Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 26 octobre 2022 à 21h30
Guerre en ukraine et conséquences pour la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis plus de huit mois, le peuple ukrainien résiste héroïquement à l’impérialisme russe. Depuis quelques semaines, son armée a inversé la tendance sur le terrain et commencé à repousser l’envahisseur vers la frontière russe. Qui aurait imaginé ce scénario quand, en février, les colonnes de blindés russes descendaient sur Kiev et qu’un sauf-conduit était proposé au président Zelensky pour quitter le pays ? Goliath a des pieds d’argile et David, lourdement armé par ses alliés, est beaucoup plus grand qu’escompté.

La guerre est installée dans tout le sud et l’est du pays et durera encore des mois, alors que l’hiver s’apprête à geler les positions. Le bilan humain, qui, malgré les difficultés d’estimation, se chiffre au moins à plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés, continuera hélas ! de s’alourdir.

Les civils ukrainiens paient également un lourd tribut, victimes des bombardements massifs, des attaques des drones kamikazes et des crimes de guerre en tout genre de l’occupant russe, qui, fuyant devant la percée ukrainienne, a laissé derrière lui, comme à Boutcha, d’atroces charniers, des fosses communes mal dissimulées, qui révulsent le cœur et l’esprit.

Dans ces odieux massacres de civils, les femmes ont, comme souvent, été victimes d’abominables violences sexuelles. Pramila Patten, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, considère que « le viol, en Ukraine, est bel et bien une arme de guerre », « une stratégie militaire visant à déshumaniser les victimes et à terroriser la population ». Les quelques victimes recensées, parmi tant d’autres restées anonymes, sont âgées de 4 ans à 82 ans. Effroyable !

L’armée russe ne recule devant aucune barbarie pour tenter de saper le moral du peuple ukrainien. Elle bombarde toujours indistinctement les civils et, distinctement, les réseaux électriques pour semer la terreur, l’inconfort et le froid.

Madame la Première ministre, à ce jour, l’Ukraine ne demande pas d’aide pour réparer les réseaux électriques, mais le cas échéant, la France et l’Europe sont-elles prêtes à envoyer des techniciens et des groupes électrogènes afin d’éviter qu’une partie de la population ukrainienne ne connaisse un hiver glacial ?

Acculée, la Russie ne recule devant rien : bombardements d’infrastructures civiles, mobilisation partielle, loi martiale, menaces nucléaires répétées – balistiques, mais aussi civiles. Il semblerait qu’à l’heure où nous parlons, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique n’aient plus accès à la centrale de Zaporijia, ce qui est, comme depuis le début du conflit, une source d’inquiétude aiguë.

Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes est insoutenable. Plus que jamais, le monde doit s’engager vers la fin du « cauchemar nucléaire », pour citer – une fois n’est pas coutume – le pape François.

Je formule de nouveau notre demande que la France adhère, en tant qu’observateur, au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.

L’autocrate du Kremlin joue sa survie et a entraîné le conflit au-delà d’un point de non-retour. Un monde en paix où Vladimir Poutine demeure président de la Fédération de Russie est une chimère. Nous l’avons laissé agir en Géorgie, nous l’avons laissé agir en Syrie, nous l’avons laissé agir en Crimée : cela doit cesser. L’Ukraine doit gagner cette guerre !

Cette victoire sera atteinte quand l’Ukraine aura recouvré ses frontières de 1991, Donbass compris, Crimée comprise, ou lorsqu’elle décidera que ses objectifs militaires sont atteints.

Toute tentative de médiation avec le dictateur russe semble vaine. Poutine refuse le dialogue et ne comprend que le rapport de force.

La position française des derniers mois a parfois dérouté le gouvernement ukrainien, comme nombre de nos partenaires européens. Nous demandons au Président de la République de ne plus tergiverser, de cesser d’invoquer, comme un mantra, une hypothétique table de négociations. Cette rhétorique de médiation n’a pas de sens : la France est trop engagée dans le conflit pour tenir ce rôle. Vladimir Poutine se considère, de toute façon, en guerre contre l’Occident, que nous le voulions ou non. Le rôle de la France est celui d’un soutien ferme et sans ambiguïté à l’Ukraine, au droit international, à la démocratie, à nos valeurs et à la lutte contre le dérèglement climatique, tributaire de la victoire de l’Ukraine et des démocraties.

Un soutien plus ferme dans ses mots, un soutien plus ferme dans ses actes : la France, première armée d’Europe, qui prône l’autonomie stratégique du continent, doit porter son effort d’aide à l’Ukraine à la hauteur de l’ambition géopolitique qui est la sienne, à la hauteur de notre voisin britannique, qui forme 20 000 soldats ukrainiens quand nous en formons dix fois moins, à la hauteur de notre voisin allemand, qui livre des chars d’assaut aux pays d’Europe de l’Est pour que ceux-ci puissent céder leurs chars soviétiques à l’Ukraine.

Afin de limiter les dégâts des drones iraniens, le 12 octobre dernier, le Président de la République annonçait que la France allait fournir à l’Ukraine des systèmes antimissiles pour se protéger. Vous nous confirmez aujourd’hui que cette promesse sera tenue.

Cette fermeté doit aussi s’adresser à nos entreprises poursuivant leurs activités en Russie, au premier rang desquels figure TotalEnergies, qui contribue indirectement à la fourniture en kérosène de l’armée de l’air russe et, en conséquence, au bombardement des populations civiles. L’énergéticien doit quitter la Russie. Il fait honte à notre pays, quand ses homologues occidentaux ont tous annoncé abandonner leurs activités en Russie. Il s’enrichit indûment grâce à l’explosion des cours du pétrole et du gaz, un véritable « profiteur de guerre » comme le dénonçait – bravache – le Président de la République en juin dernier au G7.

Madame la Première ministre, comment pouvez-vous, dans ces conditions, refuser encore et toujours de taxer les superprofits des profiteurs de guerre ? Allez-vous au moins faire vôtre l’excellente proposition de notre collègue Boris Vallaud et des députés socialistes de saisir, pour les verser à l’Ukraine, tous les dividendes et autres gains que les entreprises auraient perçus en demeurant sur le sol russe ?

Notre dépendance à l’énergie russe continue d’être notre talon d’Achille dans cette bataille : l’Allemagne dépend de son gaz ; nous dépendons de son uranium. Entre 2000 et 2020, la France a importé de Russie 19 245 tonnes d’uranium naturel et 8 213 tonnes d’uranium enrichi. Nous importons près de la moitié de notre uranium du Kazakhstan, pays militairement lié à la Russie. Le dernier arrivage connu depuis la Russie – cinquante-deux fûts d’uranium enrichi – date du 24 août dernier. La prétendue souveraineté qu’offre le nucléaire est une vaste farce.

Le régime de sanctions européennes en pâtit et notre effort est loin de ce qu’il devrait être : asphyxier économiquement la Russie. L’heure, pour le continent, pour le pays, est à la souveraineté et à la sobriété énergétiques – et vous l’avez rappelé –, celle que seuls le soleil, le vent et l’eau procurent à condition de doter l’Europe de filières industrielles en mesure d’assurer sa transition énergétique. Aucun plan européen, aucun projet de loi français pour accélérer le développement des énergies renouvelables n’atteindra ses objectifs si nous ne sommes pas capables de nous équiper par nos propres moyens.

Sous l’effet du plan de relance américain et des nouveaux objectifs du gouvernement chinois, la demande intérieure de panneaux solaires des deux plus grandes économies du monde va exploser. L’Europe doit pouvoir produire les siens !

Plus rapidement, nous devons développer les mesures de sobriété. Votre gouvernement a fait quelques promesses en la matière, mais qui reposent encore beaucoup trop sur le volontariat des entreprises. Il faut davantage de contraintes. Les solutions de court et de moyen termes sont pourtant légion.

Cette sobriété est d’autant plus indispensable que la crise énergétique avait débuté avant la guerre en Ukraine et qu’elle se poursuivra après, affectant toujours davantage le pouvoir de vivre de nos concitoyens.

La seule bonne nouvelle – s’il est possible d’en trouver une –, dans cette période de graves troubles, est que les intérêts vitaux du peuple ukrainien, les intérêts vitaux de nos concitoyens et les intérêts vitaux liés à la protection du climat se rejoignent. Voilà un problème de moins sur votre bureau ! Il faut sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles et décupler nos efforts en matière de transition et de sobriété énergétiques. Notre avenir est intimement lié à celui du peuple ukrainien.

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