Intervention de Maxime Saada

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 octobre 2022 à 9h30
Piratage des évènements sportifs — Audition de M. Denis Rapone membre du collège de l'autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et Mme Pauline Blassel directeur général adjoint arcom Mme Liza Bellulo présidente de la fédération française des télécoms fft M. Maxime Saada président de l'association pour la protection des programmes sportifs apps Mme Caroline Guenneteau secrétaire générale adjointe de bein media group et M. Mathieu Ficot directeur général adjoint de la ligue de football professionnel lfp

Maxime Saada, président de l'Association pour la protection des programmes sportifs (APPS) :

Je m'adresserai d'abord à vous en tant que président de l'APPS (association pour la protection des programmes sportifs), avant de faire un point plus spécifique à Canal +. L'APPS a été créée en 2018. Elle réunit à la fois des ayants droit et des diffuseurs.

Nous pouvons collectivement nous satisfaire des premiers mois de la mise en place du nouveau dispositif issu de l'article 3 de la loi, qui a démontré une bonne coordination des parties prenantes et permet d'afficher des premiers résultats concrets. Ce dispositif introduit de manière inédite en droit français un nouveau moyen de lutte contre le piratage sportif en complétant les outils jusque-là ouverts par la loi. Les membres de l'APPS l'ont mobilisé individuellement, mais notre ambition partagée nous a permis de nous coordonner dès le mois de janvier. Nous avons appris ensemble à mobiliser au mieux le nouvel outil, d'abord pour obtenir une décision judiciaire dite « ordonnance cadre » pour une compétition donnée, ensuite pour mettre à jour les mesures de blocage tout au long de la compétition en intégrant de nouveaux sites par le biais d'une saisine de l'Arcom.

Les premiers résultats de cette mobilisation collective sont là. Selon l'Arcom, la moitié des live streamers confrontés aux blocages se serait détournée des sites. La chute tendancielle des audiences des sites de live streaming est corroborée par d'autres analyses et données. Ainsi, une étude de Médiamétrie mesure un écart significatif d'audience des sites entre avril 2021 (2,7 millions d'utilisateurs uniques) et avril 2022 (373 000 utilisateurs uniques). Nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir collectivement des premiers effets de l'article 3. Nous devons surtout nous satisfaire de la coordination de l'ensemble des parties prenantes.

Je confirme la diligence des FAI dans la mise en oeuvre des premières mesures de blocage. Les discussions que nous menons depuis plusieurs mois sont constructives. Elles nous donnent bon espoir d'aboutir à un accord pour cranter cette collaboration. Nous tenons aussi à souligner le rôle précieux que joue l'Arcom.

Toutefois, nous devons rester prudents. En effet, le report des consommateurs vers une offre légale n'est pas assuré. Certains utilisateurs se sont réorientés vers un contournement des mesures de blocage DNS mises en place par les FAI grâce à l'utilisation de DNS alternatifs ou de VPN, ou vers un visionnage illégal des contenus sur des plates-formes telles que Twitter, TikTok ou Telegram. Depuis les premiers blocages, la diffusion en direct a considérablement augmenté sur ces plates-formes, pour lesquelles les délais de fermeture demeurent insuffisants.

Dans une plus forte mesure, les utilisateurs se sont reportés vers la consommation illégale de l'IPTV, qui est une utilisation contrefaisante d'objets légaux. Ce mode de consommation illicite est particulièrement destructeur de valeur. A la différence des sites de live streaming, qui piratent le contenu, le piratage IPTV attaque notre modèle en vendant des abonnements. D'après une étude de l'Arcom, 9 % des internautes utilisent de l'IPTV illicite pour regarder des compétitions sportives, ce qui représente 40 % des consommateurs qui ont des usages sportifs illégaux.

Certains services IPTV sont très utilisés en France. Ainsi, Premium OTT est passé de moins de 50 000 utilisateurs mensuels en décembre 2021 à 200 000 utilisateurs en septembre 2022, tandis qu'iPlay est passé de 45 000 utilisateurs en décembre 2021 à 145 000 utilisateurs en septembre 2022. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous arrêter aux premiers signaux positifs de la mise en place de l'article 3. Cette expérience doit nous encourager à aller plus loin.

Nous devons orienter nos actions vers la lutte contre le préjudice majeur causé par l'IPTV. Cette priorisation nous obligera à mobiliser le second outil technique de lutte contre le piratage qu'est le blocage IP. La méthode la plus efficace pour lutter contre cette pratique de piratage est celle du blocage de la source, donc de l'adresse IP. C'est d'ailleurs le choix opéré par la Premier League en Angleterre, où la consommation illégale IPTV a baissé de manière significative.

Nous devons prendre en compte l'ensemble de l'écosystème complexe du piratage. Nous devons élargir nos actions aux autres intermédiaires techniques que les opérateurs télécom afin que chacun participe à endiguer le piratage. L'effort ne peut être que collectif face à des pirates organisés comme des structures mafieuses ou des cartels de la drogue.

L'APPS et ses membres sont pleinement engagés à poursuivre leur entente et fournir leurs meilleurs efforts pour poursuivre ce combat. A ce titre, nous sommes heureux de pouvoir compter sur le soutien du législateur et de l'Arcom.

Le piratage est le premier concurrent de Canal + en France et dans le monde. La destruction de valeur est massive. Canal + tire un bilan positif de la mobilisation du nouveau dispositif. Depuis janvier 2022, groupe Canal + a obtenu 8 ordonnances permettant le blocage de sites de live streaming illégaux : 3 décisions sont inactives car les compétitions sont arrivées à leur terme ; 5 décisions sont actives ou en cours. Au total, Canal + a obtenu le blocage de 171 sites depuis le début de l'année, ainsi que de 500 noms de domaine. Outre la baisse significative de l'audience des sites de live streaming, nous avons pu identifier les effets sur nos abonnements. L'analyse interne des recrutements opérés lors de 5 journées phares de compétitions sportives pour lesquelles le groupe a obtenu des ordonnances de blocage a permis d'observer une augmentation de 55 % des recrutements par rapport à 2021. Il est irréaliste d'attribuer cette croissance du parc d'abonnés au seul blocage des sites, mais celui-ci a nécessairement contribué à l'évolution positive du nombre de recrutements.

Nos perspectives pour l'année 2023 sont une massification de ce que nous avons initié en 2022. En prenant en compte les décisions en cours d'obtention, nous devrions, sur l'année civile 2023, réaliser environ 70 saisines comprenant chacune 15 sites, soit plus de 1 000 sites bloqués. Cette projection ne prend pas en compte le sujet de l'IPTV.

Pour ne pas perdre irrémédiablement la bataille des contenus, Canal + doit accélérer sa lutte contre l'IPTV. Cette bataille oppose l'ensemble des acteurs légaux et les pirates qui les pillent. Ce fléau pourrait remettre en question les modèles de pay TV. De nombreux utilisateurs ne pensent pas être dans l'illégalité car ils paient une forme d'abonnement.

Les outils actuels ne sont pas assez efficaces pour atteindre sensiblement le piratage IPTV. L'enjeu n'est pas d'éradiquer le piratage, mais de trouver le point de sortie viable d'une crise à venir liée à l'IPTV en perfectionnant un outil adapté. Les acteurs de l'IPTV et leurs revenus échappent totalement aux pays dans lesquels ils mettent à disposition leur offre. Ces acteurs ne sont soumis ni à des obligations éditoriales, ni à des obligations d'investissement dans la création.

La solution la plus efficace contre le phénomène complexe de l'IPTV semble être le blocage de l'adresse IP. Il permet de bloquer l'accès à la source, c'est-à-dire aux serveurs qui hébergent les flux ou les contenus proposés par les services IPTV. C'est le choix opéré par certains voisins européens, notamment la Premier League, qui en tire un bilan très positif.

Canal + est pleinement conscient des investissements que suppose la lutte contre l'IPTV illégal. C'est un effort auquel le groupe consentira pour sauvegarder son modèle de développement, ainsi que la valeur créée sur le territoire. C'est un impératif industriel, mais aussi collectif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion