Elle est même en conflit avec son « grand frère russe » depuis les années 1930 et l’Holodomor – nous le commémorerons le 26 novembre prochain –, cette extermination par la faim d’environ cinq millions de victimes, par la volonté de Staline, alors grand maître du Kremlin, qui avait choisi de piller le grenier à blé de l’Union soviétique pour financer son industrialisation.
L’Ukraine et la Russie sont en guerre depuis fort longtemps, mais jusqu’à présent cela ne nous dérangeait pas.
Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a mis fin pour nous au dividende de la paix. Cet événement central a bousculé tous nos arbitrages économiques et politiques. Comme un voile qui se déchire, l’invasion de l’Ukraine par la Russie nous a permis de voir les fractures déjà à l’œuvre dans le tissu économique et social français.
La guerre a martelé, comme la pandémie de covid-19, le message de l’impréparation de la France, sa vulnérabilité en général face aux chaînes de valeur des secteurs stratégiques essentiels. La question des ressources et des approvisionnements s’est posée avec brutalité.
Désormais, les enjeux de sécurité sont devenus prioritaires. La question de l’engagement militaire de la France est centrale.
J’ai eu la chance d’être présente à la Rada le jour où les députés ukrainiens ont longuement applaudi la France, le président Larcher et nos canons Caesar – moment inoubliable.
Nous examinerons bientôt le projet de loi de finances pour 2023, premier budget depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Nous souhaitons savoir quels moyens seront prévus pour la poursuite de l’aide à l’Ukraine.
Le Parlement, dont il est évident qu’il doit être tenu au courant de l’effort de guerre, ressent, madame la Première ministre, une forme de frustration face à ce que je qualifierai d’« opacité » sur la question des volumes précis et du type d’aide fournie.
On annonce un nouveau « paquet militaire » : nous aimerions savoir ce qu’il contient précisément.
Des chiffres circulent sur ce que pourrait être le montant financier de notre aide militaire, mais c’est de vous, madame la Première ministre, que nous devons obtenir une information fiable et précise, qui permettra de situer l’importance de notre effort par rapport à celui des autres nations.
Nous demandons à être informés de façon régulière, ce qui ne remet pas en cause, bien évidemment, notre soutien, particulièrement celui du groupe Union Centriste, à votre action.
Les derniers développements des combats sur le sol ukrainien nous laissent penser que cette situation n’est pas transitoire et, malgré les avancées ukrainiennes, nous avons devant nous un conflit qui s’installe et qui sera long. L’offensive ukrainienne ralentit et la mobilisation partielle décrétée par Vladimir Poutine apportera aux Russes un renfort humain massif, même si les nouveaux soldats seront globalement mal équipés et peu motivés.
Il nous faut donc désormais nous donner des moyens durables de faire face aux conflits de haute intensité sur le sol national et sur le sol européen.
Aujourd’hui, la situation militaire est loin d’être stabilisée. Plus l’armée russe recule, plus le risque d’élargissement du conflit est tangible.
Madame la Première ministre, face à un risque d’escalade nucléaire brandi par le président Poutine, qui parle de façon récurrente, ces derniers jours, de « bombe sale », quel est le plan du Gouvernement ? Quelle est la préparation, en France, pour les populations civiles, à l’heure où les comprimés d’iode sont en tension d’approvisionnement mondiale ? De quels abris atomiques disposons-nous, alors que les agences de notation évoquent le risque nucléaire, dans certains scénarios, comme s’il s’agissait désormais d’une nouvelle normalité ?
Cette guerre est l’accélérateur d’une redistribution des grands équilibres géopolitiques mondiaux. Nous prenons conscience de façon aiguë du positionnement stratégique national, européen et mondial. Nous sommes à l’heure des choix.
Face au risque d’embrasement général en Asie centrale, où le groupe Wagner tente de recruter, quel est le rôle de la France pour empêcher l’extension du conflit aux pays voisins ? Comment aider ces pays à construire leur propre autonomie stratégique entre la Russie, la Chine ou la Turquie ? Quelle est la politique de la France vis-à-vis de cette région ?
Cette guerre est aussi une guerre d’image. Il est nécessaire que la France participe à la mise en lumière des crimes russes envers les civils ukrainiens. Le monde doit connaître les exactions dont se rendent coupables les Russes et leurs milices. En Afrique, et plus particulièrement au Sahel, où les soldats russes sont considérés comme des libérateurs, la France doit couper court à la désinformation. Le resserrement de l’Alliance atlantique ne doit pas empêcher notre pays de faire entendre sa voix.
J’en viens à la question de l’énergie, car la crise géostratégique s’est transformée en crise énergétique, avant de se transformer en crise économique.
L’augmentation du prix du gaz entraîne mécaniquement celle de l’électricité. Il n’y a plus de long terme dans le champ des factures énergétiques. La concertation européenne semble buter actuellement sur ces sujets. Les entreprises sont dans des situations intenables, les collectivités également, et de nombreux particuliers risquent de basculer dans la précarité.
Quelle est la stratégie de la France en matière de recherche de fournisseurs intermédiaires d’énergie ? Comment le Gouvernement est-il en train d’organiser le long terme de l’approvisionnement énergétique national ?
Si nous avons désormais compris que l’énergie n’est pas une évidence, il faut prendre conscience que l’alimentation ne l’est pas davantage. Les perturbations de la production agricole, des chaînes d’approvisionnement et des échanges commerciaux ont donné lieu à une envolée des prix mondiaux des denrées alimentaires et des engrais à des niveaux sans précédent. « La Russie, en faisant de l’alimentation une arme dans sa guerre contre l’Ukraine, a provoqué une crise mondiale de la sécurité alimentaire » : voilà ce que vient de déclarer le Conseil européen.
Madame la Première ministre, il est réellement vital d’obtenir, à ce stade, que les « corridors céréaliers » de la mer Noire restent ouverts au-delà du mois de novembre. La spéculation sur les marchés agroalimentaires et leur dérégulation étaient prévisibles : c’est le grenier du monde qui est visé.
En France, la crise de la covid avait accéléré la demande d’une consommation alimentaire de proximité et de qualité, rémunérée au juste prix. La guerre et son cortège de difficultés économiques amènent désormais les ménages, hélas, à privilégier une alimentation à moindre coût. Nos producteurs en font les frais.
Tous les marchés ont été perturbés, mais il nous faut faire la part des choses : n’oublier ni les phénomènes spéculatifs ni les difficultés préexistantes de notre économie, même si nous avons tendance à rendre le conflit russo-ukrainien responsable de toutes nos difficultés.
Il y a toujours eu, hélas ! ceux qui bâtissent des fortunes en temps de guerre. Dans ce contexte de panique et d’angoisse maximale de l’opinion publique, il y a un enjeu crucial : tenir bon. Poutine espère précisément que les Français se lassent de ce conflit aux conséquences lourdes. Ils ne doivent pas céder.
Le président Roux de Bézieux le disait il y a quelques jours à Nevers : « Les entreprises françaises souffrent, mais, quel que soit le prix à payer, le Mouvement des entreprises de France (Medef) soutient les sanctions, car les valeurs morales, éthiques et philosophiques n’ont pas de prix. Elles sont le prérequis d’un contexte économique garant de la stabilité des entreprises. »
Au-delà de ce constat, il nous faut marteler que, à ce stade du conflit, il s’agit non plus d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais bien d’une guerre entre un agresseur et un pays souverain dont l’intégrité territoriale est remise en cause, d’une guerre entre un pays qui ne respecte plus aucune convention internationale et l’Occident, qui se pose en défenseur du droit humanitaire international.
La France, pays des droits de l’homme, doit être inflexible face aux crimes contre l’humanité perpétrés chaque jour en territoire occupé. Frapper des infrastructures civiles en temps de guerre, c’est un crime de guerre ! Déporter massivement des enfants, ce devrait être un crime de guerre ! Et je ne parle ni des viols ni du traitement inhumain des blessés et des populations civiles, contraires à tous les engagements de la convention de Genève.
Que dire de toutes les atrocités perpétrées sciemment contre des populations innocentes et désarmées ? Les récits, les témoignages, les images sont trop nombreux, ils sont poignants, incontestables et insupportables. La vision des appartements d’Irpin passés au lance-flammes par l’armée russe ne me quittera jamais.
Le Conseil européen vient de prendre une position très ferme : « L’agresseur devra rendre des comptes », dit-il. Nous serons les témoins de demain, mais notre rôle aujourd’hui est d’aider le monde à trouver le chemin de la paix.
Madame la Première ministre, la conséquence la plus évidente de ce conflit, pour la France et les Français, est d’avoir mis la guerre à portée de voiture. Les élus de nos communes et les Français ont généreusement ouvert leur porte à des familles, celles de nos voisins, impressionnants de courage et de résilience. Ils les prennent en charge et les soutiennent chaque jour, sans compter.
L’invasion de l’Ukraine a provoqué un renforcement de certaines valeurs qui doivent rester un socle commun.
Vous aurez compris que mon groupe, collectivement, m’a demandé de porter un message de fermeté, de soutien intangible au peuple ukrainien et de dénonciation des crimes de guerre.
Dans le prolongement du débat de ce soir, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, le Sénat souhaite être votre partenaire de chaque jour dans cette crise majeure.
À titre personnel, j’exprime ma solidarité à nos collègues et amis de la Rada ukrainienne et à leur président Rouslan Stefantchouk, qui ont vaillamment siégé sans discontinuer depuis février 2022, parfois sous les bombes.
J’ai une pensée profondément émue pour toutes les victimes de cet affreux conflit.
Je vous remercie, malgré toutes les conséquences que cela emporte, de nous assurer que la France restera pour l’Ukraine un soutien indéfectible et fort jusqu’au jour tant espéré, celui de la paix.