Je me réjouis de cette audition et suis heureux de vous interroger sur l'adéquation entre vos compétences et le poste auquel le Président de la République vous destine, ainsi que sur vos projets pour l'établissement dont il est question.
Lors de son audition en 2019, votre « futur prédécesseur », Yves Le Breton, avait indiqué que « l'agence ne trouvera sa place que si une harmonie s'instaure, fondée sur une convergence de vision entre le conseil d'administration, son président et le directeur général ». Or, le Président de la République nous demande de valider votre nomination comme directeur général de l'ANCT alors même que le ou la présidente du conseil d'administration de cette agence, qui doit être choisi dans le collège des élus locaux, n'a pas encore été remplacé - je parle bien sûr de Mme la ministre Caroline Cayeux. Faut-il voir dans cette préséance du directeur général une volonté étatique qui détermine la ligne à conduire ? L'élu local qui présidera l'ANCT devra-t-il s'adapter à votre vision ou sera-t-il choisi en fonction de sa convergence de vue avec la vôtre ?
Quelques mots sur votre parcours. Un parcours remarquable de serviteur de l'État, qui a débuté sur les bancs du prestigieux Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble. Après être entré à l'École nationale d'administration (ENA), vous avez été affecté au ministère de l'Intérieur, où vous avez occupé de nombreux postes, principalement en administration centrale, comme adjoint, puis chef du bureau des élections et des études politiques, puis comme sous-directeur des compétences et des institutions locales, puis comme chef de service, adjoint au directeur général des collectivités locales et enfin comme directeur des ressources humaines, avant de devenir directeur général des collectivités locales (DGCL) en juillet 2019.
Votre parcours de haut fonctionnaire témoigne de vos compétences. Toutefois, je n'y vois qu'une seule expérience dans les services déconcentrés de l'État, comme sous-préfet chargé de mission pour la politique la ville, entre 2002 et 2005, auprès du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais.
Vous n'êtes pas sans savoir que le Sénat porte une attention toute particulière à la ruralité, aux difficultés que rencontrent les habitants des zones rurales et aux opportunités que présentent les territoires ruraux, pour la transition énergétique, pour le développement économique en général et pour le lien social, au plus proche de nos concitoyens.
Votre prédécesseur, lorsqu'il était venu devant nous comme candidat, avait souligné l'importance de son expérience de terrain en tant que préfet de département, et l'avait présentée comme un avantage pour ce poste ; cela ne revient-il pas à dire que votre manque d'expérience de terrain sera pour vous un handicap dans l'exercice des fonctions auxquelles vous candidatez ? Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et sur le fait que vous porterez une attention aux territoires qui ont le plus besoin de l'ANCT, à savoir les petites collectivités rurales ?
Côté positif, en tant que DGCL, vous avez assuré la tutelle administrative de l'ANCT depuis sa création, notamment dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance (COP), qui lie l'ANCT au ministère de la cohésion des territoires. Vous êtes donc censé connaître parfaitement le fonctionnement interne de l'ANCT, ce qui est un avantage.
J'en profite pour vous poser une question à ce sujet : quel bilan faites-vous de l'action de l'agence et de votre « futur prédécesseur » à sa tête ?
Côté positif également, votre expérience au ministère de l'Intérieur et en particulier à la DGCL nous assure du fait que vous maîtrisez pleinement les ressorts des dotations de soutien aux projets des collectivités, je pense notamment à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et à la dotation d'équipement des territoires (DETR). C'est un vrai atout à mes yeux, car vous saurez utilement mobiliser ces dotations dans le cadre de votre action, si le Parlement confirme votre nomination.
Ce point me permet de faire la transition avec les moyens humains et financiers de l'ANCT. En moyens propres, son budget est abondé par une subvention pour charges de services publics (SCSP) d'environ 60 millions d'euros, dont une ligne est dédiée au soutien à l'ingénierie de projets des collectivités, qui s'élevait à 10 millions d'euros la première année et qui est passée depuis à 20 millions d'euros, pour l'ensemble du territoire national.
Notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits de plusieurs programmes importants pour la cohésion des territoires, dont le programme 112 comportant les crédits de l'ANCT, regrettait l'an dernier la stabilité de cette ligne budgétaire.
Quel regard portez-vous sur le niveau des moyens de l'agence et pouvez-vous vous engager à vous « battre » avec votre ministère de tutelle, le cas échéant, pour que cette enveloppe soit augmentée dans les prochaines années ?
Au-delà, environ la moitié des projets soutenus par l'agence dans les territoires bénéficient en réalité d'une expertise externe à l'ANCT : un projet sur quatre est soutenu par la mobilisation des partenaires de l'agence, un sur quatre reçoit une subvention directe et l'expertise interne de l'agence ne serait mobilisée que pour moins d'un projet sur dix.
Nous connaissons les exigences juridiques, notamment européennes, qui imposent aux administrations publiques de ne pas intervenir là où il n'y a pas de carence ou d'insuffisance de l'initiative privée. Cependant, les communes rurales ont besoin d'un retour du conseil des services déconcentrés au plus près du terrain. Je comprends que des bureaux d'études, agissant dans le cadre d'un marché-cadre global conclu avec l'agence, interviennent, mais qu'en est-il de l'expertise des services de l'État, qui manient bien les dotations, qui connaissent les territoires, le droit de l'urbanisme, entre autres domaines ?
Quelle est votre vision de l'ingénierie que devra apporter l'ANCT aux collectivités ? Comptez-vous développer les prestations d'ingénierie en propre de l'ANCT ? Quelle mutualisation avec les autres ingénieries sur le terrain, en particulier celles des collectivités territoriales ?
J'en termine sur la question des moyens en évoquant les opérateurs partenaires de l'ANCT, avec lesquels elle conclut des conventions pluriannuelles, portant notamment sur les financements que ces opérateurs mettent au service des projets de l'agence - l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale pour le renouvellement urbain (Anru), l'Agence nationale d'amélioration de l'habitat (Anah) et la Caisse des dépôts et consignations.
Les conventions pluriannuelles doivent être transmises au Parlement. Cette disposition qui figure dans la loi avait été inscrite à l'initiative du Sénat et de notre rapporteur Louis-Jean de Nicolaÿ : elles ne l'ont jamais été par la voie officielle du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG). En outre, elles semblent peu précises et peu engageantes pour les opérateurs partenaires.
Quel regard portez-vous sur l'engagement des opérateurs partenaires de l'ANCT ? Sont-ils coopératifs selon vous ? Comment comptez-vous faire en sorte de respecter la promesse qui avait été faite par le Président de la République d'avoir un véritable « guichet unique » pour les projets des collectivités, avec un opérateur comme l'ANCT qui coordonne, voire absorbe, les opérateurs de l'État qui interviennent chacun dans leurs champs de compétences ? C'est un point déterminant pour le succès de l'agence et il faut profiter de la révision de ces conventions dans les prochains mois pour rehausser le niveau d'engagement.
Enfin, je terminerai par deux questions : notre commission a publié de nombreux rapports d'information au cours des derniers mois, portant sur des sujets variés tels que le soutien aux commerces en milieu rural, la logistique urbaine, les déserts médicaux, les ponts et les ouvrages d'art - sujet majeur pour nos collectivités - et j'en passe. Qu'allez-vous faire de toutes ces bonnes propositions ?
Finalement, quelle est votre conception de la cohésion du territoire ?