement aux rendements toujours plus considérables et à la financiarisation de l’exploitation forestière, qui est permise par une ouverture toujours plus grande aux entités privées dans ce domaine pourtant commun.
Pour conclure, bien que le sujet, ainsi que le principe qui le sous-tend semblent bons, je déplore le manque d’ambition de la proposition de loi, dans la mesure où le texte se cantonne à une part réduite de la forêt française et ne retient pour seul mécanisme que la réduction fiscale. Réduction qui s’inscrit dans un contexte où le Gouvernement organise perpétuellement l’attrition des finances publiques.
Le désarmement fiscal ne saurait être une réponse satisfaisante aux limites de financement des politiques publiques, quand celles-ci devraient investir massivement dans certains pans de la société.
Pour toutes ces raisons, et en dépit d’une initiative bienvenue, le groupe SER votera contre ce texte.