Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 26 octobre 2022 à 21h30
Guerre en ukraine et conséquences pour la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 février, Vladimir Poutine ordonnait l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe. En violant le droit international et l’intégrité d’un État souverain, il déclenchait sur le continent un conflit d’une ampleur inédite depuis 1945, qui appelle notre solidarité auprès du peuple ukrainien.

Illégale, et terriblement meurtrière, cette guerre ne connaît depuis février que l’escalade. Elle menace aujourd’hui la sécurité internationale.

Cette guerre, c’est à ce jour, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’extérieur de l’Ukraine, des millions de déplacés intérieurs, plus de 15 000 victimes civiles tuées ou blessées ; ce sont des dizaines de milliers de morts au combat, Ukrainiens et Russes ; ce sont des crimes de guerre, et la répression des dissidents et des conscrits en fuite. Chaque jour, la jeunesse des deux pays est fauchée dans les combats.

La guerre, c’est l’effondrement de moitié du PIB ukrainien, la destruction du tiers des infrastructures énergétiques. Le Premier ministre ukrainien annonce déjà que, en l’état, le coût de la reconstruction se chiffrera en centaines de milliards de dollars.

La guerre, c’est l’aggravation de la crise économique et énergétique, partout sur la planète, frappant d’abord les plus faibles. C’est le spectre de la famine, comme en Somalie, où le manque de nourriture tuera aussi sûrement et même plus que les bombes. Cette guerre, c’est l’engloutissement quotidien de ressources considérables qui manquent tant aujourd’hui pour répondre aux défis du développement humain et du changement climatique. C’est l’aggravation catastrophique des émissions de gaz à effet de serre, qui bat en brèche tous les objectifs climatiques. La nouvelle dépendance de l’Europe au gaz naturel liquéfié (GNL) américain, 2, 5 fois plus émetteur de CO2 que le gaz naturel, en est un exemple frappant.

La guerre, c’est l’embrasement possible à tout instant en Moldavie, en Géorgie ; il est déjà à l’œuvre en Arménie, avec l’attaque azérie.

Ce sont tous les points de tension du globe ravivés, le spectre d’un nouveau conflit mondial, le retour de la menace de l’annihilation nucléaire.

Moscou réinterprète dangereusement sa grammaire de la dissuasion, et la surenchère peut mener de manière irresponsable à un éventuel conflit nucléaire. Ces faits alarmants devraient, d’ailleurs, inviter à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions mondiales sur le désarmement multilatéral et sur un régime mondial d’interdiction des armes nucléaires.

La guerre entre la Russie, l’Ukraine et, derrière elle, les forces de l’Otan est un terrible engrenage. Il sera, nous le savons, difficile d’en sortir. Faut-il dès lors se résigner à l’escalade ? Sauf à accepter de voir s’amplifier la catastrophe en cours pour des semaines, des mois, et peut-être des années encore, nous pensons, madame la Première ministre, qu’il faut avoir le courage de ne pas abandonner l’exigence d’un cessez-le-feu le plus rapide possible sur le front.

Dire cela, est-ce céder aux Russes, comme on l’entend dire, comme s’il s’agissait d’accepter de geler la situation sur la ligne de front actuelle ? Bien sûr que non. Dire cela, c’est demander que, dans la guerre, la voie de la paix et de la diplomatie ne s’éteigne pas et qu’elle reprenne la main au plus vite, sans accepter le terrible prix humain de son amplification, sans perspective de fin, et probablement sans vainqueur parmi les peuples.

Nous voulons le retour de la diplomatie au plus vite pour tracer le chemin d’une négociation globale, récusant le changement de frontières et l’acquisition des territoires par la force, demandant le retrait des troupes russes et rouvrant le dialogue sur l’autodétermination, la garantie de souveraineté et de sécurité pour tous les peuples.

À ceux qui préconisent la guerre, et forcément son escalade, avec toutes ses conséquences imprévisibles, en faisant miroiter sa fin prochaine, je leur demande de me dire dans quel pays la guerre a, ces trente dernières années, apporté la solution et la paix promise : en Afghanistan ? en Irak ? en Syrie ? en Libye ? au Yémen ? au Sahel ? Tous ces pays sont en ruine et en proie aux violences. Pourtant, les ennemis étaient tout aussi condamnables.

Non, la voie de la diplomatie pour la paix n’est pas celle de la reddition. Elle est peut-être celle de l’espoir, celle qui épargne aux peuples la misère, la destruction et la barbarie.

Nous livrons des armes à l’Ukraine. Malgré nos demandes répétées, le Parlement ne dispose pas, à ce jour, de toutes les informations, ni sur ce que nous livrons ni sur les incidences de ces livraisons sur nos propres capacités de défense. Qui peut, tant que la guerre dure, dénier à un État agressé comme l’Ukraine le droit de se défendre et de faire appel à ses alliés ? Personne. Cependant, qui peut assurer que ces livraisons, même massives, ouvriront la voie à la solution militaire du conflit en cours ?

Quelles que soient les décisions prises, rien ne doit nous détourner d’un effort immédiat pour retrouver la voie de la paix par la négociation internationale, au plus vite.

Le Président de la République a eu raison, le 12 octobre dernier, sur France 2, puis ce dimanche en Italie, de remettre dans le débat la perspective de la paix et le retour à la table des négociations ; mais il semble, dans le même mouvement, en repousser toujours l’échéance.

La France, avec d’autres pays, doit y travailler sans tarder. Que pensez-vous, madame la Première ministre, de la proposition d’un ancien ambassadeur de France, dans un grand journal du soir, d’engager sans tarder entre Ukrainiens et alliés une discussion sur ce que devrait être un calendrier et une position de négociation ?

Que pensez-vous des voix qui s’élèvent, dans une tribune d’anciens diplomates italiens, s’exprimant sur les bases possibles d’un règlement négocié, ou dans la lettre adressée par 35 démocrates de la Chambre des représentants à Joe Biden pour lui enjoindre de « déployer de vigoureux efforts diplomatiques en soutien à un règlement négocié » ?

Que pensez-vous des déclarations du pape François, que le Président de la République vient de rencontrer, et qui n’a cessé d’appeler à ce que les armes se taisent depuis le début du conflit ?

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