Après l'« accident » de 2020, la branche AT-MP a renoué dès 2021 avec les excédents qu'elle connaît depuis 2013. En 2022, sous l'effet de la croissance de la masse salariale du secteur privé et de la fin des exonérations de cotisations mises en place pour soutenir les entreprises confrontées à la crise sanitaire, les recettes augmentent nettement plus rapidement que les dépenses, si bien que le solde de la branche devrait cette année être excédentaire de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes obligatoires de base. La prévision de dépenses, fixée à 14,1 milliards d'euros par la dernière loi de financement, est ajustée à 14,2 milliards d'euros pour 2022.
La sinistralité a bien connu, en 2021, un rebond de 8,8 % par rapport à la forte baisse enregistrée en 2020 sous l'effet des confinements, du télétravail et de la mise en activité partielle d'une part importante des salariés. Mais, fin 2021, elle restait en deçà de son niveau de 2019.
Pour 2023, l'objectif de dépenses de la branche AT-MP est fixé à 14,8 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes obligatoires de base. Le PLFSS prévoit un excédent de 2,2 milliards d'euros pour la branche, confirmant le retour à une situation financière favorable. À moyen terme, l'écart entre les recettes et les dépenses s'amplifierait, atteignant 3,3 milliards d'euros en 2026.
Même si cette situation peut sembler confortable, cela signifie que le calibrage des recettes de la branche AT-MP reste structurellement déconnecté de ses besoins de financement : le ratio d'adéquation des recettes aux dépenses pour la branche dépasserait 120 % en 2026 en l'absence de mesure nouvelle.
Des mesures de rééquilibrage doivent donc être envisagées, qui peuvent passer par la création de nouvelles dépenses, notamment en matière de prévention, et par la poursuite de l'ajustement à la baisse des cotisations. Il me semble important de réaffirmer que les excédents de la branche ne devraient pas être utilisés pour d'autres finalités que la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Les perspectives d'évolution du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (FNPATMP) sont en cours de discussion dans le cadre de la négociation de la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG) pour la période 2023-2027. Les programmes nationaux prioritaires concernant les troubles musculo-squelettiques (« TMS-Pros »), les risques de chute et les risques chimiques pourraient être accompagnés d'une approche sectorielle multirisque dans les secteurs à la sinistralité particulièrement élevée comme le médico-social.
Malgré ces marges financières, le PLFSS contient cette année peu de mesures affectant significativement les dépenses de la branche AT-MP.
L'article 40 améliore la couverture AT-MP des non-salariés agricoles pluriactifs en leur permettant de percevoir des indemnités journalières maladie au titre de l'activité non salariée qu'ils ne peuvent pas exercer lorsqu'ils sont victimes d'un accident ou d'une maladie professionnelle dans le cadre d'une activité salariée, en sus des indemnités journalières AT-MP dont ils bénéficient à ce titre. Cette mesure est bienvenue, même si l'on peut regretter qu'elle n'ait pas été prévue dès la LFSS pour 2021, qui a permis réciproquement à ces actifs de prétendre au versement d'IJ maladie au titre de leur activité salariée lorsqu'ils sont victimes d'un accident ou d'une maladie professionnelle dans le cadre de leur activité non salariée agricole. Son impact financier pour la branche maladie est estimé à 1,3 million d'euros par an.
En outre, cet article permet aux non-salariés agricoles autres que le chef d'exploitation ou d'entreprise, c'est-à-dire aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, de bénéficier d'une rente AT-MP en cas d'incapacité permanente partielle. Actuellement, ces travailleurs ne peuvent bénéficier d'une telle rente qu'en cas d'incapacité permanente totale, alors que les chefs d'exploitation y ont droit à partir de 30 % d'incapacité partielle. Compte tenu de leur niveau de cotisation plus faible, le montant de leur rente serait deux fois moins élevé. Une équité de traitement serait ainsi rétablie entre ces catégories de travailleurs non salariés.
Par ailleurs, deux articles additionnels ont été retenus par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité. Ils procèdent à des ajustements, à l'impact financier quasi nul, du dispositif d'indemnisation des enfants victimes des pesticides du fait d'une exposition prénatale par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. L'article 40 bis permet ainsi aux ayants droit de ces enfants, notamment leurs parents, d'être également indemnisés, ce qui, en réalité, est déjà prévu par un arrêté. L'article 40 ter supprime, quant à lui, la déductibilité de certaines prestations, perçues au titre du même préjudice, du montant de l'indemnisation : le mécanisme actuel, au demeurant complexe, ne se justifie pas dans la mesure où il ne s'agit pas d'une réparation intégrale, mais d'une indemnisation forfaitaire.
Cette indemnisation au titre de la solidarité nationale des enfants exposés in utero reste marginale dans l'activité du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, créé en 2020 : sur 7 demandes déposées à ce jour, 4 étaient incomplètes, une a fait l'objet d'un refus et 2 dossiers seulement ont connu une suite favorable, dont l'un concerne une personne majeure. Quant au nombre de demandes de victimes directes ou de leurs ayants droit ayant abouti, il s'élève à 166 en 2020 et 242 en 2021. Les dépenses du Fonds se sont ainsi élevées à près de 580 000 euros en 2020 et 2,3 millions d'euros en 2021.
De manière classique, l'article 48 fixe les montants des transferts et versements de la branche AT-MP aux fonds amiante et vers d'autres branches.
Je ne vous surprendrai pas en rappelant que la branche maladie du régime général bénéficie, chaque année depuis 1997, d'un versement de la branche AT-MP visant à compenser le coût de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le montant de ce versement serait fixé à 1,2 milliard d'euros pour 2023, alors qu'il était de 1,1 milliard d'euros en 2022 et de 1 milliard d'euros les sept années précédentes. Cette augmentation en deux temps, annoncée l'an dernier par le Gouvernement, vise à approcher le bas de la fourchette établie entre 1,23 et 2,11 milliards d'euros dans le dernier rapport de la commission chargée d'évaluer, tous les trois ans, le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des AT-MP.
La sous-déclaration est un phénomène étayé par des statistiques et contre lequel il importe de lutter, puisqu'elle empêche les personnes concernées de bénéficier de la couverture à laquelle elles pourraient prétendre. Elle concerne principalement les maladies professionnelles, dont la déclaration nécessite une démarche de la victime. Toutefois, la sous-déclaration résulte de décisions et de comportements qui, pour la plupart, échappent à la branche AT-MP et aux employeurs qui la financent. Par exemple, le renforcement de l'enseignement relatif aux AT-MP au cours de la formation initiale des étudiants en médecine, qui figure parmi les recommandations de la « commission sous-déclaration », relève du ministère de la santé ainsi que des universités.
Il est donc contestable d'imputer à la branche AT-MP l'intégralité des conséquences financières de ce phénomène, même si sa situation financière est enviable. Alors que le nombre de maladies professionnelles a diminué de plus de 10 % entre 2012 et 2021 et que des progrès ont été accomplis en matière de sensibilisation, d'information apportée aux victimes et de simplification des procédures, l'augmentation de ce versement nourrit le sentiment que la branche subit une ponction dans des conditions peu transparentes et que cette opération ne vise qu'à contribuer à combler le déficit de la branche maladie.
Si l'on considère la sous-déclaration des AT-MP comme un problème d'accès aux droits, on peut s'interroger sur le principe même de ce transfert. Imagine-t-on qu'une autre caisse soit tenue de payer le coût supposé du non-recours aux prestations qu'elle est chargée de verser ?
Il convient également de relever que le phénomène inverse de « sur-reconnaissance », lié au fait que des pathologies reconnues comme professionnelles peuvent tirer leur origine de facteurs extra-professionnels, ne fait l'objet d'aucune évaluation.
Je vous propose donc, comme l'an passé, de réduire le montant de ce versement à 1 milliard d'euros, ce qui me semble représenter un maximum. Les 200 millions d'euros ainsi conservés par la branche pourraient utilement être fléchés vers la prévention et l'accompagnement.
Par ailleurs, la dotation d'équilibre versée au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) passerait en 2023 de 327 à 337 millions d'euros : malgré la décrue du nombre de bénéficiaires de l'allocation pour cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata), les charges du fonds ont en effet diminué moins rapidement que prévu en 2022 en raison des revalorisations de la prestation en réponse à l'inflation.
Quant à la dotation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), elle est maintenue à 220 millions d'euros pour 2023. Malgré la baisse tendancielle du nombre de travailleurs ayant été exposés à l'amiante au cours de leur carrière, les dépenses du fonds restent relativement stables. La demande est aujourd'hui principalement portée par les ayants droit des victimes de l'amiante, qui représentent plus de 80 % des demandes d'indemnisation.
Enfin, un transfert de 128,4 millions d'euros à la branche vieillesse du régime général, en augmentation de 4 %, est prévu au titre du financement des dispositifs de retraite anticipée visant à prendre en compte la pénibilité, dont 60,3 millions d'euros au titre du compte professionnel de prévention (C2P).
Sous les réserves que j'ai évoquées, je vous invite à vous prononcer en faveur de l'objectif de dépenses de la branche, fixé à 14,8 milliards d'euros pour 2023.