Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 3 novembre 2022 à 10h30
Production d'énergies renouvelables — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Agnès Pannier-Runacher :

Monsieur le président, madame, monsieur les présidents de commission, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, deux tiers, c’est aujourd’hui la part d’énergies fossiles dans notre consommation d’énergie – du pétrole et du gaz, importés, pour l’essentiel, du reste du monde. Le nucléaire et les énergies renouvelables ne représentent donc qu’un tiers de la totalité de notre consommation d’énergie. Cela signifie que, à consommation égale, il faudrait multiplier par trois notre production d’énergie bas-carbone pour compenser la sortie des énergies fossiles.

2035, c’est la date à laquelle 26 de nos 56 réacteurs nucléaires arriveront au terme de cinquante années d’exploitation. Tous devront alors passer le cap d’une visite de sécurité exigeante pour être prolongés dix années de plus. Or, en matière énergétique, 2035, c’est demain !

Plus 60 %, c’est, selon Réseau de transport d’électricité (RTE), la proportion d’électricité que nous devrons produire en plus à l’horizon de 2050, si nous voulons enfin sortir des énergies fossiles, atteindre la neutralité carbone et répondre à nos besoins croissants d’électrification pour l’industrie, les transports et les bâtiments.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces trois éléments montrent bien que nous sommes à un tournant historique. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone, si nous voulons enfin devenir maîtres de notre destin énergétique, nous ne pourrons nous passer d’aucune énergie décarbonée – nucléaire comme renouvelable – tant la marche à franchir est haute.

Soyons clairs : lorsque je dis « renouvelables », je parle bien de toutes les énergies renouvelables – je sais que vous y êtes sensibles –, celles qui produisent de l’électricité, mais également de la chaleur – géothermie, biomasse, biométhane, éoliennes terrestres et marines, hydraulique, etc.

Ce que nous vivons aujourd’hui donne un avant-goût de ce qui nous attend demain si nous n’agissons pas. Je pense d’abord à la crise climatique, qui provoque les dérèglements que nous constatons tous : sécheresses, canicules et feux. Du reste, nous venons de vivre en France le mois d’octobre le plus chaud que l’on ait jamais connu. L’urgence est là, devant nous.

Ensuite, je pense à la crise énergétique, qui est la plus grave depuis les années 1970. Devoir importer des énergies sans en maîtriser le coût, c’est affaiblir le pouvoir d’achat des Français, c’est peser sur la compétitivité de nos entreprises et c’est réduire les capacités d’action des collectivités locales.

Pour répondre à ces enjeux, nous ne sommes pas sans solutions. Nous connaissons les leviers que nous devons actionner pour être à la hauteur du défi.

Le premier, ce sont les économies d’énergie, grâce à la sobriété et à l’efficacité énergétiques. Je ne reviendrai pas sur le plan de sobriété que nous avons annoncé avec la Première ministre. Il s’ajoute aux actions menées en matière d’efficacité énergétique. Retenons que, d’ici à 2050, nous devons réduire de 40 % notre consommation d’énergie pour atteindre la neutralité carbone.

Le deuxième est la production massive d’énergies renouvelables. C’est l’enjeu du plan pour accélérer le développement de la production d’énergies renouvelables que j’ai lancé en juin dernier. Il a permis de débloquer la production de 10 gigawatts d’électricité et d’un 1 térawatt de biométhane. Il a aussi permis de mobiliser les services de l’État, de renforcer les équipes d’instruction sur le terrain et d’accélérer les raccordements – je sais que vous êtes également sensibles à ces enjeux. Le texte qui vous est présenté aujourd’hui constitue le volet législatif du plan en faveur des énergies renouvelables que nous allons continuer de déployer.

Le troisième est le lancement d’un ambitieux programme nucléaire. C’est la proposition du Président de la République. Elle est désormais soumise à une large consultation publique. Nous travaillons à simplifier les procédures administratives afin d’anticiper la construction de nouveaux réacteurs à proximité des sites qui en accueillent déjà.

Tels sont les grands chapitres de notre stratégie énergétique. Il nous appartient maintenant de les décliner dans une nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui tienne compte de la nécessité de rehausser notre ambition climatique et d’accélérer notre sortie des énergies fossiles. Nous avons commencé ce travail par le lancement, conformément à la loi, d’une grande consultation publique en octobre dernier. Elle est inédite par son ampleur, car l’enjeu est de taille. Ce travail, qui vous sera intégralement restitué, nourrira vos réflexions dans le cadre du projet de loi qui vous sera soumis en 2023 visant à mettre à jour notre mix énergétique.

Alors, pourquoi présenter ce projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables sans attendre 2023 ? Parce que nous constatons aujourd’hui que nous devrons être encore plus ambitieux pour la production énergétique. Nous ne pouvons que nous rendre compte de notre retard dans la production des énergies renouvelables. Nous devons donc le rattraper.

Vous l’avez compris, le combat à mener est celui des énergies bas-carbone contre les énergies fossiles. Ce choix s’inscrit, je pense, dans la continuité de la position de notre pays depuis le cri d’alarme poussé à Johannesburg par le président Jacques Chirac jusqu’à aujourd’hui, en passant par le Grenelle de l’environnement conduit par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo ou par les accords de Paris portés par le président François Hollande et Laurent Fabius.

Le texte qui vous est présenté est le fruit des échanges que j’ai eus, depuis plusieurs mois, avec des acteurs associatifs et économiques, des élus locaux et des associations, ainsi qu’avec vous, très en amont, mesdames, messieurs les parlementaires des différents groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale. À cet égard, je souhaite souligner la qualité des échanges et du travail conduit par les deux rapporteurs, Didier Mandelli et Patrick Chauvet, et par les présidents des commissions du développement durable et de l’aménagement du territoire et des affaires économiques, Jean-François Longeot et Sophie Primas. Je tiens aussi à souligner la mobilisation de la commission de la culture et le travail qui a été mené par la rapporteure pour avis, Laurence Garnier.

Comme vous le savez, je n’y reviens pas, ce projet de loi vise quatre objectifs : accélérer les procédures administratives sans rien enlever à nos exigences environnementales ; libérer du foncier dégradé ; permettre une planification par grande façade maritime pour les éoliennes marines ; améliorer le partage de la valeur de ces projets et sécuriser les coûts de l’énergie au profit des habitants, des collectivités locales et des entreprises.

Le texte qui a été adopté par la commission montre qu’il existe de fortes convergences au sein des différents groupes pour aboutir à une loi facilitant le déploiement des projets d’énergies renouvelables, remettant les collectivités locales au cœur de la planification énergétique et visant un haut niveau d’exigence en ce qui concerne le nombre de projets réalisés.

Des enrichissements ont été apportés, pour élargir certaines mesures au biométhane ou ajouter un article sur l’agrivoltaïsme reprenant une proposition de loi largement votée sur ces travées par exemple ; nous les soutiendrons bien volontiers.

Reste toutefois à résoudre la question la plus difficile : celle de savoir comment l’État, les élus locaux et les porteurs de projet travailleront ensemble pour permettre le développement – certes rapide, mais raisonné et équilibré – des énergies renouvelables. Du reste, l’implantation des projets au cœur des territoires suscite plusieurs questions : comment les projets répondent-ils aux besoins énergétiques des territoires ? Comment mobiliser et associer les acteurs locaux à leur élaboration ? Comment minimiser autant que possible leurs effets sur la biodiversité et leurs nuisances sur les communes voisines ? Comment ces projets se fondent-ils dans le paysage et comment les faire bien cohabiter avec les riverains ?

Au regard des retours d’expérience en la matière, certains projets sont incontestablement des succès, d’autres ne le sont guère – nous devons le reconnaître. Ces échecs expliquent les réticences manifestes, à raison, de territoires qui ne souhaitent pas connaître les mêmes difficultés. Cela doit nous faire réfléchir sur une nouvelle méthode de conduite de ces projets. Je crois pouvoir dire, au regard de mes nombreux échanges avec vous, ainsi qu’avec des élus locaux et des associations d’élus, que nous partageons unanimement ce diagnostic.

Le constat d’un indispensable changement de méthode est à l’origine de nombreux amendements – nous allons les examiner – qui encadrent plus fortement les projets d’énergies renouvelables, mais, je le crains, au risque de les freiner.

Dans ce contexte, notre responsabilité commune est bien de prendre en compte ces réticences, tout en veillant à ne pas céder à la tentation de l’immobilisme, mais encore faut-il savoir comment.

Notre vision de la planification énergétique n’est pas descendante, bien au contraire. Nous appelons de nos vœux une planification remettant les collectivités locales et les territoires au centre des décisions. À cet égard, je serai très claire, le Gouvernement ne reviendra pas sur la suppression de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme par le préfet.

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