Intervention de Jérémy Bacchi

Réunion du 2 novembre 2022 à 15h00
Programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 — Discussion générale

Photo de Jérémy BacchiJérémy Bacchi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’apprendre le déclenchement d’un nouveau 49.3 par la Première ministre.

La première année de la programmation aura donc été enjambée par le Gouvernement, et nous continuons de débattre, ici, au Sénat, comme si de rien n’était.

J’aurais aimé vous dire que j’ai accueilli ce projet de loi de programmation des finances publiques avec enthousiasme, tant il aurait répondu à l’urgence dans laquelle se trouve le pays. Mais il n’en est rien.

J’aurais aimé a minima pouvoir dire que ce projet de loi de programmation des finances publiques comprenait la gravité de ce qui traverse la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Mais, une fois de plus, il n’en est rien.

En réalité, vous avez choisi de verrouiller l’ensemble des échelons de la puissance publique, l’ensemble des parties prenantes des politiques publiques au service de nos concitoyennes et concitoyens.

Alors que les Françaises et les Français sont de plus en plus nombreuses et nombreux à ne pas savoir comment ils se chaufferont cet hiver, alors que les Françaises et les Français voient leur pouvoir d’achat fondre comme neige au soleil sous l’effet de l’inflation galopante, alors que les Françaises et les Français, toujours plus nombreuses et nombreux, se demandent s’ils trouveront un emploi ou conserveront le leur, votre seule réponse est la réforme ou plutôt la contre-réforme : celle des retraites, celle du revenu de solidarité active (RSA), celle de l’assurance chômage. À croire que vous ne voulez pas entendre le sentiment d’injustice et le vent de révolte qui souffle dans le pays !

Voilà six mois à peine, le Président de la République était élu grâce à l’ensemble des républicains de ce pays, dont des millions de voix issues des rangs de la gauche. « Ce vote m’oblige », disait-il au soir du second tour, renchérissant par une formule déjà datée : « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. » Ce projet de loi de programmation constitue un projet d’exclusion de ces électeurs qui l’ont porté au pouvoir.

J’en viens à présent au texte en lui-même.

Dans le rapport annexé à l’article 1er, la capacité productive qui sous-tend la croissance serait « soutenue par les réformes du Gouvernement. Ces dernières contribueraient notamment à accroître l’offre de travail et parvenir au plein emploi à l’horizon 2027 : il s’agit en particulier de la réforme des retraites, de la réforme du RSA et de la réforme de contracyclicité de l’assurance chômage ».

Le mot est lâché : plein emploi ! Mais bien loin d’un monde idéal, il s’agit d’un plein emploi hypothétique, bâti non pas sur les besoins et la croissance, mais sur la précarité et un salariat corvéable à merci avec toujours moins de droits.

D’ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis sur le projet de loi de programmation, ne dit pas autre chose de votre tautologie sur l’hypothèse de la croissance potentielle : elle « est optimiste notamment parce que cette dernière suppose des effets importants et immédiats de réformes – le revenu de solidarité active, les retraites, l’assurance chômage, l’apprentissage… – dont ni les modalités, ni les impacts, ni le calendrier ne sont documentés ».

La réforme des retraites tant voulue par votre gouvernement nie le fait que le taux d’emploi des sexagénaires est le troisième plus mauvais de l’Union européenne. Seul un tiers des 60-64 ans est en emploi ; ils sont considérés comme usés, trop vieux, par un patronat qui délaisse ceux qui ne correspondent plus aux normes. Ces travailleurs extrêmement qualifiés sont en réalité trop chers : trop chers par rapport aux jeunes en particulier, main-d’œuvre peu qualifiée, mais peu onéreuse.

Le niveau des salaires est votre question taboue, alors qu’elle devrait être une question politique fondamentale de la décennie qui vient.

Depuis le début des années 1980, la part de la rémunération salariale dans la valeur ajoutée a chuté de 8 points dans les pays européens. Il faut ajouter le fait que les inégalités salariales ont augmenté d’au moins 5 points dans le secteur privé. Des dizaines de milliards d’euros en salaires et en cotisations qui rendent relativement insignifiantes les économies de 12, 5 milliards d’euros générées par le report de l’âge légal de la retraite.

Nous revendiquons, en plus de l’augmentation des salaires, le partage du temps de travail comme principal levier pour financer le système de retraites. Il s’agit de travailler moins longtemps dans la journée, dans la semaine et dans la vie, pour que toutes et tous puissent travailler et que les conditions de vie et de dignité soient restaurées.

Je veux avoir ici un mot pour ces femmes et ces hommes totalement absents de ce projet de loi de programmation, et sans qui, pourtant, la France ne tournerait pas. Ce sont des métiers pour lesquels les politiques publiques qu’ils exécutent, accompagnent et portent verront leurs budgets baisser dans les trois prochaines années : les enseignants, les bénévoles dans les associations, les aides-soignants, les agents territoriaux, les travailleurs sociaux sont autant de professions aussi utiles que méprisées par cette programmation.

Les cotisations sociales ne représentent plus aujourd’hui que 50 % des recettes de la sécurité sociale contre 82 % en 1993 du fait d’exonérations absolument massives. C’est, toutes choses égales par ailleurs, une perte de 100 milliards d’euros ; une somme qui échappe aux travailleurs.

Pour nous, les mots d’Ambroise Croizat, père de la sécurité sociale, restent plus que jamais d’actualité : « Vivre sans l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail, en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins ». Voilà où se trouve le véritable courage, bien loin des logiques austéritaires qui prévalent aujourd’hui. Mais n’est pas Ambroise Croizat qui veut !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion