Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 2 novembre 2022 à 15h00
Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Discussion générale

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Monsieur le ministre, le 13 juillet dernier, devant la commission des finances du Sénat, le Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, préconisait d’« établir une loi de programmation crédible et globale », c’est-à-dire avec des hypothèses réalistes, des mesures d’économies détaillées, articulée avec les lois de programmation sectorielles, ne reportant pas l’effort en fin de période et associant l’ensemble des acteurs publics. Le Gouvernement ne semble pas avoir fait sien ce mantra !

Tout d’abord, le Haut Conseil des finances publiques et les analystes économiques considèrent les hypothèses macroéconomiques improbables.

L’avis du Haut Conseil relève que la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques repose sur trois hypothèses favorables : un mouvement de désépargne des ménages – au troisième trimestre, la croissance de la consommation est de 0 %, après avoir été de 0, 3 % au deuxième trimestre ; le maintien à un niveau élevé de l’investissement des entreprises ; une contribution positive du commerce extérieur – au troisième trimestre, elle est négative, à -0, 5 point.

Vous nous permettrez donc d’avoir des doutes sérieux sur la possibilité que ces trois critères soient réunis pendant les cinq prochaines années, au regard des dernières données publiées par l’Insee.

Dans son dernier Repères de politique économique, l’institut Rexecode écrit : « Si des perspectives de croissance du PIB plus prudentes, mais sans doute plus vraisemblables […] se réalisaient, le déficit public ne se résorberait pas et la dette publique continuerait d’augmenter en pourcentage du PIB pour atteindre 120 % en 2027. » Cela montre combien la trajectoire est sensible à son point de départ.

Dans son rapport Perspectives de l ’ économie mondiale du mois d’octobre 2022, le Fonds monétaire international (FMI) anticipe que plus de la moitié des pays de la zone euro connaîtront une récession technique cet hiver. La France est relativement épargnée, puisque l’institut précité table sur une croissance de 0, 7 % pour 2023, en deçà cependant de l’hypothèse du Gouvernement.

Malgré une anticipation très optimiste de la croissance, le déficit reste de 5 % et ne retrouve un niveau de 3 % qu’en 2027. Nous serions donc pendant deux ans les plus mauvais élèves de la zone euro.

Mais ce chiffre de 5 % fait oublier tous les ordres de grandeur : le déséquilibre des dépenses publiques est plutôt de 45 %. Le projet de loi de finances dont nous discuterons bientôt prévoit 500 milliards d’euros de dépenses, contre 345 milliards de recettes.

La maîtrise des dépenses publiques est pourtant devenue un totem. Combien de fois avons-nous entendu que le temps du « quoi qu’il en coûte » était derrière nous, que nous étions maintenant « à l’euro près » et qu’il s’agissait désormais de décider en fonction du « combien ça coûte » ?

Or les dépenses courantes augmentent de 62 milliards d’euros dans le projet de loi de finances déposé le 26 septembre. Et, depuis cette date, plusieurs dépenses nouvelles ont été annoncées : hausse du bonus écologique, élargissement du bouclier tarifaire, et tant d’autres.

La baisse du ratio de la dépense publique inscrite dans la programmation repose en grande partie sur la disparition progressive des dépenses exceptionnelles, soit encore 61 milliards d’euros en 2022.

Concernant la dépense courante, comme l’a rappelé M. le rapporteur, la trajectoire suit celle des dépenses publiques du quinquennat précédent : 140 milliards d’euros en plus.

L’objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel, fixé par l’article 5 du règlement européen du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, ne sera pas atteint pendant le quinquennat. Il sera au mieux égal à la moitié de l’effort attendu, soit 0, 3 point par an de 2024 à 2027. L’insuffisance de réduction du déficit structurel souligne le manque d’engagement de réformes structurelles.

Les mêmes réformes reviennent dans les programmes nationaux de réforme (PNR) successifs, toujours aussi peu documentées, et en premier lieu la réforme des retraites.

L’État demande des efforts aux Français et aux collectivités territoriales qu’il ne s’impose pas à lui-même. L’effort exigé des administrations publiques locales (Apul) n’a jamais été atteint au cours des quarante dernières années.

Pourtant le rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Jean-René Cazeneuve, l’a reconnu : « La situation sera difficile pour les collectivités territoriales l’année prochaine […] et elle le sera aussi pour l’État français, pour les entreprises et pour tout le monde. Il faut partager cet effort entre les différentes administrations – c’est une question de responsabilité. »

L’effort que nous demandons à l’État, qui vient d’être exposé par notre rapporteur, est, toute chose égale par ailleurs, plus faible que pour les collectivités. En effet, l’indice de prix des dépenses communales, le « panier du maire », estimé sur le premier semestre 2022, fait apparaître une évolution de 4, 8 % sur quatre trimestres glissants. Sur la même période, l’indice des prix à la consommation hors tabac n’avait progressé que de 3, 4 %. Le différentiel s’est encore accru au cours des deuxième et troisième trimestres.

Par ailleurs, plusieurs textes législatifs récents contraignent les budgets locaux à plus ou moins long terme. En tout premier lieu, la loi Climat et résilience du 22 août 2021. C’est un effort nécessaire auquel les collectivités sont prêtes ; encore faut-il qu’elles en aient les moyens.

La maîtrise de la dépense publique ne se décrète pas ; elle se construit dans la durée. Gérard Longuet reviendra sur cette thématique en l’illustrant avec deux politiques publiques.

C’est parce que vous niez cette réalité que vous avez imposé aux grandes collectivités les contrats de Cahors. Vous vous êtes félicités des résultats, alors même qu’ils ne sont que la conséquence des efforts de gestion rendus nécessaires par la contraction des concours financiers de l’État sur la période 2014-2017.

Le Gouvernement indique avoir conçu un nouveau dispositif : les contrats de confiance.

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