Intervention de René-Paul Savary

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 novembre 2022 à 8h35
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Examen du rapport

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse :

Il me revient de vous présenter dans les grandes lignes la situation et les perspectives de la branche vieillesse, c'est-à-dire de l'ensemble constitué par les régimes obligatoires de base et par le Fonds de solidarité vieillesse.

En 2022, le déficit de la branche devrait être ramené à - 1,7 milliard d'euros, contre - 2,6 milliards en 2021 et - 7,4 milliards en 2020. Ce redressement est lié au surcroît de cotisations sociales généré par la croissance du PIB et de la masse salariale du secteur privé dans le cadre de la reprise économique que nous connaissons depuis la fin de la crise sanitaire.

Les régimes de base ont vu leur déficit se creuser, passant de - 1,1 milliard à - 3 milliards d'euros entre 2021 et 2022 du fait de la progression de leurs charges suscitée par le vieillissement démographique et la forte revalorisation des pensions intervenue en 2022, à + 3,1 % en moyenne annuelle.

À l'inverse, le FSV, déficitaire à hauteur de - 1,5 milliard en 2021, est redevenu excédentaire en 2022 et améliore par conséquent le solde de la branche de 1,3 milliard d'euros. En effet, la progression des recettes du Fonds, exclusivement constituées de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital et sur les revenus de remplacement, a été portée par la reprise économique et par les mesures de revalorisation des pensions.

À partir de 2023, le ralentissement de la croissance et les revalorisations importantes liées au niveau de l'inflation entraîneraient une augmentation des charges des régimes de base plus dynamique que celle de leurs recettes, aboutissant à un déficit de - 3,5 milliards d'euros. Le FSV, lui, dégagerait un excédent de 800 millions d'euros, permettant de limiter le déficit global de la branche à - 2,7 milliards d'euros.

Au cours des années suivantes, la situation financière de la branche se dégraderait sensiblement et rapidement.

En raison, notamment, de la poursuite du vieillissement démographique et du ralentissement de la croissance de la masse salariale du secteur privé, le déficit des régimes de base atteindrait - 15,9 milliards d'euros dès 2026, tandis que la LFSS pour 2022 tablait plutôt sur - 8,5 milliards d'euros en 2025. Dans le détail, le déficit du régime général s'établirait alors à - 12,1 milliards d'euros et celui du régime de la fonction publique territoriale et hospitalière à - 6,4 milliards d'euros. Dans le même temps, le régime des exploitants agricoles dégagerait un excédent de 800 millions d'euros, tandis que celui des industries électriques et gazières serait excédentaire de 700 millions d'euros.

L'excédent du FSV, pour sa part, continuerait de croître chaque année sous l'effet de la dynamique de ses recettes, pour atteindre 2,3 milliards d'euros à l'horizon de 2026, contre une prévision de déficit de - 300 millions d'euros d'ici à 2025 en LFSS pour 2022.

Au global, la branche vieillesse serait déficitaire à hauteur de - 13,6 milliards d'euros en 2026, un niveau d'autant plus alarmant que les projections du Gouvernement intègrent les effets d'une réforme des retraites dont les paramètres exacts ne m'ont pas été communiqués malgré mes demandes, mais qui améliorerait le solde de la branche de 8 milliards d'euros d'ici à 2027. Il est tout de même fort désagréable de ne pas obtenir de réponse aux questions que l'on pose de manière officielle...

Je rappelle, par ailleurs, que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) porte une dette imputable à la branche vieillesse estimée à 43 milliards d'euros à la fin 2021.

Or, comme l'an dernier, ce PLFSS contient très peu de mesures relatives à la branche vieillesse.

L'article 7 sexies tend d'abord à exonérer de toute cotisation de retraite en 2023 les médecins retraités reprenant une activité de médecine libérale, remplissant les conditions du cumul intégral d'une pension avec des revenus d'activité et justifiant de revenus d'activité inférieurs à un montant fixé par décret. D'après la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), cette mesure représenterait un manque à gagner de près de 200 millions d'euros pour les trois régimes concernés.

Dans la lignée de la loi Pouvoir d'achat d'août 2022, l'article 40 quater permet aux retraités élus au sein des organismes de Mutualité sociale agricole (MSA) et des chambres d'agriculture et constituant des droits à pension supplémentaires en contrepartie des cotisations versées d'accéder aux différents minima de pension et majorations de réversion.

L'article 49 bis vise par ailleurs à dispenser les professionnels de santé reprenant une activité en cette qualité en zone de désertification médicale du délai de carence de six mois préalable à la reprise d'une activité chez le dernier employeur avant la liquidation de la pension ainsi que du plafonnement des revenus d'activité pour ceux qui ne rempliraient pas les conditions du cumul emploi-retraite intégral.

Enfin, les articles 7 sexies et 49 ter autorisent respectivement la désaffiliation volontaire des pédicures-podologues du régime des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés et la réaffiliation à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav) des psychomotriciens.

Par ailleurs, certains des articles relatifs à la lutte contre la fraude sociale ont une incidence financière sur la branche vieillesse.

Il s'agit d'abord de l'article 6, qui prévoit diverses mesures de modernisation des contrôles, du recouvrement social et du droit des cotisants, en particulier la mise en oeuvre de sanctions proportionnelles à la gravité des faits à l'encontre du donneur d'ordre ayant manqué à son devoir de vigilance en cas de travail dissimulé ainsi que l'affiliation au régime agricole des salariés d'une entreprise de travail temporaire étrangère en cas de fraude au détachement. Ces dispositions généreraient 200 000 euros de recettes supplémentaires chaque année pour la branche.

L'article 41, enfin, porte plusieurs mesures de lutte contre la fraude, dont l'octroi de pouvoirs de cyberenquête sous pseudonyme aux agents de contrôle des organismes de protection sociale et de l'inspection du travail et l'ouverture aux greffiers des tribunaux de commerce de la possibilité de transmettre des renseignements ou documents recueillis dans l'exercice de leurs missions et faisant présumer une fraude sociale. Il en résulterait 14,3 millions d'euros de recettes supplémentaires chaque année.

En tout état de cause, ces sommes paraissent infimes au regard des déficits prévisionnels de la branche vieillesse. Il est donc de ma responsabilité de vous soumettre un amendement permettant de garantir le versement des pensions de retraite à terme sans augmentation du niveau des cotisations ni diminution de celui des pensions.

Attaché au paritarisme et soucieux d'aboutir au compromis le plus large possible sur un enjeu de société aussi majeur, je vous propose d'instituer une convention nationale pour l'emploi des seniors et la sauvegarde du système de retraites, rassemblant des représentants des partenaires sociaux, de l'État et des associations familiales de retraités, ainsi que des personnalités choisies en raison de leur expérience ou de leurs compétences. Cette instance sera chargée de proposer au Gouvernement des mesures tendant à favoriser le maintien des seniors dans l'emploi ; garantir la prise en compte de la pénibilité du travail, du handicap et des carrières longues dans la définition des conditions d'ouverture et de calcul des droits à pension et d'accès aux minima de pension, ainsi que pour l'aménagement du temps de travail ; harmoniser les règles d'attribution des pensions de réversion et des majorations de pension pour enfants entre les régimes obligatoires de base ; assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; et ramener la branche vieillesse à l'équilibre à l'horizon de 2033.

Comme vous pouvez le constater, l'emploi des seniors constitue, à mes yeux, une priorité absolue dans un pays où le taux d'emploi des 60-64 ans ne s'élevait qu'à 33,1 % en 2020, contre 45,3 % dans l'Union européenne. En effet, un tiers des personnes nées en 1950 n'étaient pas en emploi au cours de l'année ayant précédé la liquidation de leur pension. Dès lors, sans augmentation du taux d'emploi des seniors, un report de l'âge légal provoquerait, pour ces personnes, un allongement de la durée de chômage, d'invalidité ou d'inactivité, atténuant considérablement les effets de la réforme sur les finances sociales.

Dans le cas où la convention nationale parviendrait à s'accorder sur de telles mesures, celles-ci devraient être débattues devant le Parlement et adoptées dans le cadre d'un projet de loi.

Dans le cas contraire, et afin d'éviter aux générations futures d'avoir à travailler après 65 ans, plusieurs mesures paramétriques entreraient en vigueur le 1er janvier 2024.

Tout d'abord, l'âge d'annulation de la décote serait maintenu à 67 ans, et cet âge, fixé pour l'heure par une disposition réglementaire, serait inscrit dans la loi.

Ensuite, l'application de la « réforme Touraine » de 2014 serait accélérée. Ainsi, la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une pension à taux plein serait fixée à 43 annuités dès la génération 1967 au lieu de la génération 1973. Cette mesure permettrait de générer 2,9 milliards d'euros de recettes supplémentaires à l'échelle du système de retraites d'ici à 2030.

L'âge légal de départ en retraite serait quant à lui progressivement reporté pour atteindre 64 ans à compter de la génération 1967. Il en résulterait une amélioration du solde du système de retraites de l'ordre de 13,6 milliards d'euros en 2030.

Enfin, les régimes spéciaux devraient converger vers ces paramètres à l'horizon de 2023, selon des modalités et un calendrier déterminés par le pouvoir réglementaire.

Le dispositif qui vous est ainsi proposé me paraît de nature à concilier l'impératif de retour à l'équilibre de la branche vieillesse, condition sine qua non du versement des pensions sur le long terme, l'exigence de démocratie et de dialogue social et la nécessité d'une redéfinition de la place des seniors dans notre société.

De telles mesures ne sont jamais faciles à prendre, mais retarder l'inéluctable ne ferait qu'aggraver la situation et mettre en péril le financement des retraites. Il est de notre devoir d'agir, et d'agir maintenant. Il y va de notre avenir et de celui de nos enfants.

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