Bien sûr !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici en présence d’un collectif budgétaire – un projet de loi de finances rectificative –, dont les premières mesures sont assez édifiantes. Il s’agit, comme cela est indiqué sur la page d’accueil du site internet du Sénat, de réformer la fiscalité du patrimoine. Ce projet de loi de finances rectificative n’est donc pas un texte ordinaire. Son objet affiché est clairement, d’abord et avant tout, de réformer, avant de le supprimer, l’impôt de solidarité sur la fortune. Est-ce pour qu’il soit moins visible pour la majeure partie de nos concitoyens ? On peut le penser !
Ce collectif budgétaire vient en discussion alors que, il y a une semaine, plusieurs heures de débats ont été consacrées à l’adhésion de la France au Pacte pour l’euro, texte qui nécessiterait la modification de la Constitution et encadrerait très sérieusement les déficits publics avec l’objectif de les réduire à leur plus simple expression.
Ce qui était vrai le 14 juin ne le serait donc plus le 21 juin. Oublié le discours sentencieux des derniers jours du printemps : l’été venu, on peut déjà donner quelques coups de canif dans le dogme de l’équilibre des finances publiques !
Soit la situation des comptes publics s’est dégradée, soit elle s’est améliorée. Ce collectif vise donc à apporter un certain nombre de correctifs à la loi de finances initiale, ce qui est l’objet normal d’un tel texte.
La situation économique se serait en fait améliorée. C’est du moins ce que laisse entendre la communication officielle ces derniers temps, notamment depuis la publication des éléments statistiques sur la croissance du produit intérieur brut. Le Gouvernement considère que la France est sortie de la crise et qu’elle le doit à la clairvoyance et à l’audace politique de Nicolas Sarkozy.
Pour ma part, je ne pense pas que les 2, 6 millions de chômeurs de catégorie A de notre pays, que les millions de travailleurs précaires, les 3 millions de smicards, majoritairement des femmes, le million de mal-logés, les 6 millions de salariés sous-payés et les jeunes diplômés sans débouchés professionnels en soient convaincus.
Nous devrions nous féliciter d’atteindre les deux points de croissance. Cela devrait suffire à notre bonheur et permettre, évidemment, de dégager quelques marges de manœuvre nouvelles pour réduire les impôts. C’est, semble-t-il, votre argumentaire, monsieur le ministre.
Cela étant dit, d’où vient la croissance ? Apparemment pas de nos exportations, puisque le déficit de notre balance commerciale a atteint un record jamais enregistré. Vient-elle de la distribution de produits importés, grâce à la consommation populaire ? Peut-être bien...
En tout cas, ce qui est certain, c’est que c’est d’abord et avant tout le travail des salariés de notre pays, des ouvriers, des techniciens, des cadres, des agents de maîtrise, des ingénieurs et des apprentis, ajouté à quelques hasards du calendrier – le nombre de jours fériés susceptibles de donner lieu à des « ponts » prolongés est en baisse cette année – qui est à l’origine de la croissance apparemment retrouvée.
La traduction en recettes fiscales n’est pas évidente. D’ailleurs, après le cadeau de 1, 8 milliard d’euros fait aux plus gros patrimoines, le solde budgétaire global du présent projet de loi de finances rectificative traduit un déficit aggravé.
Atteindre le résultat prévisionnel du Gouvernement en termes de croissance aurait dû, selon votre doctrine, monsieur le ministre, servir à améliorer l’équilibre budgétaire. Or vous préemptez les fruits de la croissance au profit de la « réforme de la fiscalité du patrimoine ».
Le Gouvernement et sa majorité se disent soucieux de l’intérêt général. Réduire la TVA sur les produits de première nécessité, créer une « tranche sociale de consommation » pour le gaz ou l’électricité, procéder à une remise sur l’impôt sur le revenu des plus modestes – vous l’avez déjà fait, chers collègues, pourquoi ne pas recommencer ? – aurait pu contribuer à alléger la charge de la hausse de l’inflation qui va peser sur les ménages. Ce taux s’élève en effet aujourd'hui à 1, 8 %, contre 1, 5 % en loi de finances initiale. Vous auriez pu par exemple en tenir compte pour l’évolution des salaires dans la fonction publique.
Le plus important pour vous dans ce projet de loi de finances rectificative est de réduire l’impôt de solidarité sur la fortune et d’optimiser la gestion des patrimoines privés en les orientant clairement vers la Bourse, vers la finance. Ce faisant, vous oubliez complètement les causes de la crise financière que nous avons vécue.
Au moins ce texte est-il clair : il confirme les choix du Président de la République et de sa majorité.
Depuis 2007, la droite déclare défendre le travail et l’effort. Le Président de la République avait même fait de ce thème un axe essentiel de sa campagne. Seulement voilà : le produit du travail, dans cette politique, va non pas au travail, mais de plus en plus, et toujours plus et toujours mieux, vers la rente, le capital, la finance !
Dans mon activité quotidienne d’élue locale, je ne rencontre pas souvent, autant le dire tout de suite, d’interlocuteur qui me fasse part de sa profonde satisfaction de voir réduit l’impôt de solidarité sur la fortune ! Cela ne vous surprendra pas. Dans ma ville, les habitants me parlent plus aisément de la vie chère, de la hausse du prix de l’essence, du poids des loyers et des charges de leur logement, de leurs difficultés à joindre les deux bouts, que du caractère confiscatoire de l’impôt de solidarité sur la fortune.
En outre, soyons sérieux, le montant de l’impôt acquitté par les contribuables assujettis à l’ISF est bien inférieur à celui que doit payer un salarié redevable de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, proportionnellement à son revenu. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qu’a donnés Jack Ralite tout à l’heure lors de son rappel au règlement.
Au demeurant, mes chers collègues, lorsque le beau mot de solidarité figure quelque part, je pense qu’il est difficile de parler de confiscation, surtout quand, à bien des égards, l’impôt concerné n’est qu’une forme de juste retour des choses vers ceux qui en produisent l’assiette.
Le baromètre des très petites entreprises réalisé par l’IFOP pour FIDUCIAL qui vient de nous être adressé est d’ailleurs lui aussi très intéressant : 45 % des 1 000 dirigeants interrogés considèrent que le premier impôt qui doit augmenter si le budget de l’État le nécessite, c’est l’impôt de solidarité sur la fortune ; 74 % d’entre eux le citent dans les impôts à augmenter.
En 2007, à la suite de la première réforme de la fiscalité du patrimoine, habilement dissimulée derrière la défiscalisation des heures supplémentaires dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, les services fiscaux avaient été autorisés à se manifester auprès des contribuables assujettis à l’ISF pour les inciter à solliciter le bouclier fiscal.
L’expérience ne fut guère probante, souvenez-vous en : moins de 2 % des contribuables ont fait jouer ledit bouclier.
Cette année, pour faire bonne mesure, une circulaire ministérielle a été envoyée aux agents de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, dans laquelle il leur a été indiqué que la campagne de recouvrement de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui devait être achevée ces jours-ci, était reportée à après l’adoption du présent collectif budgétaire. Les contribuables assujettis à l’ISF vont donc dès cette année bénéficier de cette réforme, laquelle s’apparente plutôt à une baisse sensible et spectaculaire du rendement d’un impôt qui est pourtant de plus en plus efficace et qui concerne un nombre croissant de ménages, et ce malgré toutes les déclarations sur la fuite des capitaux et sur celle des cerveaux.
Les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu auront à la fin mai acquitté deux des tiers provisionnels ou cinq des mensualités de l’impôt dû. En revanche, 600 000 contribuables sont autorisés à attendre le mois de septembre pour commencer à payer l’ISF ! Je ne pensais pas qu’ils avaient tant besoin de trésorerie.
Je dirai enfin un mot sur les dépenses publiques. Si elles ne figurent pas en première ligne dans le projet de loi de finances rectificative, elles apparaissent tout de même au travers de quelques articles.
Après la confiscation des fruits de la croissance au bénéfice des plus fortunés, voici qu’arrive à grands pas l’insincérité budgétaire !
Une bonne partie des crédits ouverts dans ce collectif budgétaire correspondent tout simplement à des sommes qui, jusqu’ici, n’avaient pas été prévues dans la loi de finances initiale. Il va bien falloir un jour rompre avec cette méthode pour le moins surprenante, qui plus est si l’on entend gérer de manière plus vertueuse les deniers publics.
Ce qui est sûr, une fois encore, c’est que ces ouvertures de crédit ne reviendront pas sur le caractère des plus scandaleux de l’actuelle politique gouvernementale et que nous aurons encore droit aux fermetures de classes – le Président de la République vient d’annoncer que le moratoire pour la fermeture des classes ne débuterait qu’en 2012 –, à la disparition des services publics de proximité, à la mise en cause des équipements hospitaliers et à la révision générale des politiques publiques, se traduisant en suppressions de postes, gel des traitements des fonctionnaires ou réduction des aides au logement et aux associations. Autant de décisions qui dégradent fortement le tissu social et mettent en grande difficulté les populations les plus modestes.
Dire que nous ne vous suivrons pas dans la voie ainsi tracée est une évidence.
Nous ne soutiendrons donc aucunement ce projet de loi de finances rectificative, marqué par l’injustice fiscale et sociale !