Intervention de Gilbert Bouchet

Réunion du 26 octobre 2022 à 15h00
Traité de coopération bilatérale renforcée avec l'italie — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Gilbert BouchetGilbert Bouchet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.

Mieux connu sous le nom de « traité du Quirinal », cet accord a été signé dans le palais accueillant la présidence de la République italienne le 26 novembre 2021 par Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, en présence du président italien Sergio Mattarella.

Ce texte a été adopté en commission le 27 septembre dernier. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires a demandé que cette convention de partenariat soit débattue en procédure normale, ce que j’approuve totalement. Mais je rappelle que nous ne pouvons amender ce projet de loi : il sera soit adopté, soit rejeté par notre assemblée.

L’actualité politique italienne apporte un éclairage nouveau sur nos relations bilatérales, qui ont déjà connu des hauts et des bas ces dernières années.

Au printemps 2018, l’arrivée au pouvoir de l’alliance entre la Ligue, parti d’extrême droite, et le Mouvement 5 étoiles a fait prospérer des narratifs anti-élites et anti-européens, voire anti-français. Le summum de la crise a été atteint en janvier 2019, lorsque le vice-président du Conseil, M. Di Maio, du Mouvement 5 étoiles, a apporté son appui au mouvement des « gilets jaunes ». L’ambassadeur français, M. Christian Masset, a été rappelé en France le 7 février 2019 ; cela ne s’était jamais produit depuis 1940, lorsque Mussolini avait déclaré la guerre à la France…

Encore récemment, l’avis de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, rendu le 29 juin 2022, défavorable à la mise à exécution des demandes d’extradition de dix anciens militants d’extrême gauche pour « faits de terrorisme » a fortement ému l’opinion publique italienne. Les propos tenus par le Président de la République française et l’annonce d’un pourvoi en cassation par le parquet ont eu un fort effet d’apaisement en Italie, à quelques jours seulement de la ratification du traité du Quirinal par le Sénat italien.

La constitution d’une nouvelle coalition composée du Mouvement 5 Étoiles et du Parti démocrate à l’été 2019, puis l’arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil en février 2021, ont relancé le processus du traité du Quirinal.

Les excellentes collaborations bilatérales entre la France et l’Italie, soutenues par différents secteurs de la société civile, ont également contribué au rapprochement, aboutissant à la signature du traité le 26 novembre 2021.

Les domaines de coopération prévus par le traité sont particulièrement étendus : affaires étrangères, sécurité et défense, affaires européennes, politiques migratoires, justice et affaires intérieures, coopération économique, industrielle et numérique, droits sociaux, développement durable, espace, enseignement et recherche, culture et jeunesse, enfin coopération transfrontalière.

Les objectifs de coopération sont précisés et déclinés de manière plus opérationnelle dans une feuille de route révisable chaque année en fonction de l’évolution des priorités et de l’environnement international et européen, dont la première version a été signée en même temps que le traité.

Plusieurs mécanismes de consultation et de coopération sont prévus par le traité, afin de développer une culture administrative commune et des habitudes de consultation qui favoriseront l’émergence d’un « réflexe franco-italien ».

Ce rapprochement sera favorisé par les formats de consultation réguliers inscrits dans le traité pour tous les domaines.

Un comité stratégique paritaire composé des secrétaires généraux des ministères des affaires étrangères assurera l’application du traité, qui tend à aménager des espaces d’échanges interministériels et administratifs.

Sur le plan gouvernemental sont notamment prévus la relance du Conseil franco-italien de défense et sécurité, un forum de concertation économique, des réunions bilatérales annuelles pour différents ministres, ou encore un dialogue sur les transports. De plus, chaque trimestre, un membre du gouvernement de l’un des deux États prendra part au conseil des ministres de l’autre État.

Sur le plan administratif, plusieurs instances de concertation thématiques seront créées, par exemple en matière de migrations et d’asile ou de sécurité intérieure. Des échanges de fonctionnaires seront également permis.

En ce qui concerne les sociétés civiles, un Conseil franco-italien de la jeunesse sera constitué et un service civique franco-italien mis en place.

Ce réflexe franco-italien se traduira également sur le plan européen : l’article 3 du traité prévoit que les deux États présenteront des positions communes, notamment en ce qui concerne le recours à la majorité qualifiée étendue ou l’adoption de nouvelles règles budgétaires. La feuille de route mentionne d’ailleurs expressément la révision du pacte de stabilité.

Le sujet de la réforme de la politique européenne migratoire et d’asile a fait l’objet de négociations plus soutenues. Un compromis a été trouvé : « Travailler ensemble à une réforme en profondeur et à une mise en œuvre efficace de la politique migratoire et d’asile européenne. »

En outre, le texte comporte un volet parlementaire : en préambule sont reconnues « l’importance et la vitalité de la coopération entre leurs parlements respectifs et le rôle que la diplomatie parlementaire joue dans les liens entre leurs pays ». S’agissant de cette dernière, il est d’ailleurs prévu de la « renforcer à travers des formes de coopérations permanentes, notamment entre [les] commissions respectives [des chambres] ».

L’Assemblée nationale et la Chambre des députés ont d’ailleurs déjà conclu un protocole de coopération, le 29 novembre 2021.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pour sa part organisé un déplacement en Italie, du 1er au 4 décembre 2021, mené par le président Christian Cambon et au cours duquel la conclusion d’un accord de coopération avec le Sénat italien a été évoquée.

Un traité comme celui du Quirinal est très rare en Europe : il s’agit seulement du second traité bilatéral signé par la France après celui de l’Élysée, paraphé avec l’Allemagne en 1963 et complété en 2019 par celui d’Aix-la-Chapelle.

Le traité du Quirinal a été ratifié en Italie par la Chambre des députés le 25 mai et par le Sénat le 5 juillet, à chaque fois à une très large majorité. Au Sénat italien, seuls les sénateurs d’opposition du groupe Fratelli d’Italia et quelques non-inscrits antieuropéens dissidents du Mouvement 5 étoiles ont voté contre – 21 voix – ou se sont abstenus – 5 voix.

En France, l’Assemblée nationale s’est prononcée à l’unanimité des suffrages exprimés pour sa ratification, le 28 juillet 2022. Le Sénat français est donc la dernière chambre à être saisie du projet de loi.

La coïncidence entre l’examen par le Sénat du présent projet de loi et l’investiture de Giorgia Meloni comme présidente du Conseil nous pousse à nous interroger sur la volonté de cette dernière de mettre en œuvre le traité du Quirinal.

En effet, on s’en souvient, ce sont majoritairement les parlementaires de son parti, Fratelli d’Italia, qui ont voté contre la ratification du traité. Leur principal argument était qu’ils avaient été tenus dans l’ignorance du texte. Ils ajoutaient que, en tant que parti d’opposition, ils ne pouvaient signer un chèque en blanc au gouvernement. De façon plus implicite, ils considéraient le traité comme servant avant tout les intérêts français.

Dans un récent entretien, Georgia Meloni expliquait ne pas être convaincue par l’idée de poursuivre l’intégration européenne au moyen de traités bilatéraux, mais que, « maintenant que le traité est en vigueur et nous donne un cadre, il appartient aux gouvernements et aux hommes politiques de lui donner un contenu ».

On peut constater que, à l’approche du pouvoir, Giorgia Meloni a mis de l’eau dans son vin. Sa coalition promettait ainsi, dans son programme, le « respect des alliances internationales, des engagements envers l’Alliance atlantique et du soutien à l’Ukraine face à l’invasion de la Fédération russe ». Elle a d’ailleurs été la seule à soutenir sans ambiguïté le gouvernement Draghi sur le plan international et sur l’envoi d’armes à l’Ukraine.

En outre, elle a exprimé son souhait d’une Europe plus stratégique et géopolitique, au sein de laquelle l’Italie devra prendre toute sa place.

Les récents propos tenus par Sylvio Berlusconi sur sa proximité avec Vladimir Poutine ont pu choquer, mais les élections des présidents des chambres et les nominations ministérielles ont montré que la coalition était dominée par Giorgia Meloni. Le fondateur de Forza Italia ne pèse sans doute pas autant qu’il l’affirme.

Enfin, si des positions divergentes affleuraient sur différents sujets, ne devrions-nous pas capitaliser sur ce qui pourrait nous rapprocher ?

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