Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord la bienvenue à nos cinq invités du jour.
Nous avons souhaité organiser cette table ronde pour faire le point, un an après l'adoption de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, sur l'application de son article 3 relatif à la lutte contre le piratage des retransmissions sportives.
Notre commission s'est particulièrement impliquée sur ce sujet. A l'initiative de Catherine Morin-Desailly, nous avions organisé en janvier 2019 la première table ronde sur ce thème réunissant des experts européens venant notamment de Grande-Bretagne et du Portugal pour présenter une procédure innovante fondée sur une ordonnance dynamique permettant aux ayants droit d'engager eux-mêmes des actions auprès des fournisseurs d'accès à Internet pour couper l'accès aux sites pirates.
Il aura fallu près de trois années pour adopter à notre tour une procédure similaire grâce à l'implication de toutes les parties représentées aujourd'hui.
Pourquoi était-ce important ? Le piratage des retransmissions sportives, comme celui des films et des séries, est devenu une industrie clandestine à grande échelle qui affaiblit les détenteurs de droits et les médias au profit de structures qui évoluent en dehors de tout cadre légal, fiscal et social.
En organisant cette table ronde, nous souhaitons mesurer le chemin parcouru depuis un an, connaître les premiers résultats, mais aussi comprendre le rôle de chacun des acteurs.
Comment s'organise concrètement le dispositif juridique et technique qui permet de couper l'accès aux sites pirates ? Est-ce qu'une coopération harmonieuse a pu s'établir entre des acteurs aux intérêts différents ? Après un an de recul, peut-on considérer que ce dispositif est suffisant ?
Voilà quelques questions que nous souhaitons vous poser. Pour commencer, je donnerai la parole à Denis Rapone, qui interviendra au nom de l'Arcom. Nous poursuivrons avec Liza Bellulo, qui pourra nous préciser comment se passe concrètement l'intervention des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) pour couper l'accès aux sites pirates. Je donnerai ensuite la parole aux trois autres intervenants, qui représentent les ayants droit, notamment à Maxime Saada et Caroline Guenneteau, qui pourront nous expliquer quel a été l'impact du dispositif mis en place sur l'évolution des abonnements des chaînes payantes. Confirmez-vous la baisse de 76 % de l'audience pirate au cours des 6 derniers mois pour les matchs de la Ligue des Champions ? Nous savons également que les pirates s'adaptent à l'évolution de leur environnement. Comment le piratage évolue-t-il et comment la lutte contre le piratage doit-elle évoluer ?
Nous serons également heureux de pouvoir entendre Mathieu Ficot, représentant de la Ligue de football professionnel (LFP). Il pourra nous indiquer quel est l'effet de la lutte contre le piratage sur la valorisation des droits du football professionnel. Avez-vous pu évaluer cet effet sur le prix du prochain appel d'offres des droits de la Ligue 1, que vous lancerez en 2023 ?
Ce sera ensuite aux sénateurs de s'exprimer.
Merci d'organiser cette table ronde. Le dispositif actuel doit beaucoup à vos travaux. Il a permis d'accompagner l'émergence d'un consensus entre les acteurs.
Au premier semestre 2021, les pratiques de piratage sportif concernaient plus de 3 millions d'utilisateurs chaque mois et connaissaient une progression particulièrement dynamique. Contrairement au secteur culturel, le sport ne disposait d'aucune procédure lui permettant de lutter contre le piratage. L'élaboration d'un dispositif dédié était un véritable défi. Il fallait trouver un point d'équilibre entre la nécessité d'instaurer un blocage efficace et rapide et le respect de la liberté de communication et du rôle du juge, qui est le garant des libertés publiques. La nouveauté a consisté à concevoir le rôle d'une autorité administrative, l'Arcom, pour mettre en oeuvre la décision du juge de manière dynamique.
La première étape est la saisine du juge par les fédérations, les ligues ou les chaînes de télévision, en mettant en avant la preuve que des sites portent des atteintes graves et répétées à leurs droits. Il faut que ces atteintes graves et répétées aient été occasionnées par le contenu d'un site en ligne dont l'un des objectifs est la diffusion de compétitions sans autorisation. Le juge statue selon une procédure d'urgence. Il peut prescrire toute mesure susceptible de faire cesser ces atteintes. A ce stade, le juge n'est saisi qu'aux fins de notifier aux fournisseurs d'accès à Internet le blocage du site. En réalité, le dispositif législatif est beaucoup plus large. Il permettrait d'embrasser d'autres acteurs.
L'intervention du juge est suivie par celle de l'Arcom. Dès lors que la décision judiciaire est devenue définitive, mais que la mesure de blocage est contournée par l'apparition de sites miroirs, les ayants droit peuvent saisir l'Arcom en transmettant les données d'authentification des sites illicites. L'Arcom a pour mission, à travers la présence d'agents assermentés, d'instruire ces saisines et de notifier aux fournisseurs d'accès le blocage de ces sites miroirs.
Seul le président du collège, ou les membres qu'il a désignés, peut donner le « top départ » aux fournisseurs d'accès à Internet. Concrètement, nous communiquons aux FAI une liste de noms de domaine correspondant à des services illicites.
Aujourd'hui, nous avons 9 mois de recul. 10 décisions de justice ont été obtenues par des diffuseurs (Canal + et beIN Sports), la LFP, la fédération française de tennis et des organisateurs de compétitions (football, sports mécaniques, tennis). Le tribunal de Paris est compétent pour ce type de litige. Il s'est armé d'une magistrate dédiée qui est en capacité de réagir très rapidement. De la sorte, il rend les décisions dans des délais exceptionnellement courts. Je suis extrêmement admiratif de la manière dont les choses se passent au niveau judiciaire. Le blocage permis par ces 10 décisions de justice embrasse 350 services illicites. Par ailleurs, l'Arcom a été destinataire de 40 saisines. Elle a notifié le blocage de plus de 480 noms de domaine aux FAI.
Nous nous sommes mis en situation de pouvoir répondre dans un délai de quelques jours. Les mesures de blocage sont appliquées par les fournisseurs d'accès dans des délais de quelques heures.
Je tiens vraiment à saluer la qualité du travail d'équipe. D'un bout à l'autre de la chaîne, les différents acteurs (juge, ayants droit, FAI, Arcom) jouent un rôle majeur. A ce stade, les fournisseurs d'accès ne mettent pas en avant les coûts représentés par la mise en oeuvre de ces blocages.
Entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022, l'audience illicite a baissé de moitié, passant de 3,2 millions à 1,7 million d'internautes qui accèdent chaque mois à des sites illicites. Parmi les live streamers qui ont été confrontés à des blocages, 37 % ont cessé leurs pratiques et 15 % ont souscrit un abonnement à une offre légale. Il reste 46 % d'internautes qui poursuivent leurs pratiques illicites. Certains utilisent des moyens de contournement.
La protection des contenus sportifs appelle donc une vigilance accrue, qui semble devoir se décliner selon trois objectifs :
- renforcer, par le biais d'accords, la coopération entre les fournisseurs d'accès à Internet et les titulaires de droits sportifs afin de mettre en oeuvre une solution de blocage automatisée ;
- améliorer les solutions technologiques de blocage et travailler sur un blocage par l'adresse IP ;
- impliquer dans la lutte contre le piratage l'ensemble des intermédiaires techniques de l'écosystème d'Internet, tels que les fournisseurs de système de noms de domaine (DNS), les réseaux privés virtuels (VPN) ou les services d'hébergement.
Madame Bellulo, comment se passe concrètement l'intervention des FAI ? Avez-vous également identifié des pistes d'amélioration ?
La Fédération français des télécoms est heureuse d'apporter le témoignage de son expérience dans la mise en oeuvre de la loi du 25 octobre 2021. Cette loi fait de la France l'un des pays d'Europe dont l'arsenal législatif est le plus complet. Nous avons bien conscience des intérêts en jeu concernant la protection des droits sportifs. Nous sommes fiers de participer à la protection de ces droits. Nous avons également le souci de respecter les équilibres que les parlementaires ont pris soin de dessiner entre d'une part la protection des droits fondamentaux tels que la liberté de consultation des sites Internet et d'autre part l'innovation avec le blocage des sites miroirs.
Le mécanisme se déroule en deux étapes. Il y a d'abord une décision du juge, rendue sur saisine des ayants droit au début de chaque compétition ou de chaque saison, qui demande le blocage de sites pirates identifiés et qui donne ensuite pouvoir à l'Arcom d'agir contre de nouveaux sites. Pendant toute la durée de la compétition ou de la saison, les titulaires de droits sportifs saisissent directement l'Arcom pour bloquer les sites miroirs dans des délais plus brefs.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi, nous avons protégé un certain nombre de retransmissions sportives. Au total, nous avons bloqué plus de 835 noms de domaine. Nous le faisons grâce à la bonne coopération de tous les acteurs. Nous avons conscience de l'importance d'agir dans des délais brefs.
Nous appelons, sur la base de cette première expérience, à une industrialisation du dispositif. Le législateur a pris soin de proposer une régulation moderne qui prévoit que l'Arcom élabore un modèle d'accord pour tous les acteurs. Nous appelons de nos voeux la mise en place de ce modèle d'accord. C'est pour cela que, de manière constante depuis un an, nous avons fait preuve de bonne volonté et de coopération. En novembre 2021, nous avons proposé un cahier des charges qui permettait la mise en place d'une brique technique pour récupérer de manière automatisée les listes de sites à bloquer auprès de l'Arcom. En début d'année 2022, nous avons proposé un dispositif de coordination des actions des titulaires de droits, de l'Arcom et des opérateurs afin de fluidifier le processus.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi, nous agissons avec diligence en mobilisant du personnel habilité, y compris lors d'astreintes. Ces personnels doivent parfois composer avec des demandes multiples. Pour les seuls blocages de droits sportifs, les astreintes nécessitent une personne qui active le blocage de manière manuelle, un ingénieur réseau et un ingénieur DNS. Nous avons également engagé des investissements spécifiques sans perspective certaine d'être compensés. Nous acquittons aussi des honoraires d'avocats sans être compensés, ce qui est paradoxal car dans tous les autres domaines dans lesquels nous agissons en tant que prestataires occasionnels du service public ou auxiliaires de la protection des droits, nous sommes compensés du fait de la loi ou d'accords.
Notre position est guidée par quatre principes : l'égalité de traitement des titulaires de droits ; l'efficience et l'efficacité opérationnelle pour minimiser les coûts d'investissement et les coûts opérationnels ; le respect du principe de proportionnalité ; la compensation des coûts.
Le principe de proportionnalité est au coeur du droit constitutionnel et européen. Il a pour conséquence que doivent être minimisées les atteintes à la liberté de consultation des sites Internet.
Nous ne demandons pas à être rémunérés. Nous demandons simplement à ne pas travailler en pure perte pour le compte d'autres opérateurs privés.
Pour que chacun y trouve son compte, nous proposons d'aller au-delà de ce que prévoit le minimum légal. Ainsi, nous proposons de simplifier les procédures en industrialisant et en automatisant le traitement des demandes. Pour cela, nous avons notamment besoin du calendrier des manifestations sportives et de formats de fichiers harmonisés. Nous nous engageons, avec l'industrialisation, à bloquer des sites en 45mn. Nous demandons simplement la compensation des coûts.
Nous nous proposons de prendre en charge la moitié des 500 000 euros d'investissements de développement initial et la moitié des 150 000 euros annuels de coûts opérationnels courants des blocages de sites. Nous avons évidemment justifié la nature de ces coûts. Nous avons deux étalons de comparaison : l'enjeu économique des droits sportifs (plus d'un milliard d'euros par an) et le coût d'identification des pirates (120 000 euros par an) tel que l'avait chiffré l'inspection générale des finances.
Nous appelons de nos voeux un aboutissement prochain des travaux afin de permettre aux équipes des opérateurs d'agir de manière plus efficace et plus automatisée avec un cadre standardisé. Le système de blocage manuel actuel est précaire eu égard à la volumétrie et aux attentes des détenteurs de droits. Nous avons prouvé notre efficacité. Nous pouvons encore faire un saut qualitatif. Nous souhaitons nous saisir de l'opportunité d'un accord.
Cet accord sera important, mais il ne suffira pas. Nous sommes également prêts à étudier le blocage IP à partir du moment où le cadre est précis. Pour l'instant, nous y voyons beaucoup de difficultés techniques. Il existe des risques de sur-blocage. Néanmoins, nous sommes prêts à mener toutes les études nécessaires. Pour cela, il faut un cadre très clair. Nous sommes prêts à discuter du cahier des charges avec les autres parties. Nous avons besoin d'être sécurisés du point de vue de la responsabilité en cas de sur-blocage et d'être certains que nous serons compensés des nouveaux coûts.
Il existe des moyens de contournement. L'accord et le travail des FAI et des ayants droit ne sera pas suffisant pour enrayer les mécanismes de piratage. Il faudra aussi travailler avec les hébergeurs, les plates-formes d'hébergement, les éditeurs de système d'exploitation, les éditeurs de moteurs de recherche, les éditeurs de VPN et tous ceux qui commercialisent les boîtiers IPTV illégaux. C'est un travail de longue haleine et de long terme.
Nous allons maintenant nous enquérir de la vision des ayants droit. Constatez-vous les mêmes évolutions que l'Arcom ?
Je m'adresserai d'abord à vous en tant que président de l'APPS (association pour la protection des programmes sportifs), avant de faire un point plus spécifique à Canal +. L'APPS a été créée en 2018. Elle réunit à la fois des ayants droit et des diffuseurs.
Nous pouvons collectivement nous satisfaire des premiers mois de la mise en place du nouveau dispositif issu de l'article 3 de la loi, qui a démontré une bonne coordination des parties prenantes et permet d'afficher des premiers résultats concrets. Ce dispositif introduit de manière inédite en droit français un nouveau moyen de lutte contre le piratage sportif en complétant les outils jusque-là ouverts par la loi. Les membres de l'APPS l'ont mobilisé individuellement, mais notre ambition partagée nous a permis de nous coordonner dès le mois de janvier. Nous avons appris ensemble à mobiliser au mieux le nouvel outil, d'abord pour obtenir une décision judiciaire dite « ordonnance cadre » pour une compétition donnée, ensuite pour mettre à jour les mesures de blocage tout au long de la compétition en intégrant de nouveaux sites par le biais d'une saisine de l'Arcom.
Les premiers résultats de cette mobilisation collective sont là. Selon l'Arcom, la moitié des live streamers confrontés aux blocages se serait détournée des sites. La chute tendancielle des audiences des sites de live streaming est corroborée par d'autres analyses et données. Ainsi, une étude de Médiamétrie mesure un écart significatif d'audience des sites entre avril 2021 (2,7 millions d'utilisateurs uniques) et avril 2022 (373 000 utilisateurs uniques). Nous pouvons d'ores et déjà nous réjouir collectivement des premiers effets de l'article 3. Nous devons surtout nous satisfaire de la coordination de l'ensemble des parties prenantes.
Je confirme la diligence des FAI dans la mise en oeuvre des premières mesures de blocage. Les discussions que nous menons depuis plusieurs mois sont constructives. Elles nous donnent bon espoir d'aboutir à un accord pour cranter cette collaboration. Nous tenons aussi à souligner le rôle précieux que joue l'Arcom.
Toutefois, nous devons rester prudents. En effet, le report des consommateurs vers une offre légale n'est pas assuré. Certains utilisateurs se sont réorientés vers un contournement des mesures de blocage DNS mises en place par les FAI grâce à l'utilisation de DNS alternatifs ou de VPN, ou vers un visionnage illégal des contenus sur des plates-formes telles que Twitter, TikTok ou Telegram. Depuis les premiers blocages, la diffusion en direct a considérablement augmenté sur ces plates-formes, pour lesquelles les délais de fermeture demeurent insuffisants.
Dans une plus forte mesure, les utilisateurs se sont reportés vers la consommation illégale de l'IPTV, qui est une utilisation contrefaisante d'objets légaux. Ce mode de consommation illicite est particulièrement destructeur de valeur. A la différence des sites de live streaming, qui piratent le contenu, le piratage IPTV attaque notre modèle en vendant des abonnements. D'après une étude de l'Arcom, 9 % des internautes utilisent de l'IPTV illicite pour regarder des compétitions sportives, ce qui représente 40 % des consommateurs qui ont des usages sportifs illégaux.
Certains services IPTV sont très utilisés en France. Ainsi, Premium OTT est passé de moins de 50 000 utilisateurs mensuels en décembre 2021 à 200 000 utilisateurs en septembre 2022, tandis qu'iPlay est passé de 45 000 utilisateurs en décembre 2021 à 145 000 utilisateurs en septembre 2022. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous arrêter aux premiers signaux positifs de la mise en place de l'article 3. Cette expérience doit nous encourager à aller plus loin.
Nous devons orienter nos actions vers la lutte contre le préjudice majeur causé par l'IPTV. Cette priorisation nous obligera à mobiliser le second outil technique de lutte contre le piratage qu'est le blocage IP. La méthode la plus efficace pour lutter contre cette pratique de piratage est celle du blocage de la source, donc de l'adresse IP. C'est d'ailleurs le choix opéré par la Premier League en Angleterre, où la consommation illégale IPTV a baissé de manière significative.
Nous devons prendre en compte l'ensemble de l'écosystème complexe du piratage. Nous devons élargir nos actions aux autres intermédiaires techniques que les opérateurs télécom afin que chacun participe à endiguer le piratage. L'effort ne peut être que collectif face à des pirates organisés comme des structures mafieuses ou des cartels de la drogue.
L'APPS et ses membres sont pleinement engagés à poursuivre leur entente et fournir leurs meilleurs efforts pour poursuivre ce combat. A ce titre, nous sommes heureux de pouvoir compter sur le soutien du législateur et de l'Arcom.
Le piratage est le premier concurrent de Canal + en France et dans le monde. La destruction de valeur est massive. Canal + tire un bilan positif de la mobilisation du nouveau dispositif. Depuis janvier 2022, groupe Canal + a obtenu 8 ordonnances permettant le blocage de sites de live streaming illégaux : 3 décisions sont inactives car les compétitions sont arrivées à leur terme ; 5 décisions sont actives ou en cours. Au total, Canal + a obtenu le blocage de 171 sites depuis le début de l'année, ainsi que de 500 noms de domaine. Outre la baisse significative de l'audience des sites de live streaming, nous avons pu identifier les effets sur nos abonnements. L'analyse interne des recrutements opérés lors de 5 journées phares de compétitions sportives pour lesquelles le groupe a obtenu des ordonnances de blocage a permis d'observer une augmentation de 55 % des recrutements par rapport à 2021. Il est irréaliste d'attribuer cette croissance du parc d'abonnés au seul blocage des sites, mais celui-ci a nécessairement contribué à l'évolution positive du nombre de recrutements.
Nos perspectives pour l'année 2023 sont une massification de ce que nous avons initié en 2022. En prenant en compte les décisions en cours d'obtention, nous devrions, sur l'année civile 2023, réaliser environ 70 saisines comprenant chacune 15 sites, soit plus de 1 000 sites bloqués. Cette projection ne prend pas en compte le sujet de l'IPTV.
Pour ne pas perdre irrémédiablement la bataille des contenus, Canal + doit accélérer sa lutte contre l'IPTV. Cette bataille oppose l'ensemble des acteurs légaux et les pirates qui les pillent. Ce fléau pourrait remettre en question les modèles de pay TV. De nombreux utilisateurs ne pensent pas être dans l'illégalité car ils paient une forme d'abonnement.
Les outils actuels ne sont pas assez efficaces pour atteindre sensiblement le piratage IPTV. L'enjeu n'est pas d'éradiquer le piratage, mais de trouver le point de sortie viable d'une crise à venir liée à l'IPTV en perfectionnant un outil adapté. Les acteurs de l'IPTV et leurs revenus échappent totalement aux pays dans lesquels ils mettent à disposition leur offre. Ces acteurs ne sont soumis ni à des obligations éditoriales, ni à des obligations d'investissement dans la création.
La solution la plus efficace contre le phénomène complexe de l'IPTV semble être le blocage de l'adresse IP. Il permet de bloquer l'accès à la source, c'est-à-dire aux serveurs qui hébergent les flux ou les contenus proposés par les services IPTV. C'est le choix opéré par certains voisins européens, notamment la Premier League, qui en tire un bilan très positif.
Canal + est pleinement conscient des investissements que suppose la lutte contre l'IPTV illégal. C'est un effort auquel le groupe consentira pour sauvegarder son modèle de développement, ainsi que la valeur créée sur le territoire. C'est un impératif industriel, mais aussi collectif.
Nous mesurons le chemin incroyable qui a été parcouru depuis 2017 et les premières initiatives parlementaires. Nous avons rempli une partie des objectifs que nous nous étions fixés. Le bilan est donc extrêmement positif. Toutefois, de nombreux défis nous attendent dans la lutte incessante contre le vol que constitue le piratage.
BeIN Sports ne diffuse que des contenus sportifs premium. Nous avons initié notre première action en janvier pour protéger la Coupe d'Afrique des Nations. Nous avons obtenu une décision très rapide. Nous avons également lancé des actions pour protéger la Ligue des Champions et Wimbledon. A présent, nous préparons notre dossier de protection de la Coupe du Monde de football.
Nous avons constaté une baisse de l'audience pirate des matchs de Ligue des Champions. La loi fonctionne extrêmement bien, tant pour des évènements longs comme une saison de football que pour des évènements courts comme un tournoi de tennis. Ce succès repose sur une mobilisation forte de moyens humains et financiers. En amont, les ayants droit sont censés apporter la preuve qu'ils subissent des atteintes graves et répétées. Nous devons apporter des preuves constantes. Pour cela, nous procédons à de nombreux constats. Nous passons par des huissiers. En aval, les saisines que nous faisons auprès de l'Arcom nécessitent aussi que nous dressions des constats. La lutte contre le piratage est donc extrêmement coûteuse pour les ayants droit, en plus des dommages qu'ils subissent. Ces investissements se chiffrent en millions d'euros pour beIN Media Group.
Pour la première fois dans la longue histoire de la lutte contre le piratage, les titulaires de droits ont un coup d'avance. Toutefois, nous savons que le piratage a un caractère protéiforme et que nous devons adapter les outils.
L'article 3 permet cette adaptation. Il est extrêmement large puisqu'il vise toute mesure appropriée pour lutter contre la mise à disposition de contenus illicites. Nous avions déjà anticipé qu'il faudrait procéder au blocage IP et que le DNS ne suffirait pas. De plus, cet article ne s'adresse pas uniquement aux FAI ; il s'adresse à tout opérateur qui peut nous aider à lutter contre le piratage dans le domaine technique (hébergeurs, moteurs de recherche, réseaux sociaux, etc.).
Avec le piratage, nous avons affaire à des gens extrêmement bien organisés. On peut parler de mafia. D'après une étude extrêmement intéressante publiée récemment, un consommateur est confronté au risque de perte d'identité, de vol d'information, d'identification et de demande de rançon dans les 71 secondes qui suivent un clic sur un site pirate. Les risques de virus sont également très élevés. Ainsi, le piratage ne s'arrête pas à la protection des ayants droit et des diffuseurs. Il concerne à la protection de tout un chacun.
Pour améliorer la protection, le blocage IP sera beaucoup plus efficace. C'est pourquoi les membres de l'APPS appellent de leurs voeux sa mise en place par les FAI, à l'instar de ce qui existe déjà au Royaume-Uni, en Italie et au Portugal.
L'industrialisation de ce système nécessitera une collaboration encore plus étroite avec l'Arcom afin de réduire les délais de réaction et d'intervention. Le blocage IP consiste simplement à bloquer le signal d'un site pendant la durée d'un match ou d'une compétition. Il s'agit d'une mesure proportionnée qui limite les risques de sur-blocage.
L'APPS travaille ardemment sur les autres moyens de lutte contre le piratage, par exemple la transposition de la directive sur les droits d'auteur qui permet d'agir efficacement sur les plates-formes de partage (YouTube, Facebook). Nous aimerions que les hébergeurs techniques, dès qu'ils sont notifiés, s'engagent à procéder à la coupure du contenu illégal dans les 30 minutes. C'est en ce sens que des centaines de titulaires de droits ont récemment lancé un appel à l'action à Bruxelles. Il est également possible de renforcer les obligations de traçabilité, qui ne sont aujourd'hui prévues que pour les places de marché. De telles dispositions ne viendraient en aucune manière endommager notre article 3.
Nous espérons que le Sénat, que nous remercions pour son engagement, restera à nos côtés afin de rendre le dispositif encore plus efficient.
Le football est le contenu le plus piraté au monde. Il représente près de 75 % des contenus sportifs piratés. Toutefois, tout le monde est concerné car la menace est gigantesque pour l'industrie du sport et son écosystème.
Les internautes qui se rendent sur des sites pirates courent de nombreux risques, dont le détournement de données personnelles. Ces risques ne doivent pas être sous-estimés.
Les sommes échappent à tout contrôle et à tout mécanisme de solidarité sociétale. Ces milliards d'euros renforcent des activités criminelles illégales.
Je suis très positif quant au résultat du dispositif qui a été mis en place. Depuis plus d'un an, nous avons bloqué 410 000 liens de live streaming et contribué à près de 300 000 déréférencements.
Nous avons aussi une mission de surveillance. Un millier de serveurs IPTV illégaux ont été recensés la saison dernière. Nous avons pu constater, lors d'un récent match de Ligue 1, que 300 000 personnes étaient connectées sur un seul service IPTV.
Ces actions n'auraient pas été possibles sans le principe de l'ordonnance dynamique. Nous acceptons avec grand plaisir les principes de saisine judiciaire, de débat contradictoire et d'ordonnances prononcées par le juge, qui nous semblent représenter un dispositif extrêmement efficace dans la lutte contre ce fléau.
Indéniablement, les mesures de blocage DNS ont porté leurs fruits. De plus en plus d'internautes sont confrontés à des mesures de blocage sur des sites illégaux. Le blocage DNS a fait ses preuves, mais il a atteint ses limites. Sans dispositif de blocage IP, tous les efforts que nous avons fait depuis des années risquent de se révéler vains. En la matière, la Premier League est une référence. Elle a fait du blocage IP la pierre angulaire de son combat, y compris pendant la diffusion en direct des matches. Nous devons en tenir compte.
Je tiens à saluer les efforts de l'Arcom. Nous voulons nous comporter de manière pragmatique. Nous devons être à la hauteur des enjeux. Nous sommes prêts à contribuer significativement aux coûts associés.
Nous sommes engagés dans une course contre la montre. L'appel d'offres que la LFP lancera en 2023 sera extrêmement structurant pour l'économie du football et du sport dans son ensemble. Nous avons besoin d'être compétitifs au niveau européen. Les enjeux seront forts. Comme tout ayant droit, la Ligue doit une jouissance paisible de ses droits à ses diffuseurs. Ces derniers se posent des questions sur notre capacité à garantir cette jouissance paisible. Je les comprends. Je ne voudrais pas que l'optimisation nécessaire de nos droits ne soit pas au rendez-vous du prochain appel d'offres en raison du risque de piratage. Nous devons être à la hauteur de cet enjeu.
Merci à chacun pour ces propos liminaires. La parole est à notre rapporteur pour une première série de questions.
J'ai trois questions à poser.
Avec le recul, considérez-vous que le dispositif est suffisamment clair et qu'il apporte les garanties juridiques attendues par les différentes parties ? Des difficultés sont-elles apparues concernant les modalités de recours ?
La création d'un dispositif de blocage est génératrice de coûts, notamment pour les FAI. Il est légitime que ceux qui bénéficient de la lutte contre le piratage participent à la prise en charge de ces coûts. Il apparaît qu'au bout d'un an, les parties n'ont pas été en mesure de se mettre d'accord sur ce point. Cette situation, si elle perdurait, pourrait-elle fragiliser la mise en oeuvre du dispositif ? Faut-il modifier la loi et prévoir que l'évaluation de ces coûts et sa répartition entre les parties sont déterminées par l'Arcom ?
Enfin, les ayants droit souhaitent porter une initiative législative européenne. Quel serait l'intérêt de cette démarche pour les éditeurs français s'ils sont déjà protégés par notre législation nationale ? Ne craignez-vous qu'un dispositif européen soit moins protecteur ?
L'application de l'article 3 est extrêmement simple et fluide. La justice est diligente. Ainsi, nous obtenons des décisions dans un délai record. En outre, les FAI coopèrent. Aucun d'entre eux n'a initié de recours depuis le lancement de ces actions judiciaires. Nous dressons un bilan très positif de l'application de ce texte. Nous avons tous intérêt à lutter efficacement contre le piratage. L'article est suffisamment précis. A ce stade, nous n'avons pas identifié de souhait de modification.
S'ils ont des difficultés à mettre en oeuvre le blocage que nous leur avons notifié, les FAI doivent nous en rendre compte. En 9 mois, nous n'avons eu le retour d'aucune difficulté. En cas de difficulté, les ayants droit auraient toujours la possibilité de revenir devant le juge. A ce stade, les garanties juridiques de mise en oeuvre efficace du dispositif sont vraiment assurées.
Les ayants droit et les acteurs de la télévision ne sont pas les seuls à bénéficier de ces mesures. Les opérateurs télécom vendent ces services. Ils en tirent des marges significatives. Ils ont donc également intérêt à vendre des abonnements. Par ailleurs, certains opérateurs achètent eux-mêmes des droits sportifs : Free est détenteur d'un lot de Ligue 1, tandis qu'Altice a investi des sommes conséquentes pour la Premier League et la Ligue des Champions.
Concernant les coûts, nous sommes dans une logique de partage. Tous les opérateurs portent des coûts, pas uniquement les FAI. Il est entendu que nous prendrons notre part de ces coûts. Je n'envisage pas, compte tenu des discussions que nous avons largement initiées, de difficulté sur ce sujet. En revanche, nous devons encore discuter de l'IPTV, dont nous n'avons pas encore identifié les limites et les coûts.
L'Arcom est l'arbitre. Nous faisons office de « monsieur bons offices » entre l'APPS et la FFT (plus Free). Les discussions en cours sont extrêmement encourageantes. Nous ne constatons pas de position conflictuelle entre les acteurs sur la répartition des coûts relatifs à la mise en place d'un système automatisé de blocage DNS. Le sujet des modalités de faisabilité et de mise en oeuvre du blocage IP, avec les coûts y afférents, est plus ouvert.
Je me félicite qu'un accord soit à portée. J'espère que nous pourrons conclure rapidement. Nous proposons de prendre en charge la moitié des coûts d'investissement et la moitié des coûts opérationnels. Pourtant, je ne bénéficie pas de la moitié des dividendes de Canal +. La proportionnalité des gains de part et d'autre n'est pas équivalente.
Concernant le blocage IP, il existe des exigences juridiques. Le principe de proportionnalité est au coeur de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et de la Cour de Justice de l'Union Européenne. Les opérateurs télécom ont la liberté totale de moyens pour aboutir au résultat qu'est le blocage. Nous sommes prêts à travailler sur les méthodes les plus innovantes. Nous n'excluons pas le blocage IP par principe. Simplement, ce n'est pas une garantie. Le blocage IP ne bloque pas à la source : il bloque un moyen d'accès. En outre, il existe des exigences techniques et opérationnelles. Le blocage IP présente des risques de sur-blocage. Nous l'avons vu très récemment en Autriche lorsque les opérateurs télécom ont été saisis par les ayants droit. Un site Internet a des millions d'adresses IP. Ces adresses ne sont pas attachées à un site en particulier : elles sont réattribuées en permanence. C'est pour cela qu'il existe des risques de sur-blocage. Par comparaison, le blocage DNS est parfaitement expérimenté, maîtrisé et solide. Avec le blocage IP, nous ne sommes pas certains de ne pas bloquer une chaîne de mails ou un chat, fût-ce pendant 90 minutes uniquement. Or il n'existe pas de mécanisme de responsabilité afférent. Nous ne voudrions pas être tenus responsables d'un blocage IP mal maîtrisé.
Nous sommes prêts à regarder les expériences étrangères. Aucune étude ne prouve que le blocage IP est plus efficace que le blocage DNS. Les solutions ne sont pas transposables d'un réseau à l'autre. Notre réseau n'a pas du tout la même architecture que le réseau espagnol ou britannique. Nous sommes d'accord pour étudier le sujet et discuter d'un cahier des charges avec les ayants droit de manière à éviter les mécanismes de sur-blocage, autour de principes juridiques clairs sur la responsabilité. Potentiellement, il y a aussi des effets sur la qualité de service et la qualité d'expérience de nos clients. Nous avons conçu les réseaux Internet pour que la circulation soit fluide, pas pour qu'ils soient bloqués. Enfin, il faudrait une compensation spécifique et différente de l'industrialisation du processus de blocage DNS.
Nous avons tout de même du mal à comprendre pourquoi ce système fonctionne au Royaume-Uni, en Italie et au Portugal et pourquoi il ne fonctionnerait pas en France.
Nous sommes des profanes en matière de réseaux de télécommunication. Nous avons besoin de l'aide d'un expert réseau. Le seul cas de sur-blocage dont nous avons connaissance est survenu en Autriche récemment. Nous sommes prêts à partager les coûts, mais à condition de les connaître. Nous avons besoin d'une information transparente sur les coûts engagés par les FAI et ce qu'ils font exactement pour le compte des ayants droit. Nous avons accepté de partager les coûts des blocages DNS, même si nous pensons que le blocage DNS existait déjà chez la plupart des FAI. S'agissant du blocage IP, nous voulons une discussion en toute transparence. Nous avons besoin qu'un expert confirme ou infirme que notre réseau est différent des réseaux de nos voisins.
D'un côté, les résultats sont encourageants. La rapidité d'intervention de l'Arcom permet de renforcer le dispositif. Les discussions sur le partage des coûts avancent bien, même si elles prennent un peu de temps. D'un autre côté, il existe une situation d'urgence face aux nouvelles formes de piratage. Les pirates se sont orientés vers d'autres solutions, dont les boîtiers IPTV, qui posent un vrai problème. C'est un peu la même situation que dans le dopage : les tricheurs ont déjà trouvé une autre solution.
D'autres pays ont-ils déjà mis en oeuvre le blocage des nouvelles formes de piratage ? Quelle est l'ampleur de l'impact de l'IPTV illégale en Europe ? Les Anglais ont-ils été confrontés à des difficultés particulières de sur-blocage ?
Il nous est difficile de comprendre que ce qui est possible chez nos voisins ne le serait pas chez nous. J'ai l'impression de revenir au début des discussions sur le piratage. Les difficultés semblaient nombreuses, mais nous sommes parvenus à les lever.
Comment envisagez-vous la suite de votre travail collectif, notamment concernant le blocage IPTV ? Dans quels délais sera-t-il possible de trouver des solutions, alors que la LFP se prépare à lancer un nouvel appel d'offres ?
Nous sommes partagés entre des propos très rassurants d'un côté et des propos alarmistes d'un autre. Nous avons conscience du manque à gagner considérable que représente le piratage, que ce soit pour les détenteurs de droits, l'État et l'ensemble de l'écosystème sportif, sans parler de la dépréciation de la valeur marchande des compétitions sportives concernées.
Une mission d'information parlementaire relative aux droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives a rendu publiques 28 propositions. Certaines de ces propositions vous semblent-elles pertinentes ? La création d'un service public minimum de diffusion des compétitions sportives sur les chaînes publiques, qu'il s'agisse d'un match en clair par journée de championnat ou d'un lot « temps forts », ne serait-elle pas un moyen de limiter le piratage ?
En Espagne, la ligue de football assure pleinement le rôle de garant de la protection des droits audiovisuels, avec des moyens humains et financiers adéquats pour lutter contre le piratage. La LFP pourrait-elle s'emparer de cette question et s'investir plus qu'elle ne le fait déjà ?
Concernant les projets européens, nous sommes à une phase très exploratoire. La Commission est davantage dans l'optique de recommandations que d'un cadre contraignant. Nous avons été mis à contribution sur la manière dont nous pratiquons, sans savoir si le modèle français est de nature à emporter leur conviction.
Nous pouvons nous féliciter des résultats enregistrés grâce à la loi de 2021. Néanmoins, de nouvelles astuces se développent, notamment les boîtiers IPTV. Le manque à gagner est estimé à quasiment 1 milliard d'euros sur le plan national. Dans le même temps, nous connaissons les difficultés de financement du sport, avec un modèle économique basé principalement sur les droits TV.
La fraude a toujours existé. Elle existera toujours lorsque quelque chose est payant. Il y a 15 ou 20 ans, il n'y avait qu'un seul diffuseur pour le football. Aujourd'hui, il y en a plusieurs. Le prix est très élevé. Avez-vous la possibilité de rendre plus lisibles les offres destinées à la population ? Des efforts ont été faits en Europe. Ainsi, il faut débourser beaucoup moins d'argent en Espagne pour suivre la Liga et la Ligue des Champions.
La hausse du piratage concerne-t-elle l'ensemble des sports, au-delà du football ?
Disposez-vous d'éléments de comparaison sur la nature du piratage à l'échelle européenne ? Faisons-nous partie des pays où le piratage est le plus important ?
N'y a-t-il pas trop de diffuseurs et d'opérateurs sportifs en France ? Prenez le cinéma : l'apparition de Netflix, avec une offre conséquente relativement abordable, a contribué à faire reculer le piratage. La LFP a-t-elle réfléchi à la constitution d'un package complet destiné à un seul opérateur ?
Dans les années 2000, nous avions eu des débats sur la manière d'arrêter le piratage dans la musique. J'étais favorable à la régulation, tout en invitant à créer un modèle qui coupe les sources du piratage. Tant qu'il n'y aurait pas d'offre commerciale permettant de répondre à la soif de musique de la jeunesse, nous aurions un problème.
Aujourd'hui, le système est absolument désastreux pour ceux qui aiment le football. Généralement, ces personnes n'ont pas beaucoup d'argent. Le football est un sport très populaire. L'accès au stade est absolument inabordable et la télévision coûte cher. Nous ne pouvons pas faire comme si ce sujet n'existait pas. Notre rôle est de travailler pour l'intérêt public, pas pour celui de Canal + ou de beIN Sports. Il faut absolument démocratiser la diffusion du sport à la télévision.
Avez-vous entamé des réflexions sur la manière de faire en sorte que le sport ne devienne pas comme l'opéra ? Comment réagissez-vous à ce qu'a décidé la Commission Européenne la semaine dernière, à savoir ne pas aller dans le sens d'une législation ?
La course aux nouvelles technologies de piratage est incessante. Ce n'est pas tellement le terrain législatif qui permettra d'y répondre. La musique a commencé à trouver un équilibre en révolutionnant le mode de financement, pas en multipliant les barrières, les poursuites, les sanctions et la répression. Comment faire en sorte que le sport reste accessible ?
J'ai une question très naïve : ne serait-il pas possible de mettre en place des campagnes de prévention sur le piratage, en évoquant ses conséquences sur les différents acteurs, ainsi que les sanctions encourues par ceux qui le pratiquent ?
La situation est assez paradoxale. Je me suis retrouvé à plusieurs reprises devant l'Autorité de la Concurrence, où l'on m'a expliqué qu'il fallait faire entrer des acteurs et que Canal + devait cesser son monopole sur les droits sportifs, dans la volonté de favoriser la concurrence et d'éviter que Canal + n'augmente trop ses prix. De mon point de vue, la fragmentation a plutôt l'effet contraire. Tout le monde en subit les conséquences. Il est difficile pour un fan de football de voir la totalité de certaines compétitions. Nous avions fait une offre pour l'intégralité des droits de la Ligue 1, mais elle n'a pas été retenue, à l'inverse de notre offre pour l'intégralité de la Ligue des Champions. Ce sujet nous préoccupe. Ainsi, l'agrégation des offres de sport s'accompagne de réductions tarifaires. De plus, nous avons mis en place des offres moins coûteuses pour les plus jeunes.
Je comprends totalement la proposition de diffuser des matchs en clair. Il ne faut pas qu'en retour, les chaînes gratuites nous demandent de plus en plus d'argent, comme c'est le cas actuellement de TF1.
Enfin, la concurrence permet de faire monter les droits. Les matchs en clair font baisser la valeur globale d'une compétition.
Nous avons conscience qu'un nouvel entrant ou une fragmentation de l'offre peuvent être des éléments d'accélération du piratage. Toutefois, le problème du piratage continuera d'exister même si nous interdisons les nouveaux entrants ou si nous accordons tous les droits à un seul diffuseur. Nous avons le devoir d'anticiper les comportements des pirates pour protéger la valeur de nos droits.
Concernant la diffusion de matchs en clair, la Ligue est contrainte par le code du sport, qui prévoit des allotissements et des procédures afin de stimuler la concurrence et de faire en sorte que tous les acteurs intéressés puissent soumissionner. Les droits ne peuvent pas être mis sur le marché pour une durée supérieure à 4 ans, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis par exemple. Donner la possibilité à la Ligue de négocier de gré à gré, sans passer par un appel d'offres, l'intégralité et l'exclusivité de ses droits pour une période de 10 ans serait une énorme erreur. La Ligue doit optimiser la valeur de ses droits. Cela fait partie de nos statuts. Nous le faisons pour offrir le maximum de compétitivité à nos clubs sur la scène européenne. Cela participe également de l'intérêt des fans pour notre championnat. La présence de Messi, Neymar ou Mbappé en Ligue 1 accroît l'intérêt des fans de football. L'État en retire davantage d'impôts et de contributions sociales. Je ne crois pas que la diffusion d'un match en clair par journée de championnat soit la solution.
Dans les stades, les places sont à des tarifs très différents, permettant de s'adresser des populations tout à fait différentes. Les plus riches peuvent aller en loge et les plus modestes en catégorie 3. A la télévision, cette différenciation n'est pas possible.
Le dispositif de lutte contre le piratage est extrêmement efficace. Il donne tous les gages. Le fait de pouvoir intervenir pendant une rencontre sera une manière de le rendre encore plus efficace. Donner davantage de moyens à la LFP n'aboutirait pas à un résultat différent.
BeIN Sports a été lancé au prix de 11 euros. Actuellement, l'abonnement est de 15 euros. Pourquoi le sport devrait-il être moins cher que le cinéma ? Pourquoi devrait-il vivre une expérience radicalement différente, alors qu'il coûte extrêmement cher ? La gratuité n'est pas forcément la solution.
Dans une décision rendue récemment, le Conseil Constitutionnel indique qu'il ne peut y avoir de blocage de sites Internet qu'avec une ordonnance d'un juge ou une injonction d'une autorité administrative. Il ne peut pas y avoir de saisine directe des ayants droit.
Je ne sais pas pourquoi le système qui fonctionne au Royaume-Uni ne fonctionnerait pas en France. Je ne connais pas l'architecture de leur réseau. Il faudrait une étude de plusieurs semaines. Ce qui est vrai de l'autre côté de la Manche ne l'est pas forcément en France, mais nous sommes évidemment prêts à regarder le sujet. En tout cas, je ne conclus pas avant d'avoir étudié, notamment les risques juridiques et techniques. Faisons les choses dans l'ordre. Pour l'heure, je comprends que nous avons un accord à portée de main pour l'industrialisation du blocage DNS, qui a déjà fait diminuer le piratage de 50 %.
Pour protéger les contenus sur Internet, il faut conjuguer des moyens de lutte contre le piratage et des moyens d'accompagnement de l'offre légale. Le développement de l'offre légale appartient aux acteurs privés. Notre rôle consiste à l'accompagner et à l'encourager, ce que nous faisons. Nous menons déjà des actions d'éducation et de sensibilisation.
Je me souviens aussi des débats d'il y a 10 ou 15 ans. A l'époque, il était beaucoup reproché aux acteurs l'absence d'offre légale. Aujourd'hui, certains s'inquiètent qu'il y ait trop d'offre légale. Dans le secteur de la musique, le piratage a drastiquement baissé. Les consommateurs sont extrêmement satisfaits de l'offre. Néanmoins, la comparaison a ses limites car les secteurs reposent sur des économies très différentes. La solution qui a été trouvée pour la musique ne sera pas nécessairement adaptable à l'audiovisuel et au sport. Dans le sport, les consommateurs qui ont des pratiques illicites sont majoritairement de catégories socioprofessionnelles supérieures.
Merci à tous.
Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.