Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 octobre 2022 à 8h35
Justice et affaires intérieures — Extension du contrôle de la cour de justice de l'union européenne cjue aux actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune pesc susceptible de découler des négociations d'adhésion de l'union européenne ue à la convention européenne des droits de l'homme cedh - communication de mme gisèle jourda et de m. dominique de legge

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapporteure :

Il y a deux ans, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient publié un rapport d'ensemble sur la relance des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

Tous les États membres de l'Union européenne sont parties à cette Convention, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est à Strasbourg. En revanche, l'Union en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par le traité de Lisbonne.

J'ajoute que la position de la France était et demeure favorable, dans son principe, à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ce matin, nous évoquerons un aspect, et un seul, de ces négociations d'adhésion qui comprennent au total quatre paniers : celui relatif à la politique étrangère et de sécurité commune, qui avait été abordé par le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne lors de son audition, le 27 septembre dernier.

Je précise que les négociations d'adhésion se déroulent en deux temps.

Premièrement, une phase interne à l'Union européenne, au sein du Conseil, vise à accorder les positions des États membres. Les négociations se sont déroulées pour l'essentiel au sein de la filière justice.

Deuxièmement, un temps de négociation à Strasbourg dans un format dit « 46+1 », qui fait intervenir l'ensemble des États parties à la Convention.

Le calendrier très rapide d'examen de ce dossier s'est imposé à nous, car il devrait effectivement être évoqué lors de la réunion du Coreper qui se tiendra la semaine prochaine, le 26 octobre. Or il apparaît très problématique. Derrière des questions juridiques complexes se cachent en effet des enjeux politiques et démocratiques simples.

Premièrement, est-on prêt à accepter que la Cour de justice de l'Union européenne devienne compétente en matière d'actes de politique étrangère et de sécurité commune, aux fins de contrôler une éventuelle violation des droits fondamentaux, alors que le traité de Lisbonne a expressément affirmé que la CJUE n'est pas compétente en matière de PESC, sauf exceptions limitativement énumérées ?

Deuxièmement, va-t-on vers une révision déguisée des traités, poussée par les services de la Commission européenne et, pour une part, du Conseil ?

Troisièmement, quelles pourraient être les conséquences opérationnelles de ces négociations sur la conduite des opérations relevant de la PESC ?

Pour préparer cette communication, nous avons auditionné plusieurs personnes de la représentation permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe, du ministère des armées, du secrétariat général des affaires européennes et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères : Marie Fontanel, ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe, ainsi que Gaëlle Taillé, son adjointe sur les questions juridiques ; Camille Faure, directrice adjointe, et Barbara Aventino, adjointe à la sous-directrice du droit international et européen, pour la direction des affaires juridiques du ministère des armées ; Caroline Vinot, secrétaire générale adjointe « protection, frontières et justice » au secrétariat général des affaires européennes, ainsi qu'Antoine Michon, adjoint au chef du bureau « voisinage, élargissement, défense » ; enfin, Tanguy Stehelin, directeur adjoint de la direction des affaires juridiques, et Étienne Ranaivoson, sous-directeur des relations extérieures de l'Union européenne au sein de la direction de l'Union européenne, pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

L'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne dispose, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».

Le paragraphe 3 précise que « les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ».

Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ». De même, la situation particulière des États membres à l'égard de la CEDH doit être prise en compte, par exemple s'ils ont émis des réserves. S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune, il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base, à deux exceptions près : pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.

Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.

La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités - il s'agit d'un point délicat à examiner.

Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE. S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifierait que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC. Cette solution devait permettre d'assurer le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie.

Les négociations au Conseil de l'Europe ont repris en juin 2020 et ont notamment avancé sous présidence française du Conseil. Huit réunions du groupe de travail « Droits fondamentaux, droits des citoyens et libre circulation des personnes » (Fremp) ont ainsi été consacrées à ce dossier. Le mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.

La Commission européenne a alors proposé une alternative : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la Cour de justice de l'Union européenne d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne se prononce.

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