Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, cher Bruno Le Maire, mesdames, messieurs les sénateurs, le 25 octobre dernier, ce projet de loi de programmation des finances publiques a été rejeté par l’Assemblée nationale.
Ce jour-là, j’ai pris acte du choix souverain des députés. Mais je n’ai pas pu m’empêcher d’exprimer une conviction que je veux partager avec vous aujourd’hui.
Nous pouvons avoir des désaccords, et il est d’ailleurs normal, sain, que les groupes politiques n’aient pas la même analyse de ce qu’il convient de faire pour les cinq prochaines années. Oui, nous pouvons avoir des désaccords sur l’évolution des dépenses ou sur la manière dont les collectivités territoriales contribuent à l’effort de maîtrise. Sur ce point, j’ai relevé qu’un certain nombre d’amendements avaient été adoptés en commission des finances.
Pour autant, il me semble que laisser notre pays sans cadre et sans trajectoire écornerait profondément sa crédibilité, notamment à l’égard de nos partenaires européens. Ce n’est ni une menace ni un épouvantail. C’est simplement le rappel d’un principe de réalité, et même d’un principe de bon sens. Qui peut croire que notre pays se porterait mieux parce que nous aurions décidé d’avancer sans balises ou sans points de repère ? Qui peut croire que le rejet du sérieux budgétaire est une réponse aux problèmes que nous devons résoudre ? Qui peut croire que notre pays serait plus fort ou plus libre parce qu’il aurait renoncé à la maîtrise de ses finances publiques, à plus forte raison dans le contexte que nous connaissons, marqué à la fois par la hausse des prix et par la hausse des taux !
La réalité, la responsabilité, le bon sens, votre assemblée en a de nouveau fait preuve, en adoptant jeudi dernier en commission des finances une loi de programmation des finances publiques, dont nous sommes saisis aujourd’hui. J’observe qu’une question préalable a été déposée par le groupe CRCE. Je formule le souhait qu’elle ne soit pas adoptée, dans la mesure où nous avons besoin de ce cadre pour les années à venir. C’est un enjeu de crédibilité pour notre pays.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce projet de loi de programmation est non pas un carcan, mais un cadre. Il s’agit de rappeler les objectifs que nous avons fixés et les engagements que nous avons pris devant les Français durant la campagne présidentielle.
Ces engagements sont clairs : ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB d’ici à la fin du quinquennat et stabiliser notre endettement public à partir de 2026.
Cette trajectoire est crédible, d’autant plus qu’elle est déjà engagée. Le déficit public était de 9 % en 2020. Nous l’avons ramené à 6, 5 % en 2021, et il devrait s’établir à 4, 9 % cette année, soit 0, 1 point de mieux que la prévision réalisée au mois de juillet dernier. J’aurai l’occasion d’y revenir demain, puisque je serai auditionné par la commission des finances sur le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022.
Cette trajectoire, qui est déjà engagée, ne peut pas être différée. En tant que ministre des comptes publics, j’ai le devoir de rappeler que l’effort de maîtrise de nos comptes ne peut pas être remis à plus tard.
Quand un pays comptabilise plus de 3 000 milliards d’euros de dette, plus tard, c’est trop tard. Quand les taux d’intérêt remontent, plus tard, c’est trop tard. Quand la charge de la dette augmente – elle sera de 51 milliards d’euros l’année prochaine –, plus tard, c’est trop tard.
Oui, nous devons poursuivre l’effort de maîtrise des dépenses publiques. Il s’agit non pas de mettre en œuvre un programme d’austérité, mais simplement d’éviter le dérapage et de fixer un cadre d’évolution de la dépense.
J’ai bien conscience que la majorité sénatoriale souhaite que nous allions plus loin s’agissant de la maîtrise des dépenses de l’État. À cet égard, des amendements ont été présentés et adoptés en commission des finances sur les articles 2, 3 et 4 pour que l’effort réalisé par les administrations centrales sur les dépenses soit aligné avec celui qui est proposé pour les collectivités territoriales, soit une baisse annuelle de 0, 5 % en volume.
Bruno Le Maire l’a dit à l’instant, nous sommes ouverts à ce qu’il y ait parité dans l’effort. Il était en effet prévu un effort de 0, 4 % pour l’État et de 0, 5 % pour les collectivités locales.
Vous avez adopté, mesdames, messieurs les sénateurs, un amendement visant à exclure une grande partie des dépenses de l’État prises en compte dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques. Il s’agit d’un agrégat excluant la charge de la dette, ainsi que toutes les mesures de soutien, notamment économiques et sanitaires.
Bien entendu, nous sommes ici pour discuter de la trajectoire. C’est même l’objet de ce débat ! Mais je veux simplement préciser que cela représenterait une baisse supplémentaire de dépenses de l’ordre de 37 milliards d’euros à l’horizon de 2027 par rapport à la trajectoire que nous avons présentée ; cela ramènerait le solde de fin de quinquennat de 2, 9 % à 1, 7 %. Nous aurons ce débat dans un instant, mais permettez-moi simplement de dire qu’un tel ajustement doit pouvoir être atteint de manière crédible. Il faudrait en effet trouver 37 milliards d’euros d’ici à 2027 et 25 milliards d’euros d’ici à 2025 !
L’article 12 prévoit l’évolution des dépenses pour les grandes missions budgétaires de l’État dans les trois années à venir. Par cohérence, si votre assemblée décidait un effort supplémentaire de 25 milliards d’euros à l’horizon 2025, cet article devrait être amendé, pour préciser où ces 25 milliards d’euros devraient être pris. Sur la défense ? Sur l’éducation nationale ? Sur la transition écologique ? Nous pouvons avoir ce débat. Il s’agit d’économies importantes. Toutefois, nous sommes ouverts à cette proposition, pour montrer que l’État est prêt à faire encore plus d’efforts.
Le Gouvernement a déposé des amendements visant à rétablir les articles 2, 3 et 4 dans leur version originelle. Nous estimons que la trajectoire figurant dans cette loi de programmation des finances publiques permet une maîtrise de la progression des dépenses, dans un cadre soutenable. Une politique d’austérité trop brutale qui sabrerait les services publics dans les prochaines années aurait des conséquences trop importantes sur la vie quotidienne des Français, rendrait difficiles la conduite de la Nation et, donc, l’activité économique.
Au cours de ce débat, nous ferons preuve d’ouverture s’agissant du rehaussement de cette trajectoire, qui n’a rien d’intangible ! Bruno Le Maire l’a dit, nous chercherons toujours à trouver un compromis lors des différentes étapes de l’examen de ce texte. Toutefois, nous ne pourrons pas adhérer à un objectif à nos yeux totalement inatteignable, sauf à faire des choix qui seraient dommageables pour nos services publics ou qui reviendraient à pratiquer une forme d’austérité.
Je le disais voilà une minute, nous proposons le sérieux : nous ne voulons ni de la gabegie ni de l’austérité.
J’en reviens donc à la première conviction que je veux partager avec vous aujourd’hui : ce projet de loi de programmation des finances publiques est un élément central de la crédibilité non seulement du Gouvernement, mais aussi de la France. Il s’agit de notre crédibilité à l’égard de nos partenaires européens, puisque nous traduisons dans ce texte les objectifs fixés dans le programme de stabilité que je vous ai présenté début août. Il s’agit aussi de notre crédibilité à l’égard des investisseurs et des agences de notation, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt en France comme chez nos voisins. En la matière, chacun doit le mesurer, nous avons changé d’époque : voilà encore seulement un an, nous empruntions à taux nul. Désormais, le taux d’intérêt sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans oscille entre 2, 5 % et 3 %.
La crédibilité de notre pays, sa capacité à honorer ses engagements, je sais que vous y êtes attachés autant que nous. Je n’emploierai donc jamais cet argument comme une parade, comme une manière d’esquiver le débat ou de laisser entendre qu’il faudrait accepter ce texte sans modification. Je le sais bien, nous avons des points de désaccord, notamment sur la manière dont les collectivités territoriales doivent contribuer à l’effort de maîtrise. Je n’esquive pas ce débat, sur lequel je reviendrai dans un instant. Je veux simplement vous dire que la discussion qui commence aujourd’hui doit nous permettre de doter la France d’une loi de programmation. C’est notre responsabilité et notre devoir, car la situation inverse aurait pour seul effet d’affaiblir le pays.
La deuxième conviction que je veux partager avec vous, c’est que cette trajectoire des finances publiques est aussi un contrat que le Gouvernement passe avec le Parlement, donc avec les Français qui y sont représentés. Ce texte doit être un texte pour le Parlement, pour partager un cap, pour mieux piloter les finances publiques, pour s’assurer que les lois de finances annuelles sont en cohérence avec la trajectoire que le Gouvernement propose.
Je veux d’ailleurs le rappeler, la nouvelle version de la Lolf, la loi organique relative aux lois de finances, issue de la révision dite Woerth-Saint-Martin, donc d’une initiative parlementaire, a renforcé la portée de la loi de programmation pluriannuelle. Ainsi, le Gouvernement doit désormais justifier devant le Haut Conseil des finances publiques les éventuels écarts par rapport à la trajectoire pluriannuelle de la loi de programmation des finances publiques, en amont du dépôt du projet de loi de finances de l’année.
Pour dire les choses simplement, il me semblerait un peu baroque que le Parlement, après avoir à juste titre œuvré pour renforcer son pouvoir de contrôle, se prive d’un important instrument de ce contrôle.
Je dis une chose simple, si l’on veut passer du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte », comme nous le souhaitons tous, il faut renforcer la capacité du Parlement à évaluer les dispositifs. Je sais que vous partagez ce constat, et les travaux que vous avez conduits en commission des finances en témoignent.
Le texte prévoit – c’est son article 7 – le bornage à quatre ans des dépenses fiscales. J’ai noté l’adoption en commission des finances d’un amendement du groupe SER visant à ramener ce bornage à trois ans.
L’article 15 dispose : « Les créations, extensions ou prolongations d’un dispositif d’aides aux entreprises instaurées après le 1er janvier 2023, ne sont applicables que pour une durée précisée par le texte qui les institue, dans la limite de cinq ans. » Cet article prévoit aussi la remise systématique d’une évaluation. Là encore, il s’agit de renforcer le rôle du Parlement dans sa capacité à contrôler le pilotage des finances publiques par l’État.
Le texte prévoit – c’est son article 21 – des « évaluations de la qualité de l’action publique, dont les conclusions sont transmises au Parlement au plus tard le 1er avril de chaque année ». À cet égard, un amendement adopté sur l’initiative du rapporteur général vise à introduire un certain nombre de précisions pour renforcer l’information, donc la capacité de contrôle du Parlement.
Je le disais, nous ne pouvons pas différer l’effort de maîtrise de nos finances publiques.
Y parvenir suppose de partager un même sentiment de responsabilité : responsabilité à l’égard de notre pays, de sa crédibilité, de sa capacité d’action et de son indépendance.
Y parvenir suppose aussi de répartir l’effort entre l’ensemble des administrations publiques : l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoriales.
L’article 23, qui tend à préciser les modalités de respect de l’objectif d’évolution des dépenses locales (Odedel) fixé à l’article 16, a fait l’objet d’un amendement de suppression lors de l’examen du texte en commission des finances. Cet amendement de suppression n’a pas été uniquement défendu par le rapporteur général, mais il a été soutenu aussi par un certain nombre de groupes d’opposition. J’en prends acte tout en rappelant que ce mécanisme constitue, à mes yeux, une solution d’équilibre pour que les collectivités territoriales contribuent de façon juste, équitable et équilibrée à l’effort collectif.
Vous le savez, les associations d’élus nous ont toutes fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas la reconduction à l’identique des contrats de Cahors. Cette forme de contractualisation avait succédé en 2017 aux baisses massives de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et était vécue par beaucoup comme une mise sous tutelle. Nous avons donc abandonné les contrats de Cahors et nous avons tourné la page. À l’issue d’une très longue concertation avec les associations d’élus, menée avec mes collègues Christophe Béchu et Caroline Cayeux, nous avons proposé les pactes de confiance.
À ceux qui pensent qu’il ne s’agit que d’un glissement sémantique, je dis : regardez les déclarations des associations d’élus. Certes, toutes les associations d’élus n’ont pas applaudi des deux mains la mise en place des pactes de confiance. Mais un certain nombre d’entre elles ont soutenu la logique qui les sous-tendait. Je peux mentionner les représentants des intercommunalités, qui ont clairement exprimé que les pactes de confiance tournaient la page des contrats de Cahors, ou l’Assemblée des départements de France, dont le président, François Sauvadet, a affirmé : « Nous sommes prêts à une participation de tous les départements à la trajectoire en volume et non en valeur avec une réduction de nos dépenses de 0, 5 % par rapport au niveau d’inflation. […] Je pense que la solution à laquelle nous sommes parvenus est un effort supportable et tenable dès lors que le Gouvernement ne nous met pas de dépenses supplémentaires sur le dos. » En d’autres termes, François Sauvadet est prêt à valider le dispositif des pactes de confiance dès lors que l’État s’engage à sortir des dépenses prises en compte les allocations individuelles de solidarité (AIS), qui sont des dépenses non pilotables pour les départements. Je me suis engagé devant l’Assemblée nationale à ce que les AIS ne figurent pas dans les dépenses prises en compte pour le mécanisme de l’article 23.
Une large majorité dans cet hémicycle considère qu’il faut abandonner tout mécanisme tendant à corriger des dérapages. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’article 23 a été supprimé en commission.
Là-dessus, je vais vous dire notre conviction : ce dispositif, quand bien même il serait adopté par le Parlement, ne serait probablement pas activé. J’ai rencontré les représentants des associations d’élus et des collectivités locales : ils sont parfaitement lucides et conscients de la situation budgétaire de notre pays, ainsi que de leur capacité à maîtriser leurs dépenses. Pour autant, prévoir en cas de dérapage un cadre pour les 500 plus grandes collectivités de notre pays afin de leur permettre de revenir vers une trajectoire plus soutenable me semble être une mesure de crédibilité vis-à-vis de celles et ceux qui nous regardent aujourd’hui.
Je ne partage donc pas l’idée selon laquelle la suppression de l’article 23 serait justifiée. La vocation d’un tel dispositif n’est pas de punir ou d’infantiliser. L’objectif est de nous donner un cadre et un objectif de maîtrise des dépenses de fonctionnement, non pour entraver les collectivités, mais, au contraire, pour les aider à dégager de la capacité d’autofinancement pour investir.
Oui, nous pensons toujours que le mécanisme proposé à l’article 23 est juste et pertinent. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement visant à rétablir cet article. Nous aurons bientôt l’occasion d’en discuter de façon plus approfondie.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je voulais partager avec vous avant d’entamer l’examen de ce projet de loi de programmation des finances publiques. En somme, nous pouvons avoir des divergences sur les paramètres, sur les points de passage ou sur la manière dont chaque catégorie d’administration publique doit contribuer à l’effort collectif. Mais nous devrions tous nous entendre sur le fait que la sixième puissance mondiale ne peut pas se dérober à ses obligations de sérieux budgétaire. À en juger par les discussions que nous avons eues ensemble et par les travaux qui ont eu lieu en commission des finances, il me semble que nous nous retrouverons autour de cet objectif.