Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, penser l’avenir, c’est l’idée que l’on se fait d’une loi de programmation. Je ne parle pas ici de boucliers nécessaires, même lorsqu’ils sont mal ciblés, ni d’orthodoxie budgétaire réaffirmée et amplifiée sous le nom de « sérieux budgétaire ». Je parle bien de penser l’avenir, notamment le bouleversement climatique et les désordres qu’il induira, ainsi que les moyens de l’indispensable mutation pour y répondre.
Cela n’est pas possible en poursuivant le désarmement financier de l’État et la mise au pain sec des collectivités. Entendez les scientifiques, messieurs les ministres : la dette climatique coûte et coûtera plus cher que la dette financière !
Chaque année d’inaction ou de petits pas nous condamne à devoir faire face à des sécheresses durables et étendues, à des inondations, canicules, incendies ou tempêtes qui détruisent des villages entiers : Bihucourt dans le Pas-de-Calais, Osani en Corse, après la Roya, et avant qui ? Ce sera de plus en plus dur et de plus en plus douloureux, mais d’abord pour les plus modestes d’entre nous.
Sur le plan social, cette loi de programmation est libérale. Elle est encore durcie par la volonté de la majorité sénatoriale de procéder à des coupes massives dans les dépenses publiques et d’accélérer la réduction de la dette, au risque de faire basculer le pays dans la récession, d’aggraver le sentiment d’injustice et de poursuivre l’effondrement continu des services publics.
L’hôpital, l’école, les universités, l’Office national des forêts (ONF)… tant de services publics sont déjà à la peine ; les cinq minutes qui me sont accordées ne suffiraient pas à tous les citer.
Pourtant, cet entêtement à vouloir baisser les prélèvements obligatoires a réussi sur un point par le passé : il a entraîné la hausse record des dividendes, dont nous détenons le – triste à mon sens – record d’Europe.
Quand la France entière fait des kilomètres de queue à la pompe pour payer un carburant trop cher au détriment d’autres dépenses essentielles, comment accepter qu’une entreprise comme TotalEnergies dégage 6, 6 milliards d’euros de bénéfice au troisième trimestre 2022 ? C’est indécent pour les salariés comme pour les citoyens, comme le sont les presque 60 milliards d’euros de dividendes versés par le CAC 40 l’an passé dans notre pays. Car oui, il y a de l’argent !
Total est l’illustration ultime et caricaturale du système que vous soutenez mordicus. La baisse de la contribution des plus aisés n’est pas plus acceptable, car l’impôt reste l’outil indispensable d’une société juste et civilisée.
C’est pourquoi les écologistes refusent la suppression de la CVAE, revendiquent une taxation des dividendes supérieure à celle du travail et proposent un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique. Cet encouragement à être vertueux et solidaire repose sur l’inclusion, dans le calcul de l’impôt des plus fortunés, d’un malus assis sur l’empreinte carbone de leur patrimoine financier.
Nous vous proposons aussi la création d’une loi de programmation pluriannuelle des financements de la transition écologique qui assurerait une meilleure visibilité aux entreprises, aux ménages, aux investisseurs comme aux collectivités territoriales.
Pour les entreprises, il serait de bon sens que l’octroi des aides publiques soit systématiquement conditionné à des contreparties sociales et écologiques.
Il y a urgence aussi pour les collectivités. Vous ne cessez de diminuer leur autonomie et la capacité à agir des communes. Vous ne les protégez pas ou pas assez face à l’inflation et au coût spéculatif de l’énergie.
Vous et vos prédécesseurs leur avez retiré la quasi-totalité de leurs pouvoirs fiscaux. Cela ne vous suffit pas : vous voulez aussi contrôler leurs dépenses. La réduction des charges de fonctionnement relève non plus, chez vous, du domaine de l’entêtement, mais de l’obsession, surtout quand il s’agit des charges de fonctionnement des autres !
Baisser les charges de fonctionnement signifie-t-il cesser d’accueillir les tout-petits dans les crèches, les enfants à la cantine, fermer des médiathèques, des espaces culturels, des équipements sportifs, des centres de loisirs ou encore les centres de santé, que vous étiez bien heureux de voir transformés en centres de vaccination pour tous voilà quelques mois ?
Rien ne le justifie, car les collectivités sont gérées sainement, sans déficit, contrairement à notre État jacobin. Elles investissent massivement et utilement pour l’ensemble du pays. Vous devriez au contraire les soutenir. Elles sont le laboratoire innovant de nombreuses politiques publiques nécessaires pour la transition. Elles sont enfin, en cette période de crise, un rempart démocratique que, sur toutes les travées, nous devrions soutenir et respecter. Il faut miser sur elles. Avec résilience, elles gèrent le quotidien et construisent l’avenir.
C’est ce que nous attendons des lois de programmation. C’est pourquoi nous ne voterons pas celle-ci.