Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 21 juin 2011 à 14h30
Loi de finances rectificative pour 2011 — Question préalable

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente un collectif budgétaire portant sur plusieurs centaines de millions d’euros d’abandon de recettes fiscales et prévoyant d’utiliser une recette exceptionnelle – le remboursement anticipé des constructeurs automobiles – pour apporter notre écot au plan « Grèce » de l’Union européenne...

Ainsi, nous serions sortis de la crise, la France irait mieux et nous ne pourrions que nous en satisfaire. Toutefois, la réalité économique et sociale de notre pays semble montrer que nous pourrions faire un autre usage des ressources ainsi dégagées par la « croissance retrouvée »...

Je vous invite donc, mes chers collègues, par cette question préalable, à nous demander ensemble comment agir autrement avec ce que d’aucuns nous proposent d’utiliser afin d’alléger I’ISF – pour mieux le faire disparaître demain sans doute –, ou afin d’assurer le rendement des créances souveraines sur la Grèce, tout simplement parce que nous devons être attentifs à l’usage des deniers publics.

Je formulerai deux remarques avant d’examiner cette question.

En effet, le préalable aux mesures proposées est que nous ne touchions aucunement au rendement de l’ISF.

Quelques explications s’imposent à ce propos. Il est évident, à la lecture des articles, comme de leurs exposés des motifs, que l’on tente, en fait, de favoriser l’investissement au sein des entreprises par les particuliers – en l’occurrence les redevables de l’ISF – et de défavoriser relativement les autres usages des capitaux disponibles.

On baisse l’ISF, on remet en question les conditions de donation mais, dans le même temps, on maintient le dispositif de financement des PME et on assouplit les règles de prise en compte des biens professionnels.

Ce postulat a d’ailleurs été rappelé lors de la discussion générale, monsieur le ministre : il faut favoriser le financement des entreprises, tout particulièrement des PME, par les particuliers, notamment via les dotations en capital. Quelle drôle d’idée, tout de même !

En effet, quand on examine le traitement fiscal proposé, on se rend compte que cette situation est très coûteuse pour les finances publiques.

Monsieur le ministre, quand un redevable de l’impôt sur le revenu ou de l’ISF investit dans une entreprise de notre pays, il peut, dans certaines limites – qui atteignent 50 000 euros dans le dispositif ISF-PME – déduire le montant des sommes investies de ses impôts. Ce sont, en quelque sorte, des avantages à l’entrée.

Pendant la période au cours de laquelle ce contribuable conserve ses parts sociales, ses actions, notre fiscalité lui permet d’imputer ses éventuelles pertes en capital si, par hasard, l’entreprise ne marche pas et, si elle marche, notre système actuel de crédit d’impôt sur les dividendes s’avère plus rentable que l’ancien avoir fiscal.

Ainsi, dans bien des cas, notamment pour les entreprises non cotées, notre redevable va « faire la culbute » à plusieurs reprises, grâce aux dividendes versés en échange de ses apports et aux crédits d’impôt obtenus.

Pour faire bonne mesure, toute cession anticipée de parts sociales ou de titres permet de dégager une plus-value, plus ou moins imposée, certes, mais généralement à un taux plus faible que les autres revenus.

Dès lors que l’on est assujetti à l’ISF, l’opération peut s’avérer encore plus rentable puisque l’adhésion à un pacte d’actionnaires « sauce Dutreil », ou plutôt « sauce de Wendel », comme l’histoire économique a pu le prouver quant à l’origine de la mesure, permet de percevoir des dividendes plus ou moins importants sans pour autant que l’on doive acquitter la moindre contribution au titre de la solidarité nationale. Et la cession des titres peut, notamment dans le cadre d’une donation soigneusement calculée, se dérouler dans des conditions évidentes d’optimisation fiscale.

Pourtant, dois-je rappeler que les dividendes ne sont rien d’autre que le remboursement de l’investissement initial et qu’ils constituent une préemption constante sur le produit du travail comme sur les fonds propres des entreprises ? Dans les entreprises du CAC 40, 40 milliards ou 50 milliards d’euros ne sont-ils pas ainsi distraits des fonds propres pour rémunérer le capital ?

Monsieur le ministre, l’option choisie par le Gouvernement – favoriser les investissements des particuliers et le financement des entreprises par la Bourse – est de nature à assurer à ces investisseurs un rendement de leur engagement d’autant plus significatif que la dépense fiscale associée, à l’entrée, pendant et à la sortie de ces investissements est particulièrement élevée. Or, à vous entendre tout à l’heure, j’ai cru comprendre que la politique du Gouvernement allait bientôt ruiner les riches !

Mes chers collègues, c’est ainsi que, depuis des années, se creusent les déficits publics sans que soit réglé le problème initial, c’est-à-dire l’insuffisance de fonds propres de nos PME !

A contrario, un financement par le crédit, d’autant moins onéreux qu’il serait en grande partie mieux contrôlé qu’aujourd’hui, ne poserait comme problème que celui de son effet sur les bénéfices de l’entreprise, lesquels pourraient être réduits du coût des intérêts ou de l’amortissement des prêts en capital accordés par tel ou tel établissement de crédit. La dépense fiscale, s’il y en avait une, serait alors une moins-value de recettes d’impôt sur les sociétés en provenance de l’entreprise financée, moins-value que pourrait compenser d’autant l’élévation du résultat de l’établissement de crédit.

Mais cela imposerait de changer de politique du crédit, et notamment de parvenir, au niveau européen, à un accord sur des taux directeurs les plus faibles possibles, permettant le refinancement des entreprises à moindre coût.

Voilà qui nous conduirait sans nul doute à nous interroger une nouvelle fois sur la maîtrise publique du secteur bancaire et assurantiel, en revenant, par exemple, sur le mouvement de privatisation qui n’a conduit, dans notre pays, qu’au développement de l’exclusion bancaire des plus vulnérables et à l’émergence des produits dérivés les plus spéculatifs.

Venons-en à la question de l’utilisation de l’argent public.

Quelques centaines de millions d’euros étaient bien disponibles puisqu’on a décidé de réduire les impôts. Et l’on a ainsi décidé de réduire l’ISF plutôt que de répondre aux attentes sociales immédiates.

Permettez-moi en cet instant de pointer du doigt ce que nous aurions pu faire des sommes concernées si nous avions voulu nous en servir pour – horreur inconcevable pour tous les charlatans européistes ! – augmenter les dépenses publiques.

Prenons le cas de la justice.

C’est peu dire que, depuis 2007, des mesures ont été prises dans ce domaine et que, sur tout sujet relatif aux questions juridiques et judiciaires, nous avons eu de quoi faire avec les projets gouvernementaux ! Depuis la refonte de la carte judiciaire en passant par la mise en œuvre des peines plancher, sans oublier le récent texte qui criminalise la maladie mentale bien plus qu’il ne la soigne, nous avons eu du pain sur la planche !

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