Intervention de Caroline Cayeux

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 26 octobre 2022 à 16h35
Audition de Mme Caroline Cayeux ministre déléguée chargée des collectivités territoriales

Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales :

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureuse d'échanger avec vous cet après-midi sur la feuille de route de mon ministère, mais aussi sur les mesures du projet de loi de finances pour 2023 concernant les collectivités territoriales.

Je tiens, en avant-propos, à saluer le travail précieux de votre commission pour penser de manière renouvelée l'aménagement de nos territoires.

Les défis du réchauffement climatique se font toujours pressants, comme en témoignent malheureusement les intempéries qui ont frappé ce lundi plusieurs communes des Hauts-de-France, dans la Somme, le Pas-de-Calais, l'Oise, mais aussi l'Eure.

Il nous faut donc accélérer la transition écologique dans tous les territoires au service du développement durable. C'est une priorité d'action de notre Gouvernement pour ce nouveau quinquennat.

C'est aussi un sujet dont vous vous êtes emparé depuis longtemps. Lors des rencontres que j'ai eues avec plusieurs d'entre vous ces dernières semaines, j'ai pu constater que nous partagions les mêmes ambitions. Nos discussions ont été menées dans un esprit constructif et un souci commun de l'intérêt général qui guidera également cette audition.

Vous avez eu l'occasion d'entendre ces dernières semaines Clément Beaune, Hervé Berville et Agnès Pannier-Runacher. Ils ont déjà pu vous éclairer sur la ligne que nous portons collectivement au sein du Gouvernement, ainsi que sur les délimitations de nos périmètres ministériels. Aussi voudrais-je aborder plus spécifiquement la question de l'aménagement du territoire et du développement durable sous l'angle des relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Vous le savez, les enjeux auxquels sont confrontés les territoires sont conséquents à la fois à court terme, avec la crise énergétique et l'inflation que nous connaissons, mais aussi à long terme, avec la nécessité d'accélérer la transition écologique partout en France. En réalité, ce ne sont pas là deux problèmes distincts. C'est seulement en changeant en profondeur notre modèle de société pour le rendre plus durable que nous pourrons surmonter plus longtemps les défis du temps présent.

Face à l'urgence, l'État a décidé d'être aux côtés des collectivités territoriales et de les accompagner dans le chantier de grande ampleur que représente leur transition écologique. Cette indispensable action de l'État ne peut être pensée de manière verticale. Pour être pleinement efficace, l'État doit être accompagnateur et non prescripteur, au service des projets portés par les élus qui connaissent le mieux les atouts de leur territoire.

C'est un changement en profondeur, auquel nous avons donné une forte accélération lors du précédent mandat, et dont de nombreux dispositifs d'aménagement que nous avons engagés portent la marque, au travers des programmes « Action coeur de ville et Petites villes de demain ». De façon complémentaire, ils permettent, à partir des centres urbains, de donner un élan nouveau à des bassins de vie entiers. Action coeur ville, je le rappelle, c'est 5 milliards d'euros, intégralement engagés pour valoriser les centres de 234 villes moyennes, avec nos partenaires que sont la Banque des territoires, Action Logement, l'ANAH, qui sont venus s'ajouter au fil du temps dans ces programmes.

Les résultats me semblent tangibles. Les habitants ont pu constater l'ampleur des travaux accomplis, la rénovation des centres anciens, la dynamisation des commerces et du tourisme, le réaménagement des mobilités ou encore la création de nouveaux espaces verts. Cette amélioration de l'attractivité des centres-villes est quantifiable.

Elle résulte des actions entreprises dans le cadre du programme, et nous avons pu constater une hausse de la fréquentation des centres-villes de 15 % malgré la pandémie, ainsi qu'une forte hausse de 17 % des ventes de l'immobilier. Nous préparons en ce moment l'acte II d'Action coeur de ville pour accentuer encore sa portée. Notre objectif est de soutenir davantage des projets de valorisation liés à la transition écologique. J'ai présidé il y a trois semaines le Comité des financeurs. Nous avons fait ensemble un point précis sur les engagements de chacun de nos partenaires. Cette phase 2 veut être ambitieuse et la Première ministre aura l'occasion, dans les semaines qui viennent, d'en dévoiler les grands axes stratégiques.

« Petites villes de demain », c'est 3 milliards d'euros mobilisés par l'État et les partenaires pour penser le réaménagement des centres urbains de 1 600 communes de moins de 20 000 habitants jusqu'en 2026.

2026, c'est aussi la date de prolongation du programme Action coeur de ville. Plus de 25 % des montants ont été engagés pour Petites villes de demain. 876 chefs de projet et plus de 22 000 logements ont déjà été rénovés. Je souhaite que nous puissions continuer à dynamiser ce programme, à la fois pour le rendre plus opérationnel, mais surtout pour l'orienter davantage vers des projets en lien avec la transition écologique.

Sur ces lignes d'ailleurs, j'ai missionné les équipes de l'ANCT pour qu'elles élaborent une feuille de route enrichie intégrant les nombreuses remontées que j'ai eues des élus sur le terrain. Ces deux programmes s'inscrivent dans un cadre plus large, l'agenda rural, déployé depuis 2019, en concertation étroite avec les collectivités et les élus locaux.

Ces résultats sont encourageants. Dans tous les espaces ruraux, nos concitoyens peuvent en mesurer les fruits. Sur le volet de la transition numérique notamment, il a permis de renforcer considérablement la couverture réseau de notre pays, tant en matière de téléphonie mobile que d'Internet fixe.

Je sais que ce sujet vous intéresse particulièrement, comme en témoigne le rapport d'information de Mme Demas listant vingt mesures pour renforcer la cohésion numérique dans les territoires, adopté au mois de mars. Il nourrira d'ailleurs nos politiques publiques.

S'agissant de la couverture de téléphonie mobile, l'objectif était d'atteindre la couverture 4G par au moins un opérateur pour 85 % du territoire d'ici fin 2022. Cet objectif est déjà dépassé, puisque 90 % du territoire sont déjà couverts. Le but est de permettre, d'ici fin 2022, l'accès de tous les Français au très haut débit fixe, et de généraliser la fibre optique d'ici 2025. Cet objectif apparaît atteignable. Début 2022, 70 % des locaux étaient en effet raccordables à une offre de fibre optique, contre moins de 25 % en 2017.

L'agenda rural a également permis la réinstallation des services publics au plus près des habitants, avec notamment 2 400 espaces France Services créés à ce jour. 120 bus itinérants permettent de couvrir les territoires les plus éloignés. À la fin de l'année, notre pays comptera 2 600 maisons France Services, au-delà de l'objectif initial d'un espace par canton partout en France. Ces guichets et ces espaces France Services permettent d'exploiter le potentiel numérique au service des territoires, mais offrent surtout des points de contact essentiels à nos concitoyens, avec une offre de service public menée par neuf partenaires dans ce domaine. Nous sommes en train, avec Stanislas Guerini, de préparer un acte II pour les maisons France Services. Il nous semble en effet qu'un certain nombre de territoires ne seraient pas suffisamment couverts et ne répondraient pas assez à l'attente de nos concitoyens. L'État accompagnateur et non prescripteur apporte aussi de façon importante son concours financier aux élus locaux en termes d'ingénierie.

Cette logique s'incarne également dans le dispositif contractuel Territoires d'industrie. Il a permis de lancer une belle dynamique de réindustrialisation depuis les territoires, en s'appuyant en priorité sur les intercommunalités. Territoires d'industrie, c'est plus de 2 milliards d'euros engagés dans près de 542 intercommunalités, qui constituent le bassin de vie de 30 millions de Français. Ces territoires témoignent de l'engagement du Gouvernement en faveur d'une différenciation toujours plus forte de nos politiques publiques et la volonté de réindustrialiser notre pays de façon plus équilibrée. Nous en poursuivrons la mise en oeuvre en nous appuyant sur les retours qui nous sont faits.

Je voudrais aussi aborder avec vous l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN), qui fait d'ailleurs l'objet d'une mission conjointe de contrôle au Sénat. Le constat que nous partageons tous, j'ose le dire, c'est la nécessité de limiter à l'échelle de notre pays la trop grande artificialisation des surfaces, afin de mieux lutter contre le réchauffement climatique, préserver la biodiversité et mieux valoriser nos paysages. Je crois aussi que nous partageons la même conviction : ce sont les élus locaux qui doivent en être les pilotes. Ce sont eux qui connaissent le mieux leur territoire, leurs besoins, et qui ont depuis toujours montré leur souci de développement harmonieux.

Il n'a jamais été question - en tout cas, avec Christophe Béchu, c'est notre philosophie - d'imposer par le haut des contraintes incompatibles avec la valorisation des territoires, notamment ruraux. Depuis le début, notre Gouvernement poursuit une logique de différenciation et de territorialisation dans le déploiement de cette mesure de la loi « Climat et résilience » d'août 2021. C'est à l'échelle de la région que se construisent les équilibres et les consensus, en fondant les nouveaux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) sur les conclusions des conférences de cohérence territoriale. Nous avons ainsi, avec Christophe Béchu, reporté au 22 octobre dernier le rendu des conférences des schémas de cohérence territoriale (SCoT), par l'intermédiaire de la loi 3DS, à la demande des élus locaux.

Sur le contenu des deux décrets du mois d'avril concernant la nomenclature et le mode de calcul de l'objectif ZAN, nous sommes prêts à la discussion, dans les limites bien sûr du texte de loi qui encadre notre action. Les élus doivent pouvoir continuer à développer des espaces naturels et de loisirs sans utiliser une partie de leurs droits à construire, et il apparaît légitime de prendre en compte les efforts de renaturation faits par les élus d'ici 2030. Une instruction sur le mode de calcul des espaces naturels agricoles et forestiers est d'ailleurs en cours.

Je sais qu'ici, au Sénat, Christophe Béchu a réuni les associations d'élus pour travailler sur tous les points de friction qui subsistent dans la mise en oeuvre de notre impératif de sobriété foncière. Je lui ai à nouveau demandé de m'assurer que, dans l'esprit de l'application de la loi, la surface des projets d'intérêt national ou régional serait décomptée des zones habitables ou aménageables. Nous en avons reparlé aujourd'hui. Dans les Hauts-de-France, les 2 200 hectares du canal Seine-Nord devraient être sortis des zones aménageables. Je vous vois exprimer votre satisfaction, mais il va falloir un amendement législatif pour y arriver ! Christophe Béchu m'assure qu'on aura un arbitrage favorable. En commençant par le Sénat, ce sera plus simple.

Vous le voyez, l'État ne veut pas vous contraindre ni imposer les choses de façon verticale. Il faut prendre en compte toutes les propositions qui nous sont faites pour atteindre le ZAN sans compromettre le développement des territoires.

L'État accompagnateur et non prescripteur, c'est aussi un budget pour 2023 qui donne aux collectivités les moyens d'agir et investir. Dans le contexte d'inflation et de hausse des prix de l'énergie, un soutien accru de l'État était indispensable.

C'est pourquoi, en plus du filet de sécurité mis en place dans le PLFR et de la reconduction du bouclier tarifaire qui permet de faire face à l'urgence du moment, nous avons souhaité défendre, avec la Première ministre, une hausse de la DGF de 320 millions d'euros, dont 200 millions constitueraient la dotation de solidarité rurale (DSR). C'est inédit depuis treize ans. Ainsi, 95 % des communes et des intercommunalités devraient voir leurs dotations se stabiliser, si ce n'est augmenter. Avec l'impératif de maîtrise de notre dépense publique, cette augmentation constitue un geste important du Gouvernement à l'égard des collectivités et des élus locaux.

Quelques mots à propos à présent sur la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Son but est de permettre à notre pays de gagner en compétitivité, sans compromettre les ressources de nos collectivités. Cette cotisation sera en effet intégralement compensée par l'attribution d'une part supplémentaire de TVA et sera, dès 2023, destinée aux territoires accueillant de nouvelles activités, selon des critères que nous établirons de façon concertée. La compensation de 2023 correspondra bien aux sommes que l'État aurait dû reverser aux collectivités territoriales en 2023 au titre de la CVAE. Il n'y aura pas d'année blanche. L'État ne gardera rien. Notre souci de protéger les marges de manoeuvre des collectivités transparaît également dans le maintien de leurs dotations d'investissement - DSIL, dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID), dotation politique de la ville (DPV), DETR - à un montant de près de 2 milliards comme l'année précédente.

Plus spécifiquement, les crédits du programme 112 sont en nette augmentation par rapport à l'année précédente. Cette hausse est notamment liée à la nouvelle génération de contrats de plan État-régions.

L'ANCT voit quant à elle son enveloppe confortée au service de ses missions, indispensables pour les collectivités. Ces ressources renforcées offrent aux collectivités une lisibilité sur le long terme. Elles leur permettent de continuer à investir, en particulier pour la transition énergétique.

C'est pourquoi le projet de loi de finances pour 2023 prévoit aussi d'augmenter d'un tiers les moyens consacrés à la dotation pour la biodiversité (FDB). Ils avaient déjà été doublés en 2022. Ils atteindront désormais 30 millions d'euros. Cette mesure apporte des moyens nouveaux aux communes classées parc national, zone Natura 2000 ou parc naturel régional.

Deuxièmement ce projet de loi de finances permet de mettre en oeuvre le fonds vert, d'un montant de 2 milliards d'euros. L'ensemble des projets éligibles et leurs caractéristiques doivent encore être précisés, mais la Première ministre a d'ores et déjà annoncé que 200 millions d'euros seront dédiés aux départements. La méthode d'attribution du fonds est bien arrêtée. Elle se fera selon des règles simples, décentralisées et sans appel à projets. Tout partira des initiatives des élus, selon une méthode lisible et reconnue, celle du dialogue entre les élus et leur préfet de département ou de région.

Par ailleurs, je sais que vous êtes saisis de l'enjeu que représentent les feux de forêt, qui ont fait l'objet au mois d'août d'un rapport d'information de M. Bacci, Mme Loisier, MM. Martin et Rietman. Je veux dire ici la pleine mobilisation du Gouvernement sur ce sujet, après l'été terrible que nous avons vécu. Il nous faut agir sur la prévention, ainsi qu'en termes de moyens. C'est tout l'objet de nos travaux au niveau national avec les élus locaux et nos partenaires européens. Le Président de la République recevra d'ailleurs ce vendredi les acteurs investis dans la lutte contre les feux de l'été, et interviendra sur cette question.

Vous le voyez, l'État est au rendez-vous dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour en prévenir et en combattre les effets ainsi que pour mener à bien la transition de notre société.

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