Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 7 novembre 2022 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2023 — Question préalable

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler les propos du Gouvernement lors de la présentation, le 23 septembre dernier, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 : « En sortie de crise sanitaire, et en début de quinquennat, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est un texte d’ambitions pour répondre aux enjeux du quotidien des Français ».

La crise sanitaire et la crise du pouvoir d’achat de nos concitoyennes et concitoyens allaient-elles vous faire abandonner votre logiciel libéral ? Le Gouvernement allait-il enfin arrêter d’épuiser les recettes de la sécurité sociale avec les exonérations de cotisations patronales ? Que nenni ! Le PLFSS pour 2023 prévoit une augmentation de 5 milliards d’euros des exonérations sociales patronales, qui atteindront 70 milliards d’euros en 2023.

Le Gouvernement allait-il enfin prendre ses responsabilités et assumer la dette de 18 milliards d’euros de la Cades, liée à la pandémie de covid-19 ? Au contraire, le Gouvernement a actionné à deux reprises l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour passer outre l’opposition parlementaire. Au passage, il a supprimé une disposition qui avait été proposée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale visant à transférer la dette de la sécurité sociale vers le budget de l’État, laquelle avait été adoptée.

Pour débattre, mes chers collègues, il faut en avoir la volonté politique ; or elle n’est pas au rendez-vous, loin de là !

Monsieur le ministre, vous refusez d’entendre la souffrance des personnels des secteurs de la santé et du médico-social, celle des patients qui n’ont plus de médecin traitant ou qui attendent des heures sur les brancards dans les couloirs des hôpitaux.

En persévérant dans vos choix, en amplifiant la logique qui est la vôtre, selon laquelle la santé est un coût qu’il faut réduire, vous détruisez la sécurité sociale, à laquelle les Françaises et les Français sont tellement attachés et vous précipitez les départs des hospitaliers. La situation est critique et atteint un point de non-retour. Pourtant, vous persévérez et signez une politique irresponsable.

En prévoyant une progression des dépenses de l’assurance maladie de seulement 3, 7 % – elle est en réalité en diminution de 0, 8 % si l’on tient compte de la crise sanitaire –, le budget de la santé va augmenter moins vite que l’évolution naturelle des dépenses de santé de 4 %.

L’Ondam va demeurer un point en dessous de l’inflation, estimée à 4, 7 % pour 2023, ce qui est une première bien funeste. Ainsi, vous allez réaliser 1, 7 milliard d’euros d’économies en 2023 sur le budget de la santé : autant d’argent qui va manquer pour recruter et mettre fin à l’hémorragie du personnel, qui n’en peut plus, et améliorer les conditions de travail.

Pis, vous justifiez les fermetures de lits – 21 000 entre 2017 et 2022 – et de services par manque de personnel, mais à qui la faute ? Qui refuse de donner des moyens supplémentaires aux universités ? Qui ne réintègre pas les personnels licenciés durant la crise du covid-19 ? Qui ne prend pas en charge les formations, laissant les hôpitaux se débrouiller ?

Vous attendez la montée des colères pour débloquer quelques millions sans vous en prendre à la racine des maux de notre système de santé : le manque de recettes volontairement entretenu.

Quand une maison menace de s’effondrer, pensez-vous que l’urgence soit de repeindre la façade ? C’est pourtant ce que fait le Gouvernement.

Je pense notamment à la situation des services pédiatriques sur laquelle je vous ai interpellé lors des questions d’actualité, monsieur le ministre, le 26 octobre dernier. Là encore, vous m’avez opposé une fin de non-recevoir, balayant les faits que je rapportais d’un revers de main. Pourtant, je ne faisais que relayer la colère et l’indignation des principaux intéressés.

Écoutez ainsi le professeur Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré, qui ne décolère pas : « Entendre que tout est sous contrôle, ça relève presque de la provocation pour ceux qui, sur le terrain, se confrontent à cette crise. Même en travaillant jusqu’à l’épuisement, on doit refuser des patients. »

Alors que les personnels de la pédiatrie dénoncent depuis des années les manques de moyens humains et financiers, le Gouvernement a jugé suffisant d’accorder une prime d’exercice en soins critiques et de doubler la rémunération des heures de nuit, mais ce uniquement jusqu’au 31 mars 2023.

L’épidémie de bronchiolite n’est que le sommet de l’iceberg de la réalité des difficultés que connaissent les urgences pédiatriques tout au long de l’année.

Le déblocage de 400 millions d’euros est une insulte pour les personnels mobilisés, et ce d’autant plus que 150 millions d’euros étaient déjà prévus pour l’ensemble des services en tension de l’hôpital.

Les services pédiatriques, à l’instar de l’ensemble des services des hôpitaux, ont besoin de mesures structurelles pour pallier les conséquences des politiques d’austérité menées depuis près de vingt ans par les gouvernements successifs.

Les difficultés d’accès aux soins rencontrées par nos concitoyennes et nos concitoyens exigent de recruter 100 000 personnes dans les hôpitaux et d’augmenter les capacités des universités à former davantage de médecins, mais aussi de paramédicaux, comme les infirmières et les infirmiers confrontés, dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), à des conditions de travail dégradées.

Au lieu de ces mesures d’urgence, vous préférez ajouter une dixième année aux internes en médecine et priver les territoires d’une génération de médecins en 2026.

Cette réforme s’est faite sans consultation des organisations syndicales des internes ni réflexion sur son contenu pédagogique. Alors que les études de médecine ont subi tout récemment de profondes réformes, dont les effets n’ont pas encore été évalués, vous allez réduire l’attractivité de la formation de médecine générale.

Le Gouvernement, comme la majorité sénatoriale, n’est pas en phase avec l’aspiration des jeunes générations à exercer un emploi salarié dans des structures collectives.

Monsieur le ministre, pourquoi refuser de financer les centres de santé à hauteur des maisons de santé ou des médecins libéraux ? Pourquoi un centre de santé devrait-il se contenter d’une aide financière à l’installation de 30 000 euros quand les maisons de santé et les médecins libéraux bénéficient, eux, de 50 000 euros ?

La création de centres de santé est pourtant l’une des réponses pour combattre les déserts médicaux et paramédicaux, qui s’étendent partout dans le pays.

Pourquoi ne pas avoir le courage de rétablir les gardes de médecins le soir, le week-end et les jours fériés ? Pour ce faire, il y aurait urgence à revaloriser le montant des gardes et à étendre cette obligation à l’ensemble des médecins généralistes, y compris en secteur 2.

Au lieu de ces mesures de bon sens et de justice réclamées par les établissements hospitaliers de nos territoires, les syndicats et les collectifs, vous choisissez d’exonérer les médecins retraités de cotisations sociales pour qu’ils poursuivent leur activité. On marche sur la tête !

Ce PLFSS était l’occasion de tirer des enseignements de la pandémie et des conséquences incertaines de l’apparition d’un nouveau variant. Comment ne pas être en colère en constatant, monsieur le ministre, que vous avez seulement provisionné 1 milliard d’euros en 2023 pour le financement des tests et des vaccins contre le covid-19 quand les mesures d’urgence sanitaire ont coûté plus de 11 milliards d’euros en 2022 à l’assurance maladie ?

Alors que l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans dans notre pays, le Gouvernement et la majorité sénatoriale souhaitent reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans plutôt que d’augmenter les cotisations patronales de 4 euros par mois pour assurer le financement des retraites. De cette réforme, nous n’en voulons pas !

Ce PLFSS était l’occasion, à défaut d’une grande loi sur le grand âge annoncée à maintes reprises, de s’engager sur la voie du recrutement de 100 000 professionnels par an pendant trois ans dans les Ehpad, avec pour objectif un taux d’encadrement d’un soignant par résident. On en est loin : les 170 millions d’euros dédiés au recrutement dans les Ehpad représentent un demi-poste de plus dans chacun des 7 000 Ehpad de France.

Après le scandale Orpea, continuerez-vous à laisser des organismes à but lucratif gérer massivement les établissements qui accompagnent nos aînés et faire des profits sur leur dos ? Monsieur le ministre, votre projet pour accompagner nos anciens est aux antipodes du projet de société que je porte avec mon groupe.

J’évoquais, au début de mon propos, l’étatisation de la sécurité sociale et sa remise en cause. Ce constat se confirme par le transfert à la branche famille des indemnités journalières des congés de maternité post-naissance, jusqu’ici pris en charge par l’assurance maladie.

En conclusion, mesdames, messieurs les ministres, ce budget est totalement déconnecté de l’urgence. Il est injuste, pour ne pas dire provocateur, inégalitaire et insincère. Alors que le Sénat doit examiner en quatre jours un budget de 600 milliards d’euros, je rappelle que le projet de loi de finances est examiné pendant trois semaines, pour un solde de seulement 480 milliards d’euros.

Alors que le Gouvernement a utilisé l’article 49.3 à deux reprises à l’Assemblée nationale, le Sénat a utilisé son 49.3 interne en déclarant irrecevables la moitié des amendements déposés sur ce PLFSS.

Dimanche dernier, le président du Sénat expliquait pourtant dans Le Parisien que le Sénat discuterait sur le fond de tous les sujets. Le soir même, la commission des finances jugeait irrecevables des amendements visant, par exemple, à mettre à contribution les entreprises responsables d’accidents médicaux pour financer la branche accidents du travail. L’argument invoqué vaut son pesant de cacahuètes : l’adoption de cet amendement aurait un effet trop indirect et incertain sur les finances de la sécurité sociale !

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