Intervention de André Gattolin

Réunion du 26 octobre 2022 à 21h30
Guerre en ukraine et conséquences pour la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en préalable à mon propos, je voudrais tout d’abord saluer la tenue, ce soir, de ce débat dans l’hémicycle.

Si la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie il y a maintenant huit mois, traverse toutes les discussions de toutes nos commissions parlementaires, sans exception, nous n’avons jusqu’à présent guère eu l’occasion d’en débattre solennellement, en séance plénière, avec le Gouvernement.

Lors de la déclaration, suivie d’un débat, du Gouvernement devant le Sénat le 1er mars dernier, chaque groupe politique a pu s’exprimer. Cependant – si je puis me permettre – beaucoup d’eau, depuis, a coulé sous les ponts de Paris et sous les ponts du Dniepr, ou du moins ce qu’il reste de ponts sur ce très majestueux fleuve européen.

La responsabilité de cette éclipse du débat parlementaire incombe moins au Gouvernement et à notre assemblée qu’à un calendrier électoral absurde qui, lors des années d’élections présidentielle et législatives, voit nos travaux dans l’hémicycle suspendus durant plus de quatre mois.

Cette situation ne valorise guère, aux yeux de nos concitoyens, la démocratie parlementaire, notamment en période de grave crise, qui conduit l’exécutif à prendre des décisions importantes sans consultation formelle du Parlement.

Je veux donc ici saluer la présence conjointe au banc de la Première ministre et d’une partie du Gouvernement, qui, fort heureusement, ont tenu régulièrement informé notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de l’évolution de la situation.

Cependant, comme nous le rappelait pas plus tard qu’hier soir le ministre des armées, il est essentiel que l’information « percole » auprès de l’ensemble de la représentation parlementaire. Nous y voici donc, monsieur le ministre !

Certes notre pays n’est pas en guerre, mais il se trouve néanmoins aujourd’hui indirectement très impliqué dans ce conflit. Nous en mesurons chaque jour les conséquences multiples, tant à l’échelle de la vie quotidienne de nos concitoyens qu’à l’échelle de la Nation et de l’Europe.

Je concentrerai mon intervention autour de deux grands constats provisoires, qui appellent chacun quelques questions.

Premier constat : la guerre en Ukraine, qui vient s’ajouter à la crise sanitaire, agit comme un révélateur des fragilités et dépendances de notre économie.

Comme l’a clairement relevé le rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de mai dernier, notre appareil productif fait face à deux problèmes majeurs : la hausse des prix de l’énergie et des matières premières et les ruptures d’approvisionnement qui menacent d’arrêt certaines activités. Tous les secteurs de notre économie sont touchés.

Le prix de gros de l’électricité, qui a quasiment été multiplié par douze en un an, s’envole. La pénurie de composants électroniques, apparue durant la crise sanitaire, est aujourd’hui aggravée par le conflit ukrainien. Fin septembre, les usines Renault du Nord étaient à l’arrêt en raison des difficultés d’approvisionnement en semi-conducteurs. Citons également les ruptures de stock dans l’agroalimentaire, passées de 2 % à plus de 10 %, sans parler du domaine de l’armement et des moyens capacitaires de nos armées, qui appellent d’importantes réorientations et des investissements élevés.

Compte tenu de nos contraintes budgétaires et humaines, quels sont, mesdames, messieurs les ministres, les secteurs que vous considérez comme prioritaires et les échéances que vous vous fixez pour acquérir une autonomie assez significative dans les domaines concernés ?

Second constat : malgré les chocs subis, force est de constater l’admirable résilience de l’opinion publique française face à la propagande et au narratif russes. Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) paru au début du mois, on note que si les Français sont majoritairement inquiets des conséquences de la guerre en Ukraine pour la France, ils sont cependant 70 % à avoir une bonne opinion de l’Ukraine, contre 16 % seulement pour la Russie.

Nous observons surtout que les deux tiers des Français se déclarent favorables aux sanctions économiques et approuvent la livraison d’armes à l’Ukraine par l’Europe.

Pourtant, très tôt, une petite musique s’est propagée sur les réseaux sociaux, et parfois dans des médias plus officiels, sous-entendant que toutes les difficultés actuelles des Français proviendraient du soutien que nous apportons à Kiev : un choix qui nous aurait été insidieusement inoculé par une Amérique forcément prédatrice.

Au fil des ans, la Russie est passée maître en matière de désinformation et de guerre hybride. Il faut, en l’état, se féliciter de son relatif échec à déstabiliser notre pays et son opinion publique.

Les services de l’État en matière de lutte contre les attaques cyber et la désinformation ont, notamment grâce à Viginum, créé il y a un an, beaucoup contribué à endiguer l’offensive informationnelle de la Russie depuis le début de la guerre. Il serait injuste de ne pas leur accorder un satisfecit très mérité.

L’Europe n’a pas non plus été en reste : la création récente d’un système de signalement des tentatives de désinformation par le service « communication stratégique, groupes de travail et analyses de l’information », dit « STRAT.2 », du service européen pour l’action extérieure (SEAE) a déjà démontré son utilité.

Cependant, c’est sans doute l’interdiction de la diffusion sur tout le territoire de l’Union de RT News et de Sputnik, décidée dès les premières semaines de l’agression russe, qui a eu le plus d’impact dans ce combat.

Pour autant, il ne faut pas négliger d’autres facteurs extérieurs : la faiblesse du narratif poutinien pour justifier l’attaque contre l’Ukraine, en particulier les accusations de nazisme et d’antisémitisme proférées à l’encontre de Kiev et de la population du pays ; la défection de nombreux hackers qui gravitaient dans la nébuleuse russe de cybercombattants et qui ont souvent rallié le camp ukrainien ; et – last but not least – le très efficace et percutant contre-narratif ukrainien développé par le président Volodymyr Zelensky et son entourage.

La figure de héros de la liberté et de résistant à l’oppresseur, celle de David contre Goliath, n’échappe ici à personne et donne, sur la forme, un sacré coup de vieux à la communication politique partout dans le monde.

Cependant, la guerre de l’information contre la France, et plus généralement contre les pays occidentaux, n’est pas encore gagnée. Un hiver potentiellement très difficile, ajouté à un possible enlisement de la guerre, pourrait sérieusement affecter la solidarité actuelle de l’opinion à l’égard de l’Ukraine.

Contenu en France et en Europe, le narratif autoritaire de la Russie s’est fortement redéployé et accentué en Afrique, en particulier contre notre pays. RT News et Sputnik se développent à vitesse « grand V » partout sur le continent, et la nébuleuse Wagner de l’oligarque Yevgeny Prigozhin déploie, notamment à travers sa société de production de films Aurum, un narratif prorusse qui connaît un vif succès auprès des populations les plus jeunes et les plus populaires d’Afrique. Les effets à l’encontre de nos soldats, de nos diplomates et de nos entreprises sont dévastateurs, au Mali, en République centrafricaine, au Burkina Faso et sans doute demain en Guinée.

Mesdames, messieurs les ministres, notre pays fait d’ores et déjà face à un second front. Quelles sont les mesures que nous comptons mettre en œuvre pour gagner la guerre de la communication menée contre nous en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient ?

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