Si, précisément, monsieur le rapporteur général, parce que nous pouvons nous demander ce que nous aurions pu faire avec 1, 8 milliard d’euros au regard des besoins de la France et des Français, au lieu de satisfaire la minorité de celles et ceux qui vont bénéficier encore un peu plus de l’ISF. Vous ne daignez pas regarder la vérité en face, mais d’évidents problèmes se posent dans les domaines de la santé, de l’école, de la justice. Permettez-moi de les évoquer brièvement.
En fait, si l’on observe les indicateurs associés aux crédits de la mission « Justice », il semble bien que les délais d’instruction des affaires n’ont pas été réduits de manière significative et que la mise en œuvre des procédures est toujours aussi longue qu’auparavant.
Pour faire bonne mesure – et je ne sais si cela est dû à la sévérité des jurys ou à l’aggravation de l’échelle des peines –, nous avons battu les records d’occupation de nos prisons et de nos établissements pénitentiaires, avec plus de 65 000 détenus pour un nombre de places très nettement inférieur.
La situation, particulièrement préoccupante, peut se caractériser ainsi : trop peu de gardiens dans les établissements, trop peu de conseillers de probation, trop peu d’intervenants éducatifs en milieu ouvert, notamment pour prévenir la délinquance des plus jeunes, trop peu de personnels à la protection judiciaire de la jeunesse, pas de moyens pour construire et proposer des alternatives à la prison, etc.
Nous avons besoin d’un millier d’intervenants dans les services de probation et de moyens nouveaux pour l’aide juridictionnelle : voilà des choix qui témoigneraient clairement d’une nouvelle orientation de la mission « Justice ».
Et nous pouvons tout à fait reproduire cette démonstration dans d’autres domaines, notamment celui de l’éducation. Car le 1, 8 milliard d’euros auxquels le Gouvernement est prêt à renoncer en réduisant le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune représente plusieurs dizaines de milliers de postes d’enseignants du premier ou du second degré – 50 000, en fait –, ceux-là mêmes que l’on supprime aujourd’hui à tour de bras pour tenir l’imbécile objectif de disparition d’un emploi budgétaire sur deux agents de la fonction publique partant à la retraite !
Il y a, dans ce 1, 8 milliard d’euros, mes chers collègues, de quoi commencer dès la rentrée 2011 le moratoire sur la fermeture des écoles en milieu rural que le Président de la République a cru bon d’annoncer aujourd'hui à La Canourgue, chez notre collègue Jacques Blanc, mais pour la rentrée 2012.
Le niveau des élèves en sortie de CM2 comme celui de nombreux collégiens, les difficultés d’insertion sociale et professionnelle d’environ 150 000 jeunes par génération constatées ces dernières années ne constituent-ils pas, pourtant, des raisons suffisantes pour que nous changions notre fusil d’épaule et que nous envisagions de donner aux plus jeunes des Français les moyens d’une scolarité réussie ? D’autant qu’il nous faudra ensuite payer la facture sociale résultant de cette fracture éducative !
Une meilleure formation pour nos jeunes, des angoisses moindres pour leurs parents : cela ne vaut-il pas que nous revenions tout simplement sur cette réforme de la fiscalité du patrimoine ? Mais cela implique effectivement d’opérer d’autres choix, de fixer d’autres priorités à l’action publique, de définir d’autres voies.
Et j’aurais pu évoquer de la même manière le logement, la santé, les transports, la culture.
Nous ne légiférons pas uniquement, mes chers collègues, pour complaire aux agences de notation ! Nous légiférons pour que l’argent public aille à ceux qui en ont besoin, pour répondre aux attentes sociales, pour créer les conditions de la croissance et du développement de l’ensemble de la société.
Il y a donc mieux à faire avec le fruit du travail de tous que de veiller au confort financier des contribuables de I’ISF, ainsi que cela nous est proposé aujourd’hui.
Je veux encore pointer quelques-unes des contradictions du discours gouvernemental comme de l’analyse de notre rapporteur général.
Le présent texte constitue un ensemble de mesures destinées à réformer la fiscalité du patrimoine, mais, comme par hasard, le jeu du « qui perd gagne » ne concerne pas toujours les mêmes personnes…
Figurez-vous, mes chers collègues, que la fiscalité du patrimoine, ce sont 56 milliards d’euros de rentrées fiscales pour l’État ou les collectivités, dont 14 milliards d’euros au titre de la seule taxe foncière. Quels sont, dans ce texte, les efforts réalisés sur ce dernier point ? Il n’y en a aucun ! Il aurait pourtant été bienvenu de faire un geste envers les petits propriétaires, ceux dont le pavillon de banlieue vaut, au mieux, 100 000 euros et qui ont vu, eux, leur taxe augmenter sans interruption année après année !
Autre exemple : une partie de la réforme est gagée sur la suppression du bouclier fiscal, dispositif aux effets « mitigés », selon les termes du rapporteur général lui-même. Autrement dit, pour supprimer un dispositif boiteux, le bouclier fiscal, on s’attaque à un impôt efficace, l’ISF. Parmi les perdants de la réforme figurent donc, entre autres, les 3 500 ménages qui ne sont pas redevables de l’ISF et qui avaient, pourtant, sollicité le bouclier fiscal, notamment pour leur taxe foncière. La seule réponse que l’on ait trouvée est celle de la cote mal taillée de l’article 14.
Mais surtout, comme nous nous en sommes rendu compte, la réponse la plus nette que le Gouvernement ait trouvée est celle de la remise en cause du dispositif des donations, dont on a pu vérifier, depuis la loi TEPA du 21 août 2007, tout le caractère pernicieux. Hélas, le Gouvernement fait notamment le choix de taxer un peu plus les donations d’un montant inférieur au seuil d’application de l’ISF. Cela conduit à financer la baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune par l’augmentation des droits perçus sur les donations dont le montant sera inférieur à 1, 3 million d’euros, seuil d’entrée dans l’ISF et, pis encore, pour les biens immobiliers, à 800 000 euros.
Ce sont donc des ménages moyens un peu moins riches que les actuels redevables de l’ISF qui vont payer la facture pour ceux qui sont pourtant à la tête d’un patrimoine élevé.
Quant aux effets de la mesure, nous les connaissons : tandis que, le 1er juillet, les 3 millions de smicards de notre pays toucheront exactement 27, 30 euros bruts de plus sur leur fiche de paie, si ce texte est voté en l’état, 310 000 foyers redevables de l’ISF gagneront, sans le moindre effort, sans fournir aucun travail, environ 1 100 euros sur l’année, soit l’équivalent d’un SMIC brut mensuel !
Encore plus fort : les quelques milliers de redevables de l’ISF qui disposent d’un patrimoine plus important vont, quant à eux, toucher le jackpot ! Avec un peu plus de 40 millions d’euros de patrimoine, ce sont 450 000 euros, soit l’équivalent d’un SMIC mensuel chaque jour, qui seront rendus à chacun de ces contribuables !
Que valent 1 000 ou 1 500 euros rendus à 300 000 contribuables de l’ISF face aux difficultés qui attendent 150 000 jeunes sans diplôme lorsqu’il s’agit pour eux de trouver un emploi et de se dessiner un avenir ? Que vaut le 1, 8 milliard d’euros de baisse de l’ISF face au million de mal-logés, aux 2, 6 millions de chômeurs officiels ?
Devant un tel choix de société, nous ne pouvons, mes chers collègues, que vous inviter à adopter cette question préalable.