Ce PLFSS est le troisième depuis le début de la pandémie, qui marque profondément, cette année encore, la branche maladie.
Ce texte est surtout le premier PLFSS d'une nouvelle législature. Pourtant, vous l'aurez noté, il n'est ni ambitieux ni structurant, particulièrement dans le champ de l'assurance maladie : il ne dégage pas de ligne claire concernant les dépenses et, malgré une communication forte sur certaines petites dispositions, il ne comprend pas de mesures fortes d'orientation de la politique de santé.
Le cadrage financier est au coeur des enjeux du PLFSS.
L'objectif de dépenses de la branche maladie, maternité, invalidité et décès est fixé à 238,3 milliards d'euros, soit une très légère baisse par rapport au montant révisé pour 2022, du seul fait d'hypothèses favorables concernant l'épidémie de covid-19.
Permettez-moi de dire un mot sur la trajectoire pluriannuelle, qui anticipe des dépenses à hauteur de plus de 252 milliards d'euros en 2026, et en particulier sur le solde de la branche. Comme je l'ai déjà évoqué lors de précédentes auditions de la commission, le redressement de la trajectoire est tout simplement spectaculaire. Mais je ne sais plus si nous devons nous réjouir ou nous inquiéter.
Je serais bien sûr la première satisfaite d'un retour à l'équilibre de la branche maladie, condition indispensable à la soutenabilité de l'assurance maladie. Mais cela n'est pas crédible, car le « redressement » de la perspective pluriannuelle résulte d'un effet recettes anticipé bien supérieur à celui qui a été projeté l'an dernier. Or les hypothèses du Gouvernement sont pour le moins optimistes et aucune mesure en recettes ne peut expliquer cette hausse, inférieure au seul « remboursement » douteux des indemnités journalières (IJ) maternité par la branche famille.
Toujours en matière de cadrage financier, arrêtons-nous sur l'un des marqueurs du PLFSS, comme chaque année : l'Ondam.
L'Ondam 2023 serait fixé à 244,1 milliards d'euros. Après un dépassement considérable de plus de 9 milliards d'euros en 2022, en raison principalement de la vague Omicron, mais aussi de l'inflation, l'Ondam 2023 serait en baisse si l'on prend en compte les dépenses covid, mais en hausse de 3,7 % hors covid.
Le rythme de progression, soutenu, se décline par sous-objectifs. Les soins de ville progresseraient de 2,9 %, les établissements de santé de 4,1 %. Ces deux sous-objectifs dépasseront chacun les 100 milliards d'euros. L'Ondam médico-social augmenterait, lui, de plus de 5 %.
En dépit de ces dynamiques de dépenses, on déplore pourtant l'absence d'une grande politique de soutien au système de santé. L'Ondam hospitalier, par exemple, se borne à prendre en charge la revalorisation du point d'indice et suit le tendanciel majoré par la forte inflation.
L'Ondam atteindrait dans cinq ans 270 milliards d'euros, alors qu'il dépassait à peine les 200 milliards il y a trois ans. Tout cela est vertigineux. Le rythme d'augmentation annuel serait de 2,6 % à cet horizon, soit plus de 6,5 milliards d'euros en plus par an.
Or les établissements de santé nous alertent sur leurs charges, les libéraux attendent des revalorisations, et le secteur du médicament se plaint d'économies trop dures. En outre, force est malheureusement de constater que les montants records présentés sont pourtant sont peu crédibles. Il est difficile de penser que l'Ondam 2023 sera respecté, avec des dépenses covid très maîtrisées, et que l'impact de l'inflation sera moindre sur les dépenses hospitalières que sur les prix moyens. Soit les moyens sont insuffisants, soit des économies cachées sont prévues. La sincérité de la trajectoire de l'Ondam peut donc être discutée. Alors que des dépassements sont déjà probables, je souhaite qu'ils soient dûment soumis à l'avis de notre commission en cours d'année. Notre réflexion engagée lors de l'examen de la loi organique sur le pilotage de l'Ondam doit aussi être poursuivie.
J'en viens aux mesures nouvelles que contient ce texte.
Je commencerai par le volet prévention, qui ouvre le dossier de presse du Gouvernement. Je vous proposerai d'adopter les articles 18, 19 et 20, car ils constituent des extensions plutôt bienvenues de mesures de santé publique existantes : en matière de santé sexuelle d'une part, et de compétences vaccinales des pharmaciens, sages-femmes et infirmiers d'autre part. Mais le principal dispositif nouveau en matière de prévention, censé illustrer le nouvel intitulé du ministère de la santé, est celui de l'article 17, et il ne mérite pas les coups de trompette qui l'annoncent trop souvent. La communication gouvernementale prétend qu'il crée trois rendez-vous de prévention tout au long de la vie, à 20-25 ans, 40-45 ans et 60-65 ans, entièrement pris en charge par la sécurité sociale. Or si l'article crée bel et bien une consultation nouvelle vers 20-25 ans pour prévenir, notamment, les addictions, et promouvoir des habitudes de vie saines, le rendez-vous de 40-45 ans visant à prévenir les maladies chroniques prendra la forme de « séances » assez indéterminées et pourrait donner lieu à une consultation, mais pas nécessairement. Quant au rendez-vous de 65 ans visant à prévenir la perte d'autonomie, c'est en fait la généralisation du dispositif déjà en cours de déploiement au titre de la stratégie « vieillir en bonne santé » du quinquennat précédent.
Tout le monde en convient, la prévention doit être renforcée dans notre pays, mais les moyens d'y parvenir sont moins consensuels. Les travaux scientifiques et les comparaisons internationales semblent indiquer que la confiance et la stabilité du suivi par un médecin traitant, le ciblage des profils à risque ou des moments de rupture, comme le chômage ou la retraite, sont des variables plus pertinentes que de simples bornes d'âge pour des bilans de santé à caractère général. De plus, le caractère facultatif de ces rendez-vous fait craindre que les personnes déjà éloignées des soins ne les sollicitent pas. Je vous proposerai par conséquent de préciser un peu le dispositif du Gouvernement et de faire entrer les complémentaires dans son financement.
Un second volet concerne l'accès aux soins et la médecine de ville, et apporte des réponses elles aussi trop timides à ce problème si fondamental pour nos territoires.
L'article 22, qui prétend « rénover la vie conventionnelle », ne modifie en réalité qu'à la marge les règles encadrant les conventions conclues entre les organisations représentatives des professions de santé et l'assurance maladie. La mesure la plus sensible est sans doute l'ajout, parmi les thèmes pouvant être abordés à l'occasion des négociations pour la plupart des professions, du conventionnement conditionnel. Vous le savez, je doute fortement de l'efficacité de ce type de mesures dans un contexte de pénurie médicale généralisée. Mais ici, il s'agit seulement d'autoriser les partenaires conventionnels à négocier sur ce sujet : ils resteraient libres de s'accorder ou non sur des mesures coercitives. Parce qu'il me semble qu'il est souhaitable de leur laisser cette liberté, je vous propose de ne pas modifier cette disposition. En revanche, et parce que les conventions constituent un enjeu essentiel pour la structuration des soins de ville, je vous soumettrai trois amendements pour améliorer le suivi financier des conventions et le contrôle du Parlement en la matière.
Sur ce chapitre encore, de nombreux articles additionnels ont été conservés ou déposés par le Gouvernement. Je vous proposerai d'en supprimer plusieurs, notamment ceux qui visent à permettre l'accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA) et à élargir la permanence des soins à d'autres professions libérales : ces sujets, structurants, doivent être examinés de manière transversale à l'occasion d'une loi Santé. D'autres, comme la faculté de substitution des dispositifs médicaux ou la possibilité pour les infirmiers de signer des certificats de décès, m'ont semblé mieux ciblés. C'est aussi le cas de l'expérimentation de consultations avancées dans les zones sous-denses, dispositif qui, avec celui de l'article 24 sur la rationalisation des contrats d'aide à l'installation, reprend des recommandations du rapport de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) publié en juillet dernier pour tâcher de remédier aux problèmes de densité médicale. Je vous proposerai quelques améliorations.
D'autres dispositions visent à mieux encadrer les téléconsultations : l'article 28 crée un cadre juridique nouveau pour les sociétés de consultation, tandis que l'article 43 concerne la prise en charge des arrêts de travail. Ces articles vont dans le bon sens, mais ils ne vont pas assez loin. La téléconsultation, bien acceptée par les patients désormais, est un complément pertinent à l'offre de soins classique, notamment pour les patients chroniques. La crise sanitaire a cependant banalisé son utilisation, et il faut à présent garantir son bon usage.
La téléconsultation ne saurait en toute hypothèse faire office de remède miracle aux problèmes de démographie médicale. D'une part, son utilisation n'est pas plus importante en zone sous-dense. D'autre part, une téléconsultation n'est pas une consultation, puisqu'elle n'emporte pas la même charge pour le médecin, et n'apporte pas la même qualité de service au patient, qui ne se prête à aucun examen clinique. Renforçons donc son encadrement.
L'hôpital est le grand oublié de ce PLFSS. Le texte initial ne contenait qu'une seule mesure relative à l'intérim médical. Le Gouvernement en a ajouté d'autres, mais de faible importance, et parfois carrément irrecevables. Curieusement, donc, aucune mesure de cette loi de financement ne concerne le financement de l'hôpital. Il n'est pas même question, par exemple, d'approuver la garantie de financement reconduite en 2022, ni de prévoir la sortie de ce dispositif et un filet de sécurité pour certains hôpitaux, alors qu'ils n'ont pas retrouvé leur niveau d'activité de 2019. Il n'est pas non plus question de lancer l'expérimentation d'un financement sur la base d'une dotation populationnelle. Le Gouvernement renvoie ces questions au Conseil national de la refondation (CNR), y voyant sans doute une solution miracle, peut-être un moyen de gagner du temps.
Or ce silence est préjudiciable aux établissements d'abord, dépourvus de visibilité sur leurs ressources ; aux parlementaires ensuite, dispensés d'approuver des règles de financement, qui seront sans doute encore fixées par voie réglementaire.
Le Gouvernement propose l'interdiction de l'intérim médical notamment pour les jeunes diplômés, médecins et infirmiers. C'est souhaitable, mais l'intérim des jeunes diplômés n'est pas le seul à fragiliser le fonctionnement des établissements de santé, la qualité et la continuité des soins. C'est pourquoi je propose qu'il ne puisse être le seul mode d'exercice pour un professionnel de santé. Je suggère en outre de l'inscrire dans un dispositif consistant à renforcer le rôle des agences régionales de santé (ARS) en appui aux établissements, avec une possibilité de prise en charge de missions permettant aux établissements d'assurer leur activité programmée. Il convient de renforcer l'encadrement de l'intérim et les moyens de faire face aux tensions anticipées avec l'entrée en vigueur prévue en mars prochain des dispositions de la loi Rist.
Une série de mesures concerne enfin les produits de santé et la biologie médicale, principalement sous un angle de régulation de ces secteurs en vue de faire des économies.
L'article 9 bis réforme la clause de sauvegarde et fixe les seuils de déclenchement pour 2023. L'article 30 porte de nombreuses réformes concernant le médicament, et l'article 31 rassemble celles qui concernent les dispositifs médicaux. De toute évidence, ces mesures n'étaient pas assez préparées. Elles ont suscité de nombreuses inquiétudes chez les exploitants comme chez les distributeurs, qui ont conduit le Gouvernement à abandonner les plus emblématiques.
Ainsi, le Gouvernement a supprimé la contribution spécifique aux médicaments en forte croissance et rééquilibré en contrepartie la clause de sauvegarde en prévoyant que 30 % de son montant sera réparti en fonction de la croissance du chiffre d'affaires. Cette mesure me paraît plus juste.
Le montant de la clause de sauvegarde pour 2023 a aussi suscité beaucoup de réactions. Si le Gouvernement ne l'a pas modifié, il a en revanche déposé à l'Assemblée nationale plusieurs amendements visant à rassurer le secteur, notamment en plafonnant les contributions dues pour l'année 2023. Je ne propose pas d'y revenir.
En revanche et comme l'année dernière, je vous inviterai à adopter un amendement visant à rendre plus juste la clause de sauvegarde assise sur les dispositifs médicaux, en prévoyant un barème progressif équivalent à celui des médicaments.
À l'article 30, le Gouvernement a accepté d'abandonner le référencement périodique des médicaments, que les fabricants et pharmaciens avaient jugé dangereux et inadapté. Je vous proposerai de supprimer également les dispositions qui prévoient d'étendre à l'ensemble des médicaments la possibilité, pour le Comité économique des produits de santé (CEPS), de prononcer des remises unilatéralement. Le CEPS n'a jamais eu recours à cette possibilité lorsqu'elle était autorisée. De plus, notre commission a toujours été attachée à ce que la régulation du médicament reste fondée sur la négociation de conventions entre le CEPS et les exploitants.
Enfin, l'article 31 porte de nombreuses mesures tendant à réformer profondément la tarification des dispositifs médicaux. Il conduit à mieux distinguer le tarif des produits de celui des prestations associées, et autorise le Gouvernement à fixer par arrêté les taux de marge des distributeurs. Ces mesures sont propices à une meilleure répartition de la valeur, mais je ne souhaite pas qu'elles s'appliquent uniformément, car le secteur des dispositifs médicaux est très hétérogène, et on ne comprendrait pas que l'État administre de la même manière les dispositifs médicaux que l'assurance maladie rembourse et ceux qu'elle ne rembourse presque pas.
L'article 27 concerne la biologie médicale. Il confère une base légale au référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) et promet une « gestion plus dynamique » de ces actes, mais le calendrier envisagé laisse espérer, au mieux, un apurement de la liste actuelle pour 2037 ! La procédure sera prévue par des textes d'application, mais paraît pour l'instant décevante. Pour ne pas entraver de possibles avancées toutefois, je vous proposerai de maintenir ces dispositions.
L'article 27 prévoit une économie annuelle de 250 millions d'euros sur les dépenses de biologie médicale sous la forme d'un ultimatum fait au secteur : à défaut d'accord avant le 1er février permettant dès 2023 une telle économie, un arrêté ministériel fixera une baisse généralisée de la cotation des actes hors ceux qui sont liés à la covid. Le montant des sommes versées par l'assurance maladie aux laboratoires au titre du dépistage du SARS-CoV-2, évaluées à 7,3 milliards d'euros entre 2020 et 2022, justifie certes de demander un effort au secteur, mais ni la méthode ni le choix d'une baisse pérenne des tarifs des actes hors covid ne sont acceptables. Cette mesure d'économie, à la louche dirais-je, risque de fragiliser des laboratoires de petite taille ou situés en zone rurale. Je vous propose donc de la supprimer.
L'amendement que nous vous proposons avec la rapporteure générale crée plutôt une contribution exceptionnelle, pour la seule année 2023, assise sur le remboursement aux laboratoires du dépistage de la covid en 2021. Son produit, 250 millions d'euros, serait affecté à la Cnam. Je suis toutefois convaincue de la nécessité d'une maîtrise tant médicalisée que tarifaire des dépenses de biologie médicale négociée entre l'assurance maladie et les professionnels. Un autre amendement prévoit que la convention liant les biologistes médicaux à la Cnam fixe des orientations pluriannuelles d'évolution des dépenses et les mécanismes concourant à leur respect.
Vous le voyez, de nombreux articles du texte initial ou ajoutés par le Gouvernement dans le texte adopté au moyen de l'article 49-3 de la Constitution relèvent davantage d'une loi Santé que d'une loi de financement.
Ce constat n'est pas dicté par une doctrine rigide sur ce qui distingue une LFSS d'une loi ordinaire, mais par l'exigence minimale que nous devons à notre système de santé, à savoir une véritable réforme sectorielle à la hauteur des besoins et non un fatras de dispositions hétéroclites dont la discussion est contrainte par le calendrier budgétaire.
Sous réserve du vote des amendements que je vous présenterai, je vous propose donc, sans grand enthousiasme, d'adopter ce projet de loi de financement dans son volet assurance maladie.