Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 2 novembre 2022 à 15h00
Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bruno Le Maire :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Gabriel Attal, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’exprime devant vous dans un contexte économique difficile, marqué par de fortes incertitudes : des incertitudes géopolitiques, liées à la guerre en Ukraine ; des incertitudes liées à la politique protectionniste de certains de nos partenaires, comme la Chine ou les États-Unis, ces derniers ayant adopté l’Inflation Reduction Act, qui pèse aujourd’hui sur nos industries et implantations industrielles ; des incertitudes liées à la forte volatilité des prix du gaz, qui, après avoir été multipliés par cinq ou dix, a baissé de près de 50 % en quelques semaines.

Mais ce qui touche le plus nos compatriotes, c’est l’inflation résultant de ces incertitudes. L’inflation a atteint des niveaux inédits depuis quarante ans dans l’Union européenne. Je voudrais que chacun d’entre nous prenne conscience de la réalité de l’inflation dans les autres pays européens : 22 % dans les pays baltes, 17 % aux Pays-Bas, 11 % en Allemagne.

De ce point de vue, la France résiste mieux que ses voisins, grâce au choix stratégique fait au mois d’octobre 2021 de mettre en place d’un bouclier énergétique sur le gaz et l’électricité. La France conserve ainsi le taux d’inflation le plus faible de la zone euro, à près de 6 %.

La France résiste aussi économiquement. Nous avons réalisé 0, 2 point de croissance au troisième trimestre 2022. L’investissement des entreprises a aussi progressé de 2, 3 %, contre 0, 8 % au deuxième trimestre. Il continue de progresser dans l’aéronautique, dans l’automobile et dans l’informatique.

Je ne sous-estime pas les difficultés économiques, mais je ne voudrais pas que nous cédions au pessimisme ou à l’autoflagellation. Notre économie dépend des circonstances internationales, mais elle est aussi affaire de détermination, de stabilité des choix de politique économique réalisés depuis près de six dernières années et de notre vision de long terme d’une économie compétitive, innovante et décarbonée.

Dans ces circonstances, nous avons une priorité : protéger nos compatriotes contre l’inflation et faire baisser celle-ci, pour la ramener, dans les meilleurs délais possible, à un niveau plus raisonnable.

Comment y parvenir ? D’abord, il convient de garantir – c’est une nécessité absolue – une bonne coordination de la politique monétaire et de la politique budgétaire.

À l’échelon national, nous ne pouvons pas avoir une politique monétaire restrictive et une politique budgétaire expansionniste. C’est pourquoi nous avons décidé, avec la Première ministre, de mettre en place des aides ciblées pour les entreprises contre l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité. Ces aides, à hauteur de 10 milliards d’euros, sont intégralement financées soit par les 3 milliards d’euros déjà prévus dans le plan de résilience, soit par les 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires du prélèvement sur les rentes inframarginales des entreprises énergéticiennes. Ces aides sont donc plafonnées, pour ne pas exposer le budget de l’État à la volatilité des prix du marché. C’est une décision non seulement protectrice, mais aussi responsable du point de vue des finances publiques, afin d’éviter une divergence entre politique monétaire et politique budgétaire.

Idem à l’échelon européen : nous devons coordonner nos politiques budgétaires pour garantir des niveaux de soutien comparables face à l’inflation. Regardez ce qui s’est passé en Grande-Bretagne ! Cela doit nous servir de leçon ! Tout n’est pas possible ! On peut toujours promettre à nos compatriotes de dépenser 7 %, 8 % ou 10 % de notre PNB pour lutter contre l’inflation, le résultat, c’est la sanction immédiate des marchés, l’envolée des taux d’intérêt et la nécessité de revenir en arrière.

Avec le Président de la République, nous préférons aller de l’avant, coordonner nos réponses de politique budgétaire. Je le rappelle, contrairement à ce que j’entends trop souvent dire, le niveau de soutien, en France, des citoyens et des entreprises est parfaitement comparable à celui des autres grands pays de la zone euro, de l’ordre de 4 % à 5 % du PIB sur la période 2021-2023. Cette coordination préserve la force de notre réponse et évite une fragmentation de la zone euro.

Ensuite – c’est la deuxième nécessité, qui n’est pas la plus simple à faire comprendre, mais qui est la plus courageuse et la plus responsable –, il faut éviter la spirale inflationniste qui avait été provoquée dans les années 1970 par une augmentation générale des salaires totalement découplée de la productivité du travail. C’est très bien de promettre l’indexation des salaires sur l’inflation ! Je le sais, nombre de nos compatriotes souhaiteraient aujourd’hui avoir des salaires plus élevés.

Le Président de la République a fermé la porte à une telle indexation générale. Je le crois profondément, c’est une décision courageuse et responsable. Elle nous évitera, demain, bien des déboires comme ceux que nous avons connus dans les années 1970.

En effet, l’indexation générale des salaires sur les prix, sans considération de la productivité du travail, conduit à une nouvelle réduction de la marge des entreprises. Cette perte serait ensuite répercutée sur les prix, qui augmenteraient. C’est une spirale sans fin : augmentation des salaires, puis augmentation des prix, puis nouvelle augmentation des salaires et nouvelle augmentation des prix. Nous refusons, en responsabilité, d’entrer dans une telle spirale inflationniste.

Nous serions perdants sur tous les tableaux. Nous aurions une inflation hors de contrôle, alors même que notre objectif stratégique est de revenir à des niveaux raisonnables d’inflation pour protéger les plus modestes et les entreprises les plus fragiles. Nous décrocherions en termes de compétitivité, au moment même où, grâce aux efforts constants que nous menons depuis plusieurs années, nous retrouvons notre compétitivité. Nous ruinerions tous les efforts de réindustrialisation, qui ont donné des résultats sur l’emploi, l’attractivité et l’investissement, depuis six ans.

Est-ce que cela signifie pour autant que nous devrions abandonner l’idée d’une meilleure rémunération du travail ? Certainement pas ! Mais faisons la différence entre les promesses démagogiques d’indexation générale des salaires sur les prix et le choix responsable, qui est celui de notre majorité, de garantir une meilleure rémunération du travail.

Cette dernière concerne d’abord les plus modestes, grâce à l’indexation existante du Smic, qui a augmenté de 8 % en un an. Les salariés les plus modestes sont donc protégés contre l’inflation.

Au-delà, je l’ai dit à de multiples reprises depuis plus de trois ans, avant même que l’inflation ne revienne, les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. D’ailleurs, à en juger par les chiffres, nombre d’entre elles le font depuis plusieurs mois. Il faut continuer à travailler sur un meilleur partage de la valeur entre capital et travail. Car c’est le vrai débat, le débat juste. Quand nous poussons à l’intéressement et à la participation, notamment grâce à la suppression de la taxe de 20 % sur l’intéressement, à la facilitation d’accords d’intéressement pour les plus petites entreprises, à la mise en place d’une prime défiscalisée jusqu’à 6 000 euros, ou à la facilitation de l’accès à l’actionnariat salarié, qui a fortement augmenté depuis cinq ans, nous garantissons un meilleur partage de la valeur entre le travail et le capital, au profit du travail. Tel est le fil rouge de la meilleure rémunération du travail. Tel est le vrai fil rouge de la justice sociale. Il s’agit non pas d’argent distribué gratuitement, mais d’argent résultant du travail, de la production et de la compétitivité retrouvée de nos entreprises.

C’est la raison pour laquelle nous devons avancer plus rapidement avec les partenaires sociaux sur notre proposition de dividende salarié, qui doit donner rapidement des résultats concrets. Une entreprise qui distribue des résultats à ses actionnaires doit aussi distribuer des salaires à ses employés. Tel est le sens du dividende salarié proposé par le Président de la République. Il s’agit d’une nouvelle illustration de notre volonté de mieux partager la rémunération du travail et du capital.

La troisième réponse pour lutter contre l’inflation, au-delà de la coordination de la politique monétaire et budgétaire et de la rémunération du travail grâce à un meilleur partage de la valeur, c’est l’investissement de long terme dans l’énergie. En effet, 60 % de l’inflation est importée, due à la flambée du prix des énergies fossiles, qui représentent encore, je le rappelle, les deux tiers de la consommation d’énergie dans notre pays. Si nous voulons réduire l’inflation, il faut renforcer notre indépendance, notamment énergétique.

En effet, ne nous y trompons pas ! L’inflation, en Europe, se traduit par un transfert massif de richesse des pays européens vers les pays producteurs d’énergie fossile. Nous n’avons pas vocation à financer les pays producteurs d’énergies fossiles. Nous avons vocation à investir dans le renouvelable et l’énergie nucléaire, comme l’a proposé et décidé le Président de la République.

Un budget, ce sont aussi des constantes, qui font la force d’une politique. Je m’apprête à les réaffirmer ici, même si je sais que nous aurons, dans les jours qui viennent, un vrai débat sur ces sujets.

La première de nos constantes, c’est le renforcement de l’appareil productif et, donc, la baisse des impôts. Je connais les doutes qui se sont manifestés dans cette assemblée – nous en avons discuté avec un certain nombre de présidents de groupe –, à l’égard d’une nouvelle baisse des impôts de production, notamment la suppression en deux temps de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), après une première baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production, qui nous a permis de revenir à près de 2 points d’écart avec l’Allemagne, alors que nous avions auparavant 3 points d’écart.

Certains ont exprimé des doutes. Je continue à être profondément convaincu de la nécessité d’une nouvelle baisse des impôts de production, de 4 milliards d’euros en 2023 et de 4 milliards d’euros en 2024.

À l’appui de cette conviction, je voudrais rappeler des faits simples. La situation de l’économie française depuis trente ans se caractérise – hélas ! – par le niveau d’impôts le plus élevé de tous les pays de la zone euro et le niveau d’industrialisation le plus faible de tous les pays de la zone euro. C’est ce contre quoi je continuerai de me battre. C’est ce contre quoi nous nous battrons inlassablement, avec toute la majorité. La France n’a pas vocation à avoir une industrie faible et des impôts élevés. Je préférerais qu’elle ait des impôts plus faibles et une industrie plus forte. C’est le sens de la baisse des impôts de production. C’est le sens de la baisse, en deux fois, de la CVAE. Cela doit nous permettre de poursuivre la réindustrialisation du pays. Car il n’y aura pas de réindustrialisation avec un écart d’imposition aussi important par rapport à nos grands partenaires européens.

Certains disent qu’il est trop tôt pour continuer la baisse des impôts de production. Mais, à mon avis, ce sont les mêmes qui diront demain que c’est trop tard ! Certains disent que c’est un cadeau fait aux entreprises. Mais ce sont les mêmes qui viennent pleurer dans mon bureau en regrettant que nos industries ne soient pas suffisamment compétitives. Certains disent qu’il faut protéger les collectivités locales. Mais ce sont les mêmes qui essayent d’attirer, à juste titre, sur leurs communes ou dans leurs départements des entreprises industrielles pourvoyeuses d’emploi, de richesses et de prospérité pour leur territoire.

Certains me disent que la bonne direction serait d’augmenter les impôts au nom de la justice fiscale. Je tiens à leur rappeler que, malgré les efforts menés avec constance depuis six ans, avec cette majorité et le Président de la République, malgré la baisse de 10 milliards d’euros sur les impôts de production, malgré la baisse des impôts sur les sociétés, qui ont été ramenés de 33, 3 % à 25 %, malgré la baisse des impôts sur le revenu, malgré la suppression de la taxe d’habitation, malgré la suppression de la redevance audiovisuelle, malgré une baisse générale des impôts de près de 50 milliards d’euros au cours des cinq dernières années, nous restons le pays dont le taux de prélèvement obligatoire est le plus élevé des pays européens, derrière le Danemark. C’est vous dire à quel point notre marge de manœuvre en matière de baisse d’impôts et de compétitivité fiscale est grande !

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis le premier défenseur de la justice fiscale. Mais je souhaite aller chercher l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire non pas dans la poche des Français, mais auprès des géants du numérique. Ces derniers doivent désormais payer une taxe sur les activités digitales, qui nous rapporte cette année 660 millions d’euros. La France a été la première à mettre en place une telle mesure.

Je pense également à la mise en place de la taxation minimale de l’impôt sur les sociétés, pour éviter toute optimisation fiscale. Si nous ne réussissons pas à adopter une telle mesure d’ici à la fin de l’année à l’échelon européen, nous l’instaurerons à l’échelon national au début de l’année 2023.

Aller chercher l’argent là où il se trouve, c’est aussi refuser les rentes des énergéticiens, avec la mise en place d’un prélèvement obligatoire qui nous rapportera l’année prochaine 26 milliards d’euros.

Je suis pour la justice fiscale, mais je ne suis pas pour qu’on augmente les impôts des Français. Je considère que ces deux aspects sont parfaitement compatibles.

La deuxième constante, c’est la maîtrise de la dépense publique, comme le rappellera tout à l’heure le ministre des comptes publics. Cette loi de programmation des finances publiques doit nous permettre de revenir sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Je compte sur la grande sagesse des sénatrices et sénateurs pour éviter les dérapages à 15 milliards d’euros de dépenses supplémentaires qui ont été proposés à l’Assemblée nationale.

De tels dérapages témoignent d’une indifférence totale soit à la bonne tenue des finances de la Nation, soit, ce que je ne peux croire, à la vie de nos compatriotes. En effet, je le rappelle, ces 15 milliards d’euros ont été gagés sur le bouclier électricité. Ainsi, si ces 15 milliards d’euros étaient financés par la suppression d’une partie du bouclier énergétique, cela signifierait une augmentation de 40 % du prix de l’électricité et une hausse de la facture de près de 600 euros par an, en moyenne, pour les ménages français. Ni l’indifférence à la bonne tenue des finances de la Nation ni l’indifférence à la vie de nos compatriotes ne sont acceptables et ne correspondent aux orientations de notre majorité.

La troisième constante de notre politique budgétaire, c’est notre engagement européen. De ce point de vue, je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que nous trouvions ensemble un accord sur la loi de programmation des finances publiques.

Selon moi, il est bon, pour la nation française, d’avoir de la visibilité sur les finances publiques à un horizon de cinq ans. Il est bon, pour nos partenaires européens, de savoir que les finances publiques de la France, deuxième économie de la zone euro, sont bien tenues. Il est bon de prendre des engagements, qu’il s’agisse de la réforme de la structure de l’assurance chômage ou des retraites. Il est rassurant pour nos compatriotes et nos entrepreneurs de savoir où nous allons, quand commencera la baisse de la dette publique, pour atteindre les 3 % de déficit public. La seule garantie législative que nous ayons pour donner une visibilité à nos compatriotes sur les finances publiques, c’est la loi de programmation des finances publiques.

Votre proposition consiste à aligner la baisse des dépenses publiques de l’État sur celle des collectivités locales, soit -0, 5 % en volume. C’est une proposition qui est juste.

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