Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 26 octobre 2022 à 21h30
Guerre en ukraine et conséquences pour la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Le seul côté positif de la guerre en Ukraine est qu’elle nous ouvre les yeux. Les dictateurs sont revenus. Certains les avaient crus vaincus à jamais à la fin du XXe siècle. Sous nos yeux, l’Internationale des tyrans se reforme pour se venger, abattre l’Occident, mettre à bas la démocratie.

Malgré les erreurs catastrophiques de la Russie, Moscou, Pékin, Téhéran, Pyongyang et d’autres renforcent leurs liens, sous le regard attentif d’Ankara. La guerre de Poutine n’est qu’un prélude. Les prochaines générations doivent savoir que, outre la crise climatique, le vrai défi à venir sera la menace des dictatures sous la conduite de la Chine. La deuxième guerre froide a commencé.

Si nous en sommes là, c’est aussi à cause de nos propres lâchetés. Ce qui s’est passé, c’est non pas – n’en déplaise à Fukuyama – « la fin de l’Histoire », mais la sortie de l’Europe de l’Histoire. Il n’y a pas de phrase plus malheureuse que celle qui nous a convaincus que nous allions toucher « les dividendes de la paix ».

Elle nous a conduits à fermer les yeux, depuis vingt ans, à chaque nouvelle exaction de la Russie, à laisser la Chine piller nos technologies et escroquer l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle conduit nos dirigeants à répéter aujourd’hui que nous ne sommes pas en guerre, erreur tragique, car les dictateurs, eux, savent qu’ils sont en guerre contre nous. Ils le disent.

Cette erreur majeure d’analyse fut d’abord celle de l’Allemagne et de la France. Depuis un demi-siècle, la politique allemande est fondée sur la dépendance énergétique à l’égard de la Russie, sur la dépendance économique envers la Chine et le désarmement face aux deux.

Celle de la France fut de courtiser la Russie pour trianguler sa relation avec les États-Unis, en croyant acquérir une position indépendante sans en avoir les moyens militaires. Les avertissements de l’Europe de l’Est, qui sait – elle – ce que sont les dictatures, ont été rejetés avec mépris. L’invasion de l’Ukraine nous montre l’échec de ces deux politiques et, surtout, l’urgence à ne pas les poursuivre.

Il est plus que temps de renforcer la coalition de toutes les démocraties et d’abandonner, en France, l’antiaméricanisme appuyé sur la vieille haine de droite dirigée contre les Anglo-Saxons et la vieille haine de gauche contre le capitalisme, le tout au nom d’un gaullisme de pacotille, ignorant ce que disait de Gaulle : « L’antiaméricanisme est le socialisme des imbéciles. »

Il est plus que temps de moderniser et de renforcer la défense européenne pour se hisser à la hauteur de la compétition stratégique, de comprendre que les guerres à venir seront hybrides et que notre retard en matière de numérique, de lutte contre la désinformation et d’intelligence artificielle est encore plus immense que notre retard dans le domaine des armes conventionnelles.

Il est plus que temps, enfin, de hausser le ton face au boucher de Moscou. En Europe centrale, la France et l’Allemagne donnent parfois l’impression d’un soutien distancié. Si l’aide militaire est réelle, le discours est parfois plus hésitant. La volonté exprimée de ne pas humilier, les vaines tentatives de dialogue, l’insistance sur la nécessité de négociations conduites le moment venu, alors que les Ukrainiens meurent par milliers, risquent de brouiller la perception de notre engagement.

Toute négociation qui prendrait place avant le retrait total des Russes de l’Ukraine aboutirait à la même situation que celle de l’Abkhazie et de l’Ossétie, du Donbass et de la Crimée, c’est-à-dire à un nouveau conflit gelé, à la poursuite des guerres hybrides à l’est de l’Europe et, en définitive, à une victoire de Poutine.

La seule façon d’apporter, à long terme, la paix et la stabilité sur notre continent est la victoire de l’Ukraine et la défaite de Poutine. C’est non pas seulement l’indépendance de l’Ukraine qui se joue aujourd’hui, mais la sécurité de toute l’Europe et l’unité indispensable du monde libre contre les dictateurs.

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