Intervention de Philippe Mouiller

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 novembre 2022 à 8h35
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Examen du rapport

Photo de Philippe MouillerPhilippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie :

La branche autonomie achève en cette fin d'année son deuxième exercice. Comme l'année dernière, son jeune âge n'appelle toutefois aucune bienveillance.

Comme l'année dernière, ce budget suscite d'abord notre déception, car nous n'avons pas été saisis d'un projet de loi consacré à l'autonomie, que l'on nous promet depuis le lancement de la concertation grand âge et autonomie, il y a trois ans ! Il a été repoussé, au mieux, à la fin des travaux du Conseil national de la refondation dédié au « bien vieillir » que le ministre a lancé le 11 octobre dernier.

Comme l'année dernière, à cette frustration succède la déception, qui tient moins à un manque d'effort financier qu'à un manque de projection pluriannuelle indispensable pour relever les défis de cette branche. Nous savons pourtant que l'évolution démographique des années à venir nécessitera des ressources supplémentaires pour financer des dépenses croissantes et que les besoins de recrutement sont criants. Ces dépenses supplémentaires devront pallier les manques actuels, que le Premier président de la Cour des comptes a soulignés devant notre commission en février et en octobre, et satisfaire les nouveaux besoins des années à venir.

Au premier abord, ce PLFSS pour 2023 se présente pourtant de façon positive pour la branche autonomie. Ainsi, l'objectif de dépense pour 2023 s'élève à 37,3 milliards d'euros, en augmentation de 5,3 % par rapport à l'année précédente. Les dépenses prévisionnelles au titre du financement des établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS) atteindraient 30 milliards d'euros, en hausse de 6 %.

Mais, comme l'année dernière, ces hausses résultent principalement des revalorisations salariales mises en oeuvre dans le cadre du Ségur de la santé et leur extension à d'autres personnels non médicaux des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Je ne peux que regretter que ces efforts budgétaires supplémentaires ne permettent toujours pas de traiter le cas de tous les oubliés du Ségur, pourtant indispensables au fonctionnement du secteur.

Outre les revalorisations salariales, le PLFSS pour 2023 prévoit plusieurs mesures pour renforcer les moyens des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et améliorer la prise en charge, notamment l'actualisation des coupes Pathos et le déploiement de centres de ressources territoriaux. Il comporte également des dispositions en faveur des personnes en situation de handicap : 110 millions d'euros de crédits pour la création de nouvelles places et près de 70 millions d'euros destinés à développer l'offre pour le public atteint de troubles du spectre de l'autisme, comme l'a indiqué, lors de son audition devant la commission des affaires sociales, le 11 octobre dernier, Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées.

De cette brève présentation, nous pouvons retenir deux éléments positifs : des moyens budgétaires en augmentation et, surtout, plusieurs mesures visant à développer et renforcer le virage domiciliaire.

Les acteurs du secteur nous ont fait part de leurs inquiétudes sur deux points. Le premier est celui des recrutements. Un consensus existe sur la nécessité de renforcer l'encadrement pour améliorer la qualité de la prise en charge des résidents ce qui suppose, au-delà des moyens budgétaires, une réflexion sur les manières d'accroître l'attractivité du secteur. Dans ce contexte et alors que la Cour des comptes a estimé - fait rare - qu'il était nécessaire d'engager des moyens financiers supplémentaires, le Gouvernement a annoncé un plan d'embauche de 50 000 personnes en cinq ans. Toutefois, le démarrage est poussif : l'objectif fixé pour 2023 est de 3 000 recrutements. Ce choix soulève des interrogations légitimes sur les étapes à franchir pour atteindre l'objectif fixé à 5 ans. Cette première étape est justifiée par la nécessité de fixer un objectif crédible à un secteur qui rencontre des difficultés pour recruter.

Cependant, cela cristallise la situation. Le recrutement de ces 3 000 personnes supplémentaires ne provoquera ni une mobilisation générale en faveur de la résolution des problèmes rencontrés par le secteur ni une modification des dispositifs de formation professionnelle en direction de ce secteur. Or, le président de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) nous a rappelé la semaine dernière que le rapport El Khomry estimait à 93 000 les besoins de postes supplémentaires pour les années 2020-2024 et considérait comme nécessaire de former 260 000 professionnels sur la même période afin de pourvoir les postes vacants. La mobilisation des filières de formation est donc indispensable afin de relever le défi des besoins à venir en termes de personnel.

Le second point qui doit retenir notre attention est un bouclier tarifaire permettant au secteur de faire face à l'évolution des prix, et notamment des prix de l'énergie. Ainsi, une enveloppe de 100 millions d'euros doit compenser les effets de l'inflation dans le domaine des soins. Les organisations représentatives des établissements ont toutefois fait part de leur inquiétude sur l'absence de mesures identifiées face à l'évolution des dépenses d'énergie. Il conviendrait que leur périmètre et leur portée soient connus rapidement afin de rassurer les acteurs.

J'en arrive au texte. Ce PLFSS tire les conséquences de l'affaire Orpea en sécurisant notre politique de contrôle. L'article 32 renforce ainsi, dans le prolongement des recommandations émises par nos collègues Michelle Meunier et Bernard Bonne, le contrôle des groupes privés multigestionnaires d'établissements et le pouvoir de contrôle de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Nos collègues de l'Assemblée nationale ont complété le texte initial en permettant à la Cour des comptes d'intervenir et notamment de contrôler les dépenses d'hébergement. Enfin, les articles 32 bis et 32 ter majorent le montant des astreintes et des sanctions financières prononcées à l'encontre des Ehpad en cas de non-respect du code de l'action sociale et des familles.

L'article 33 est essentiellement technique : il sécurise la réforme du financement des services autonomie qui a commencé l'année dernière et rend obligatoire les transferts de données. Il permet à ces services de percevoir des financements complémentaires et détermine des mesures spécifiques de financement durant la période transitoire qui s'étend du 1er janvier 2023 au 1er janvier 2025.

L'article 34 consacre un temps dédié à l'accompagnement et au lien social en direction des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à domicile : cela résume l'expectative dans laquelle nous nous trouvons face à ce PLFSS pour 2023. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette disposition qui va améliorer la prise en charge des bénéficiaires de l'APA à domicile et réduire le fractionnement du travail des intervenants. Toutefois, elle suscite notre interrogation quant à la soutenabilité de son financement par les départements. Sous les effets conjugués du tarif plancher et de l'augmentation des besoins exprimés par les bénéficiaires, il est à craindre que le volume d'heures disponibles ne se réduise et que ces deux heures se substituent à des heures qui ne peuvent plus être prises en charge dans le plan d'aide initial.

L'article 35 simplifie les modalités de financement de l'habitat inclusif. Dans le prolongement des propositions du rapport Piveteau-Wolfrom, il prévoit la suppression progressive du forfait habitat inclusif au profit de l'aide à la vie partagée (AVP), c'est-à-dire d'une aide personnelle.

Ces mesures s'inscrivent dans la continuité de la réforme prévoyant la fusion des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) dans une entité unique baptisée « services autonomie à domicile » et de l'instauration d'un tarif national d'intervention, points nodaux du chapitre autonomie du PLFSS pour 2022. Cela vient appuyer cette prise en charge à domicile à laquelle aspirent nos concitoyens en perte d'autonomie.

L'examen par l'Assemblée nationale a été l'occasion de compléter le texte avec 19 articles d'un intérêt variable. Outre les 2 articles relatifs au contrôle des Ehpad, 11 demandent des rapports. Sans me prononcer sur l'intérêt des sujets évoqués, je vous en demanderai la suppression.

L'article 33 ter organise la revalorisation annuelle du tarif plancher, qui passera à 23 euros en 2023. L'article 35 bis crée un parcours de rééducation et de réévaluation des enfants en situation de polyhandicap ou de paralysie cérébrale et l'article 35 ter propose une expérimentation visant à assurer un meilleur accompagnement des aidants.

Enfin, l'article 33 bis simplifie la forfaitisation de l'APA, l'article 33 ter harmonise la rédaction de deux articles du code de l'action sociale et des familles et l'article 33 quinquies clarifie la place de l'emploi d'un salarié à domicile, en emploi direct ou par l'intermédiaire d'une structure mandataire.

Avec ce PLFSS, le Gouvernement nous propose de poursuivre le virage domiciliaire, ce à quoi nous ne pouvons que souscrire. Cette démarche n'épuise cependant pas les enjeux que doit relever la branche autonomie, avec un effort en faveur de la création de ressources nouvelles et un début de vision pluriannuelle. Cette absence de vision est aussi la conséquence d'une absence de données susceptibles de piloter ces politiques publiques.

Certains enjeux structurants sont connus : démographie, attractivité du secteur et qualité de l'accueil. D'autres sont moins documentés. C'est le sens de l'amendement que je vous présenterai, qui crée un observatoire des besoins.

De même les enjeux de financement demeurent prégnants, notamment la compensation des dépenses engagées par les conseils départementaux, et avec eux les questions de gouvernance du secteur. C'est pourquoi je vous proposerai d'institutionnaliser le dialogue entre les différents partenaires sous la forme d'une conférence annuelle des générations et de l'autonomie, alimentant le travail du Parlement - cela avait d'ailleurs déjà eu lieu l'année dernière. Puisse-t-elle jouer le rôle qu'a la conférence nationale du handicap pour faire progresser la prise en charge des plus fragiles.

Il est impératif de maintenir les questions d'autonomie à l'agenda politique, pour qu'enfin des décisions de financement soient prises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion