Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 octobre 2022 à 10h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur :

À chaque fois que ces réformes seront proposées et que leur contenu répondra vraiment aux enjeux économiques, nous répondrons présents.

Mais il faut également garder en tête un élément de lucidité et de responsabilité : les effets positifs de ces réformes de long terme ne se feront ressentir qu'après quelques années.

Aussi, lorsque le Gouvernement indique que l'activité augmentera grâce à une réforme des retraites qu'il ne fait pour l'instant qu'annoncer, il convient de lui rappeler que, selon les modèles macroéconomiques mobilisés par la direction du Trésor, une telle réforme ne fait augmenter le PIB qu'au bout de dix ans.

Enfin, s'agissant de l'hypothèse d'une réduction du taux de chômage à 5 % en 2027, attention à ne pas confondre slogan de campagne et scénario macroéconomique rigoureux. Je souhaite à notre pays d'atteindre ce résultat, mais, à ce stade, le Gouvernement est bien seul à faire cette prévision : tant le FMI que l'OFCE considèrent que le chômage devrait se maintenir aux environ de 7,5 % d'ici à 2027. J'estime donc que le scénario macroéconomique retenu repose sur des hypothèses si favorables qu'il en devient fragile.

J'ai envisagé de réviser l'ensemble de ce scénario afin de lui préférer des hypothèses plus crédibles et proches du consensus des économistes, avant d'écarter cette option : il est primordial que le débat sur la trajectoire des finances publiques ait lieu. Or modifier le scénario macroéconomique du Gouvernement impliquerait, une fois décidées les options retenues, de réviser l'ensemble des agrégats de finances publiques : part des dépenses et des recettes dans le PIB, solde public, solde structurel, etc. En aussi peu de temps et avec les moyens dont nous disposons, cela me semble difficile. De plus, cela introduirait une véritable confusion dans nos débats, alors que je souhaite proposer une trajectoire de finances publiques alternative à celle du Gouvernement, plus rigoureuse et sérieuse, y compris à l'égard de nos partenaires européens. Je partirai donc de ce scénario macroéconomique pour pouvoir comparer notre proposition et trancher sur le véritable point essentiel : l'ampleur des efforts à réaliser pour redresser nos finances publiques.

Sous ces réserves, la trajectoire de finances publiques proposée par le Gouvernement apparaît peu ambitieuse.

Ainsi, le déficit public resterait supérieur à 3 % du déficit jusqu'en 2027. Pour rappel, nos partenaires européens repasseraient sous la barre des 3 % de déficit avant 2025.

Notre endettement public ne refluerait pas avant 2026 et resterait à des niveaux encore très importants : près de 111 % du PIB en 2027.

Je dirai quelques mots sur chacun des secteurs d'administration publique.

Le projet de loi programme une augmentation de crédits pour la plupart des missions du budget général, la seule baisse notable concernant la mission « Plan de relance », qui est, par nature, en extinction progressive. La charge de la dette aura un impact majeur dans cette trajectoire, également marquée par les principales priorités affichées, telles que la défense, l'éducation nationale et l'écologie. Le Gouvernement a choisi les politiques sur lesquelles il convient de rajouter des crédits, pas celles sur lesquelles des économies seraient possibles.

La programmation prévoit aussi une stabilité de l'emploi entre 2023 et 2027, en partant de l'année 2023, marquée par une hausse d'environ 10 000 emplois. En conséquence, aucun effort particulier n'est engagé. Quant à la masse salariale, le projet de loi de programmation ne comporte aucune mesure ni engagement. Elle connaît pourtant, en 2023, une forte progression de 4,3 %, après 4,6 % entre 2021 et 2022. La prévision de stabilité, voire de légère progression, de l'emploi de l'État au cours de la période permet d'anticiper une augmentation continue de la masse salariale durant cette même période.

Les administrations locales contribueront fortement à l'amélioration du solde public. En effet, le Gouvernement prévoit une diminution de leurs dépenses de 0,5 % par an en volume. En 2027, les administrations dégageront un excédent d'environ 0,5 point de PIB. Cet effort est particulièrement important en comparaison de la contribution que les administrations centrales seront amenées à fournir à la maîtrise des dépenses. En passant, je considère que les instruments proposés par le Gouvernement pour parvenir à ce résultat, en l'occurrence la contractualisation prévue à l'article 23, n'est pas respectueuse des collectivités locales. Nous y reviendrons.

Les administrations sociales, elles, présenteraient un excédent de l'ordre d'un point de PIB en 2027. Pour l'essentiel, ce résultat s'explique par la contribution de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), mais aussi par une prévision d'amélioration du solde de l'Unédic qui me paraît très optimiste. En effet, comme je l'ai dit, le Gouvernement fait l'hypothèse d'atteindre le plein-emploi en 2027, ce qui est loin de faire consensus.

En parallèle, j'observe que les régimes de base de sécurité sociale continueront de présenter un déficit persistant. Je ne doute pas que notre collègue Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales et rapporteure pour avis sur ce texte, en dira un mot.

Sur l'ensemble des administrations publiques, je considère que la trajectoire de dépenses publiques présentée par le Gouvernement n'est pas assez ambitieuse et, surtout, présente un effort en trompe-l'oeil.

Un volume important de dépenses a été engagé depuis 2020 pour faire face aux différentes crises que nous avons traversées - sanitaire, économique et, aujourd'hui, énergétique. Or ces dépenses ne sont pas retraitées ni même au moins indiquées dans la présentation de la trajectoire de dépenses du Gouvernement. Il en va de même des dépenses de charge de la dette, alors que la bonne mesure d'un effort en dépense reste la dépense primaire, c'est-à-dire hors charge des intérêts de la dette.

Au final, l'ensemble de ces dépenses que je qualifierais de « non ordinaires », c'est-à-dire incluant les dépenses de crise et d'intérêts de la dette, représente près de 116 milliards d'euros en 2022. En ne retraitant pas ces dépenses, le Gouvernement s'assure de présenter une trajectoire d'évolution des dépenses publiques qui témoigne d'un effort artificiellement surestimé. Ainsi, selon le scénario présenté par le Gouvernement, les dépenses publiques diminueraient d'environ 0,2 % par an en moyenne en volume entre 2022 et 2027. Toutefois, une fois retraitées les dépenses non ordinaires, les dépenses publiques progresseront en réalité de 0,6 % par an en volume. On constate également une inversion assez spectaculaire de la dynamique des dépenses des administrations centrales, qui, plutôt que de se réduire, augmenteront de près de 0,9 % par an.

En outre, la répartition de l'effort à fournir par chacune des catégories d'administration publique pour réaliser cette trajectoire est loin d'être équitable.

Pour apprécier l'effort à réaliser, j'ai estimé un tendanciel de croissance des dépenses par catégorie d'administration publique. En effet, si la dépense d'une administration augmente tendanciellement de 1 % chaque année, lui demander de ne laisser croître que de 0,5 % cette dépense revient à lui demander de réaliser une économie équivalant à 0,5 point. À l'inverse, si la dépense d'une administration augmente tendanciellement de 1 % et qu'on lui demande d'en limiter la croissance à 2 %, alors on l'autorise, en réalité, à augmenter ses dépenses.

En l'espèce, nous aboutissons à un tendanciel pour l'ensemble des administrations publiques équivalant à 1,2 %, soit le même niveau que celui qu'a retenu le Gouvernement dans le rapport annexé. Sur cette base, la trajectoire du Gouvernement implique 25 à 27 milliards d'euros d'économies à réaliser pour les administrations locales et sociales. Les administrations centrales, elles, n'en réaliseraient pas. C'est une situation tout à fait inéquitable.

Je pars donc de ces deux constats : d'abord, la proposition du Gouvernement manque d'ambition en termes de redressement des comptes publics et de baisse de la dépense ; ensuite, il n'est pas acceptable que l'on demande moins d'effort à l'État qu'aux autres administrations publiques.

Je propose, par conséquent, une révision de la trajectoire de dépenses des administrations publiques qui vise à soumettre les dépenses de l'État, hors charge de la dette et hors coût des mesures de crise - c'est-à-dire le périmètre des dépenses ordinaires -, à une norme d'évolution en volume de - 0,5 %, comme cela est demandé aux administrations locales.

Cette proposition répond à quatre objectifs : faire refluer le déficit et l'endettement public plus rapidement que ne le prévoit le Gouvernement ; assurer la pleine contribution des administrations centrales ; préserver les dépenses sociales et régaliennes ; conserver des marges d'intervention face à la crise.

Au final, cette trajectoire conduirait les dépenses publiques ordinaires à n'évoluer que de 0,1 % par an, contre 0,6 %, comme le propose le Gouvernement. Cette trajectoire impliquerait de réaliser des efforts dès 2023, à hauteur de 3,8 milliards d'euros en l'état actuel du projet de loi de finances.

Au cours des années 2023 à 2027, nous devrons trouver de nouvelles sources d'économies en mettant en oeuvre des réformes structurelles : baisse à long terme des effectifs ; engagement d'une réforme des retraites plus ambitieuse que celle annoncée hier par le Président de la République ; réorganisation de certains services publics, comme celui de l'audiovisuel ; décalage dans le temps des trajectoires programmatiques d'évolution des crédits de certaines politiques publiques non régaliennes ; réformes des prestations sociales ; maîtrise des dépenses de l'assurance maladie.

Pour mémoire, notre commission des finances a rendu, depuis 2015, 109 rapports riches de mesures, qui viendront nourrir nos réflexions.

Quoi qu'il en soit, les efforts que je propose d'engager au travers de cette trajectoire parfaitement crédible nous permettraient de réduire significativement notre déficit et notre endettement dès 2023. Ainsi, à recettes constantes, notre déficit reviendrait sous la barre des 3 % de PIB dès 2025, comme la plupart de nos partenaires européens, et nous atteindrions 1,7 % en 2027. Quant à l'endettement, il se situerait 3,1 points en dessous de ce que prévoit le Gouvernement.

Cette modification de la trajectoire constitue l'évolution majeure que je propose dans ce projet de loi de programmation. Elle se traduit dans plusieurs des amendements que je vous propose, puisque cela modifie à la fois l'évolution du solde structurel, l'effort structurel et différents objectifs fixés aux administrations publiques, comme l'évolution de leur solde par sous-secteur, le niveau de dépenses ou d'endettement.

Vous l'aurez compris, cet effort de redressement des comptes publics concerne uniquement l'État et les autres administrations centrales. Les administrations sociales ne sont pas touchées ; au demeurant, la trajectoire proposée par le projet de loi repose déjà sur un scénario optimiste, en particulier pour l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Mme Doineau, rapporteure au nom de la commission des affaires sociales et, surtout, rapporteure générale de cette même commission, pourra nous en dire quelques mots. Nous proposons un amendement identique afin d'étendre jusqu'à 2026 - faute de connaître le montant pour l'année 2027 -, la trajectoire de l'objectif de dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) telle que présentée par le Gouvernement. Il s'agit là de faire respecter la toute récente disposition introduite à l'occasion de la révision de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), que le Gouvernement ne respecte déjà pas. Les autres mesures proposées par la commission des affaires sociales au travers de ses amendements recueillent mon accord.

S'agissant des administrations locales, je ne prévois pas de modifications sur la trajectoire des concours financiers, même si - ne soyons pas dupes - leur évolution en valeur cache, en réalité, une contraction en volume. Je vous propose, en revanche, un amendement pour faire sortir la TVA affectée aux régions de l'enveloppe normée des concours financiers. En effet, il convient d'éviter que, en cas d'évolution supérieure aux prévisions du produit de TVA affectée, la différence ne soit retranchée des autres concours financiers.

À cela s'associe un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel) intégrant l'effort de baisse de 0,5 % en volume des dépenses de fonctionnement auquel j'ai fait référence. Depuis des années, les collectivités territoriales ont pris leur part dans le redressement des comptes publics ; elles gèrent efficacement leurs budgets. Elles ont réalisé 11 milliards d'euros d'économies sur leurs dépenses de fonctionnement sur la période 2019-2021, alors même que les contrats de Cahors n'ont pas été appliqués en 2020 et 2021. Dans le projet de loi, le Gouvernement propose une contrainte à la fois sur l'évolution de leurs dépenses et sur la progression de leurs ressources, avec une trajectoire de diminution des concours financiers de l'État. Nous ne pouvons accepter ces termes que si l'État fait de même. Ce sera l'objet de mes amendements.

Par ailleurs, je considère le mécanisme de l'article 23 comme inacceptable. Il vise à garantir le respect de l'Odedel par ce qui a été présenté par le Gouvernement comme un « pacte de confiance » dans l'association des collectivités territoriales au redressement des comptes publics, mais s'avère finalement très comparable aux anciens contrats de Cahors - ce que j'appelle le « Cahors 2 ». Certes, le dispositif se donne l'apparence de la différence en prévoyant une année d'observation de l'évolution des dépenses et en distinguant les catégories de collectivités à l'échelle nationale, avant d'envisager l'application de mécanismes de correction individuels pour les collectivités ou groupements appartenant à une catégorie ayant dépassé l'objectif. Je trouve cela très étonnant : suivant la situation de la catégorie à laquelle appartient la collectivité vis-à-vis de l'Odedel, la collectivité pourrait se voir ou non appliquer des sanctions si elle-même dépasse l'objectif.

Les mécanismes de correction ressemblent quant à eux à ceux des contrats de Cahors, en particulier au regard des éléments prévus dans les accords de retour à la trajectoire qui devront être signés par les collectivités ou leurs groupements.

Mais cet article contient surtout une innovation inacceptable : l'exclusion des collectivités concernées, avant même la signature de tout contrat, de l'octroi de certaines dotations d'investissement de l'État. Une telle proposition est, au demeurant, parfaitement contradictoire avec la philosophie affichée du dispositif et du discours gouvernemental qui prétend faire porter l'effort de maîtrise des dépenses sur la seule section de fonctionnement, sans affecter l'investissement local.

Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un mécanisme de contrôle et de sanction aussi rigide est pour le moins inadaptée à la situation actuelle. Les incertitudes sont fortes pour tous - ménages, entreprises mais aussi collectivités - face à la hausse des prix et à la crise énergétique dans un contexte de guerre en Ukraine. Le poids de ces contraintes exogènes devrait inexorablement peser sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales dans une mesure encore inconnue ou difficile, voire impossible à évaluer.

Pour toutes ces raisons, je vous proposerai la suppression pure et simple de l'article 23. Il s'agit d'un système inacceptable de surveillance de la dépense locale et de sanction, loin du principe de libre administration des collectivités territoriales et de la relation de confiance qu'attendent les collectivités territoriales et leurs groupements.

Je vous proposerai ensuite plusieurs amendements qui s'inscrivent dans un objectif de plus grande rigueur dans la maîtrise de la dépense.

Ainsi, à l'article 9, qui définit une nouvelle norme de dépense avec le « périmètre des dépenses de l'État », je propose de préciser que les montants prévus pour chaque année constituent non pas des cibles, mais des plafonds de dépenses. De même, un amendement à l'article 10 tend à faire de la stabilité en exécution des schémas d'emplois de l'État un plafond d'emplois, et non une simple cible.

Sur ce point, comme je l'ai déjà indiqué, les efforts affichés restent limités, alors qu'en 2023 serait ainsi crantée la création de 10 000 nouveaux emplois. Pour autant, la dernière loi de programmation, qui prévoyait une baisse de 50 000 emplois, n'a absolument pas été respectée, comme j'ai eu l'occasion de le démontrer à maintes reprises. Je n'exclus pas d'évoluer vers une disposition plus exigeante d'ici à l'examen en séance.

Concernant le « périmètre des dépenses de l'État », j'ai également déposé un amendement pour que la présentation de cette nouvelle norme dans le PLF opère une distinction entre différentes composantes : crédits du budget général tels que prévus dans ce périmètre, impositions de toutes natures plafonnées, budgets annexes, etc.

Outre les amendements rédactionnels ou de correction technique du texte, qui sont, pour l'essentiel, des reprises d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale, je vous propose aussi des amendements guidés par un souci de vigilance quant à la mise en oeuvre effective des mesures que nous adoptons. Souvent, les bonnes intentions affichées dans les lois de programmation ne se reflètent pas dans l'application. Les cinq années écoulées en sont une bonne illustration.

D'abord, l'article 15 prévoit que les créations ou modifications de dispositifs d'aides aux entreprises ne soient applicables que pour une durée maximale de cinq années et que leur extension ou prolongation soit précédée d'une évaluation présentée au Parlement. Je propose qu'un arrêté établisse la liste des dispositifs concernés, faute de quoi le contrôle de l'application effective de cet article ne sera pas possible. Un autre amendement en restreint le périmètre aux dispositifs d'aide aux entreprises de l'État.

Ensuite, l'article 21 prévoit que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un ensemble d'évaluations portant sur l'efficacité de l'action publique et des dépenses publiques. Le dispositif est peu précis et incantatoire. Considérant qu'il pourrait toutefois constituer le point de départ utile à l'évaluation des politiques publiques, je propose divers compléments pour le rendre plus opérationnel, notamment que l'on dispose d'une liste de ces évaluations à réaliser tous les ans.

Enfin, je précise dans un amendement le contenu de ce qui sera attendu dans les bilans des lois de programmation des finances publiques prévus à l'article 25.

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