Intervention de Olivier Henno

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 novembre 2022 à 8h35
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Examen du rapport

Photo de Olivier HennoOlivier Henno, rapporteur pour la branche famille :

Je reprends à mon compte les propos de Mme Doineau et de la rapporteure sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Qu'on le veuille ou non, les excédents récurrents de la branche famille révèlent un manque d'ambition.

Après un exercice 2020 déficitaire en raison de l'épidémie, la branche famille a renoué, en 2021, avec un excédent de 2,9 milliards d'euros. En 2022, le solde de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) resterait nettement excédentaire, à 2,6 milliards d'euros.

Les recettes de la branche devraient s'élever à 53,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 3,4 % par rapport à 2021. Cette progression serait portée par l'ajustement des salaires à l'inflation et le maintien de l'emploi à un niveau élevé. Les produits des cotisations sociales croîtraient de 7,7 %. Les dépenses atteindraient 50,9 milliards d'euros, soit une hausse de 4 % par rapport à 2021. Cette dynamique serait en partie due aux progressions du montant des prestations légales, en raison notamment de la revalorisation exceptionnelle de 4 % à compter du 1er juillet 2022.

Pour l'exercice 2023, l'objectif de dépenses de la branche famille est fixé à 55,3 milliards d'euros. Les recettes sont estimées à 56,6 milliards d'euros ; le solde s'établirait donc à 1,3 milliard d'euros. L'année prochaine serait ainsi marquée par une réduction de moitié de l'excédent en comparaison avec 2022.

Cet amoindrissement de l'excédent ne s'explique pas uniquement - c'est le moins que l'on puisse dire - par des dépenses nouvelles en faveur de la politique familiale. Comme la rapporteure générale vous l'a présenté, il s'agit surtout de la conséquence du transfert à la Cnaf de la charge des indemnités journalières du congé postnatal de maternité. Cette mesure grève les dépenses de la branche de 2 milliards d'euros sans que les parents y trouvent un supplément de prestations familiales. La décision bienvenue du Gouvernement de revaloriser par décret de 50 % l'allocation de soutien familial en faveur des parents isolés est également intégrée à cette estimation, pour un coût de 850 millions d'euros.

À plus long terme, la trajectoire financière de la branche famille serait fortement affectée par le transfert. Selon les prévisions, un excédent se maintiendrait au moins jusqu'en 2026, en s'amenuisant toutefois à compter de 2025 en raison de l'entrée en vigueur de la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG) prévue par ce PLFSS, atteignant environ 500 millions d'euros.

Les marges de manoeuvre de la Cnaf se trouvent ainsi réduites artificiellement par une mesure d'affichage. Je souscris donc pleinement à la proposition de notre rapporteure générale de supprimer ce transfert.

S'agissant de la politique familiale, la quatrième partie du PLFSS pour 2023 se garde bien de toute ferveur réformatrice, mais il faut tout de même saluer l'évolution du CMG « emploi direct » prévue à l'article 36. Il est versé aux parents ayant recours à une assistante maternelle ou à une personne salariée pour la garde à domicile de l'enfant de moins de six ans, prenant en charge les cotisations sociales, mais aussi une partie du salaire versé.

Dans sa version actuelle, le barème du CMG, qui détermine les montants maximaux en fonction du revenu des familles, provoque des effets de seuils importants et surtout solvabilise les familles de manière imparfaite. Dans un rapport de 2021, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) montre que les restes à charge élevés pour les familles aux revenus modestes rendent un mode de garde individuel quasiment impossible pour elles. Ce biais conduit la Cour des comptes à parler de « spécialisation sociale entre les modes de garde ». En outre, le CMG étant un forfait mensuel plafonné, les familles dont les besoins en volume horaire sont importants atteignent le montant maximal et font face, elles aussi, à des restes à charge élevés.

L'article 36 tend à remédier à ces difficultés en adaptant le montant du CMG aux ressources des familles et au nombre d'enfants à charge ainsi qu'au nombre d'heures de garde. Cela rapprocherait le reste à charge des familles recourant à une assistante maternelle ou à une garde à domicile de la participation demandée pour un accueil en crèche collective financé par la prestation de service unique (PSU) de la Cnaf. L'objectif est donc un taux d'effort des familles plus juste.

Je vous proposerai de soutenir cette évolution du barème du CMG, qui correspond aux attentes des familles, mais qui suscite plusieurs remarques et quelques regrets.

Tout d'abord, il est dommage que l'entrée en vigueur du nouveau mode de calcul soit aussi tardive. L'application prévue à compter du 1er juillet 2025 résulterait des difficultés techniques rencontrées par l'Urssaf Caisse nationale, chargée de verser la prestation via la plateforme Pajemploi. Elle doit combiner le versement du CMG et l'avance immédiate aux familles des différents crédits d'impôt.

Ensuite, l'étude d'impact prévoit des familles perdantes : 43 % des bénéficiaires actuels subiraient une perte moyenne de 32 euros. L'article prévoit donc une compensation transitoire pour les bénéficiaires du CMG défavorisés par la réforme, placée cependant sous conditions de ressources et de recours minimal au mode de garde. La réforme se fera donc bel et bien au détriment de certaines familles pourtant déjà engagées dans un mode de garde.

L'article 36 permet également aux familles monoparentales de recevoir le CMG emploi direct jusqu'aux douze ans de leur enfant contre six ans pour le droit commun. C'est une mesure bienvenue, mais l'on peut regretter que cette extension ne soit pas prévue dans d'autres situations de fragilité : je pense aux familles les plus modestes et aux parents bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou encore de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).

L'article 36 prévoit encore une base légale pour permettre le partage du CMG en cas de garde alternée de l'enfant. On ne peut que souscrire à cette mesure de bon sens tout en s'inquiétant des délais dans lesquels le Gouvernement prendra les textes d'application. Ainsi, une disposition similaire de 2019 pour les aides au logement ne trouve toujours pas d'application.

Enfin, l'Assemblée nationale a eu le temps de voter une suppression du nombre plancher d'heures de garde pour bénéficier du CMG structure auquel les familles ont droit lorsqu'elles recourent à une micro-crèche Paje (prestation d'accueil du jeune enfant) ou à une association. Cette mesure est bénéfique pour les parents ayant un besoin ponctuel de garde de leur enfant. Par ailleurs, un amendement aura pour objet d'actualiser plus régulièrement le plafond s'appliquant aux tarifs horaires que les micro-crèches peuvent facturer aux familles sans que celles-ci ne perdent le bénéfice du CMG structure. Malgré la conjoncture économique et les mutations du secteur de la petite enfance, ce plafond qui résulte de la LFSS pour 2014 n'a pas été modifié depuis 2016.

Je vous proposerai enfin une mesure complémentaire à l'article 36. Les assistantes maternelles font état d'une vague d'impayés de la part des ménages qui les emploient, ce qu'a confirmé Nicolas Grivel, directeur de la Cnaf. Un amendement prévoit la suspension sans délai du versement du CMG aux familles notamment lorsque l'assistante maternelle le signale. Je reste conscient que cette situation trouvera surtout une réponse dans les dispositions prises par le Gouvernement et la Cnaf pour aider les assistantes maternelles à obtenir gain de cause, voire à recevoir directement le CMG en compensation transitoire des rémunérations non versées.

Les articles 36 bis et 36 ter étendent aux fonctionnaires le renouvellement possible des allocations journalières du proche aidant et de présence parentale. Ces mesures ont déjà été votées en LFSS pour 2022, mais, pour des raisons légistiques, risquent de ne pas s'appliquer comme prévu. Il s'agit donc de les inscrire dans le nouveau code général de la fonction publique pour que leur entrée en vigueur soit effective. Je vous propose de les approuver.

L'article 36 quater prévoit en outre le changement du régime d'accord explicite du service de contrôle médical sur une demande de renouvellement du congé du proche aidant. Ainsi, le silence du service pendant deux mois vaudrait acceptation de la demande. L'incidence de cet article sur les comptes de la sécurité sociale étant manifestement nulle, il apparaît donc irrecevable au regard de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (Lolfss) et je vous proposerai de le supprimer.

L'article 37 rend obligatoire le versement par l'employeur au salarié d'une somme au moins égale aux indemnités journalières pour congé maternité, d'adoption ou de paternité. L'employeur serait ainsi subrogé dans les droits des assurés de percevoir les indemnités. L'étude d'impact présente cet article comme un moyen de garantir une continuité de salaire. Cependant, une telle obligation légale me semble disproportionnée en ce qu'elle fait peser des coûts de trésorerie sur les employeurs, y compris pour des entreprises de petite taille, en lieu et place des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Je vous proposerai donc sa suppression.

Les articles 38 et 39 concernent respectivement Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s'agit d'étendre à ces territoires le bénéfice de certaines prestations familiales, mais aussi d'autres mesures de protection sociale. À Mayotte, la complémentaire santé solidaire serait ainsi rendue applicable à compter de 2024.

Saint-Pierre-et-Miquelon présente un régime de sécurité sociale excessivement isolé de celui de l'Hexagone et des autres territoires d'outre-mer. L'article 39 prévoit donc l'application à l'archipel de nombreuses dispositions régissant notamment la branche autonomie récemment créée, les droits au complément familial majoré, à l'allocation journalière du proche aidant (Ajpa) et l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) ou encore le critère de résidence stable et régulière permettant l'application de la protection universelle maladie (PUMa). Je vous propose donc d'adopter ces deux articles, qui rapprochent les systèmes de protection sociale de ces collectivités d'outre-mer de celui de l'Hexagone.

Enfin, je vous propose de prendre acte de l'objectif de dépenses de la branche famille et donc d'adopter l'article 51. Toutefois, il conviendra au Gouvernement de tirer les conséquences de la suppression de la charge du congé maternité transférée à la branche famille si elle était adoptée. L'objectif de dépense serait alors réduit à 53,3 milliards d'euros, pour un excédent de 3,3 milliards d'euros.

Rebâtir une politique familiale adaptée aux besoins de la société demande de nombreuses mesures absentes de ce PLFSS : je pense à la réforme de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) sur laquelle les rapports s'accumulent, ou à la fin de la modulation des allocations familiales selon le revenu, mesure votée par le Sénat en février dernier.

Le ministre nous a présenté la réforme du CMG comme la première pierre du service public de la petite enfance. À ce rythme, le chantier risque d'être long... Avec la négociation de la prochaine convention d'objectifs et de gestion entre l'État et la Cnaf, le Gouvernement aura l'opportunité de relancer la création de places de crèches pour peu qu'il s'attaque en parallèle au déficit de recrutement des professionnels de la petite enfance.

Toutes ces avancées ne se feront pas sans coût financier. C'est pourquoi il faut préserver les marges de manoeuvre budgétaires de la Cnaf pour les mesures relevant véritablement de la politique familiale.

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