Monsieur le président, madame le Premier ministre, mes chers collègues, Tocqueville affirme que « les démocraties d’opinion sont incapables de stratégie persévérante ». La déclaration que nous venons d’entendre en est la preuve. Vous vous concentrez sur des épiphénomènes, des postures morales et sur un décalage de la crise économique par l’endettement public.
Mais, face à nous, s’affirme le retour des empires, armés d’une vision sur le long terme. Vladimir Poutine est constitutionnellement au pouvoir jusqu’en 2036 ; Xi Jinping, véritable empereur en Chine, menace Taïwan ; en Corée du Nord, la dynastie des Kim mûrit sa puissance depuis 1948 ; en Iran, le néosultanat affirme ses velléités nucléaires ; dans le Caucase, l’ex-Empire ottoman ambitionne de se reconstituer au détriment de la nation souveraine arménienne et de son peuple. Sans parler de l’émergence des puissances nucléaires que sont l’Inde et le Pakistan.
Le XXIe siècle s’annonce comme un siècle de fer, de feu et de sang. Depuis plus de trente ans, l’Occident s’est perdu dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin. Pourtant, depuis lors, tant d’événements nous ont alertés sur la persistance de la guerre : Koweït, Yougoslavie, 11 septembre, Afghanistan, Irak, Crimée, État islamique, tensions indopacifiques.
Malgré cela, rien ne fut fait pour reconstituer notre puissance. Au contraire !
Si une Française connaît bien le rationnement et la fin de l’abondance depuis des décennies, c’est notre armée ! Elle a été victime de l’idéalisme de nos gouvernants, dont les principales illusions furent les « dividendes de la paix », l’Europe de la défense, le multilatéralisme onusien.
La démission du général de Villiers en 2017 avait pour but de lancer l’alerte sur l’état critique de nos forces face aux enjeux du monde ; le président Macron l’a méprisée.
S’agissant de votre chimérique Union européenne, nous assistons, aujourd’hui encore, au divorce du couple franco-allemand.
Le chancelier allemand annonce, en effet, un fonds de 100 milliards d’euros, en vue de constituer la première armée conventionnelle d’Europe et 40 milliards pour l’achat d’avions F-35 américains. Ceux qui ont organisé notre dépendance au gaz russe nous lâchent en pleine crise !
Dans ce contexte, nous devons cesser de déléguer notre souveraineté et regagner les moyens de notre indépendance nationale. Il nous faut prendre conscience des grands défis du siècle : voir que l’ordre du monde est régi par l’antique dialogue des Méliens et la loi du plus fort ; anticiper les évolutions industrielles et économiques, comme un moyen de ne pas perdre une guerre du même nom ; comprendre la réalité du choc migratoire et démographique en cours – la Turquie et la Biélorussie, avec leur chantage aux migrants, ont bien compris l’intérêt d’utiliser cette arme contre les nations d’Europe.
Alors que le président russe déclare que l’Union européenne est cobelligérante, vous confirmez, madame le Premier ministre, votre souhait de livrer des armes à l’Ukraine, mais sans vouloir faire la guerre, consciente de notre extrême faiblesse militaire, soulignée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat lui-même ! Celui-ci a déclaré que, en cas de guerre, nous disposions de quinze jours de munitions et, s’agissant de certains armements, de seulement trois ou quatre jours de réserves.
Ne doutons pas que les va-t-en guerre indépendants, armés de leur salive, troqueront leur costume et leurs mocassins contre un treillis et des rangers, et passeront ainsi des travées du Sénat aux tranchées des soldats !
Il est toujours temps d’imaginer, madame le Premier ministre, des scénarios de rupture et de profiter de notre position de puissance nucléaire pour négocier avec les grands, sans naïveté sur l’état de nos forces