Intervention de Christophe Béchu

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 2 novembre 2022 à 16h30
Audition de M. Christophe Béchu ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de Mme Dominique Faure secrétaire d'état chargée de la ruralité

Christophe Béchu, ministre :

En premier lieu, la Première ministre s'est engagée à faire en sorte que les chèques énergie puissent couvrir les achats de pellets (ou granulés de bois). La mesure sera intégrée dans le projet de loi de finances rectificative présenté ce matin en conseil des ministres et perfectionnée par voie d'amendements. Il ne faut pas qu'on ait des « oubliés des pellets » alors même qu'on les a incités à abandonner les chaudières au fioul. J'avoue que les mécanismes de fixation des marges des fabricants et importateurs de pellets, vous avez atteint les limites de mes connaissances. Je vais me renseigner sur d'éventuelles marges excessives ou rentes.

Sur l'Ademe, la problématique de la gouvernance ne m'avait pas échappé. Je signale l'élément de complexité suivant : nous cherchons à la fois un président et un directeur, avec plusieurs combinaisons ou nuances possibles - directeur général ou directeur général délégué, par exemple : en tous cas, nous approchons de la « fumée blanche ». S'agissant du PLF et de votre question sur les aides publiques assorties de conditions environnementales : à court terme nous soutenons, dans le cadre de la directive européenne « due to diligence » (directive sur le devoir de diligence), la capacité de lier la performance environnementale avec le niveau de bonus auquel les dirigeants pourraient prétendre à l'échelle européenne. Autant sur les entreprises publiques nous pensons avoir des outils d'action, autant, s'agissant des entreprises privées, il nous faut porter le sujet à l'échelle européenne car c'est le niveau opérationnel où elles sollicitent des aides.

Sur le retrait / gonflement d'argiles, je vous indique que le conseil des ministres du 12 octobre a pris une ordonnance qui précise un certain nombre de règles : cela tient compte des événements de l'été et simplifie un certain nombre de procédures. Olivier Klein porte, dans son pôle ministériel, ces sujets. Votre réflexion sur le régime des catastrophes naturelles est juste et le niveau des dépenses ne cesse d'augmenter : c'est une incitation à agir, non pas en modifiant la prise en charge par l'État, ce qui reviendrait à « casser le thermomètre », mais en assumant les coûts de l'adaptation.

En ce qui concerne la participation aux COP, vous avez parfaitement résumé la situation pour les COP15 et 27. Pour les autres, qui traitent par exemple des zones humides ou du commerce international d'espèces, le ministère de la transition écologique y participe de façon systématique et la coordination est toujours effectuée par le ministère des affaires étrangères, y compris pour la COP27 ; seule la question du chef de filât peut parfois se poser.

S'agissant de l'endettement, j'arrive à la même conclusion que vous, mais par un cheminement différent. Je pense qu'il faut qu'on s'autorise à sortir du cadre du classicisme budgétaire pour régler une partie du problème de l'ampleur des investissements climatiques. La rénovation est sans doute le meilleur exemple illustratif : certains domaines nécessitent des financements publics sans pouvoir générer de retours sur investissement monétaires ; en revanche, ils apportent des bénéfices climatiques considérables et cela justifie des allocations publiques - tel est le cas pour le ferroviaire sur lequel je reviendrai plus tard.

Dans d'autres domaines, il y a déjà des équations budgétaires en place : utiliser l'argent du contribuable, si des modèles existent déjà pour leur permettre d'échapper à la logique financière classique, me paraît une bonne politique. Nous devons nous inspirer des bonnes pratiques appliquées chez nos voisins : certains pays utilisent, par exemple, leur établissement financier similaire à notre Caisse des dépôts pour financer des dépenses qui font l'objet en France d'allocations budgétaires. Ainsi, en Allemagne, la nationalisation d'un énergéticien passe par la KfW - homologue allemand de la Caisse des Dépôts - et pas par le budget fédéral, ce qui permet de ne pas activer les critères de convergence dits de Maastricht et de conserver des marges de manoeuvre budgétaires. Je crois au modèle de l'économie mixte pour prendre le relais d'une partie des investissements qui sortent de la logique financière classique. Nous travaillons, dans ce sens, à une modification de la commande publique pour que les collectivités locales et l'État puissent bénéficier du dispositif de tiers-financement en matière de rénovation - dans lequel le montant des économies d'énergies réalisées permet de financer les travaux - ce qui autorise de s'abstraire d'évaluations complexes sur le nombre de milliards à investir. Nous avons, en France, entre 400 et 500 millions de mètres carrés publics, ce qui signifie que, pour un coût de rénovation de 1 000 euros par mètre carré, il faut se donner l'ambition de changer le mode de financement quand cela est souhaitable, sans quoi les calculs classiques donnent le tournis pour évaluer le nombre d'années nécessaires pour aboutir à la décarbonation du parc. Il faut également explorer des modes opératoires moins invasifs et moins coûteux : en particulier, on n'a pas suffisamment exploité les mécanismes de géostockage et de géothermie. Je m'apprête, dans cet esprit, à lancer un appel d'offres pour décarboner l'hôtel de Roquelaure qui concentre toutes les difficultés qu'un architecte des bâtiments de France pourrait imaginer et, ici encore, la géothermie a un potentiel inexploité. La modification du code de la commande publique permettant de faire appel au financement précompté en se remboursant sur les factures me semble prometteuse. Pour éviter des scandales dans le cadre des partenariats publics privés, on peut imaginer, pour accélérer la réalisation des travaux, de mettre en place des opérateurs publics capables de porter ces investissements comme des SPL (sociétés publiques locales) ou des SEM (société d'économie mixte) ; on peut également mobiliser la galaxie financière de la Caisse des dépôts. Au niveau local, je prends l'exemple que je connais bien des 50 millions d'euros investis dans le changement des 30 000 lampadaires de la collectivité angevine permettant d'économiser 70 % du montant des factures : on ne peut pas attendre des collectivités locales qui manquent de moyens d'apporter la mise initiale alors même qu'il s'agit d'un investissement rentable et bon pour le climat. Je plaide pour élargir la question des moyens en dehors du cadre argent public / taxe / interdiction / sanction : il faut réorienter les financements privés, utiliser les leviers - comme les green bonds - que nous n'utilisons pas et utiliser des mécanismes permettant de ne pas augmenter la dette publique ainsi que de sortir des contraintes maastrichtiennes.

La question des péages ferroviaires est à considérer de manière globale. Le plus important pour favoriser le report modal est de prendre en compte l'offre avant le prix. Le meilleur transport en commun est celui où il est le plus dense et non pas celui où il est le moins cher, comme à Lyon et Strasbourg qui fournissent l'exemple d'un réseau de qualité dont les recettes permettent d'investir en permanence. Le vrai sujet, sur le ferroviaire, est donc d'abord celui de l'offre, de la ponctualité, des infrastructures et de dispositifs de signalisation comme l'ERTMS qui permet d'optimiser et d'internationaliser le trafic - nous sommes, dans ce domaine, très en retard et des milliards d'euros seront nécessaires pour une remise à niveau. S'agissant du fret, il faudra également financer le coût d'adaptation permettant d'avoir un dispositif européen, avec des wagons qui communiquent entre eux et évitent des opérations de manutention ; c'est un levier de doublement de la part du fret ferroviaire et vous avez publié au Sénat un excellent rapport sur ce thème qui mérite d'être appliqué dans un certain nombre de ses recommandations. Le sujet des plateformes concerne surtout l'aménagement du territoire : elles doivent atteindre une taille suffisante pour pouvoir stocker un nombre suffisant de conteneurs et utiliser les sillons disponibles. La question des péages n'est qu'un élément au sein de cette problématique générale : il s'agit de déterminer le niveau d'investissement que nous demanderons à la SNCF ainsi qu'à Réseau ferré de France d'assumer et la partie qui sera financée par l'État.

Par ailleurs, vous avez très justement souligné la nécessité de soutenir les autorités organisatrices de transport, sans alimenter les unes en déshabillant les autres. Je pense que le versement mobilité à l'échelle des intercommunalités est nécessaire et je pense même, à titre personnel, que le fait de mettre en place une ZFE représente une strate et un niveau d'engagement complémentaire qui peut dégager des moyens pour développer des transports en commun.

Le mot de la fin : notre pays ne pèse que 0,9 % des émissions mondiales, mais nous devons agir au quotidien comme si 100 % du réchauffement climatique dépendait de nous. Il faut aussi se rappeler que la diplomatie environnementale est essentielle car plus on conduira des ruptures, plus il faudra pouvoir répondre aux interrogations de nos concitoyens qui se demanderont pourquoi leurs efforts - par exemple d'électrification de leurs véhicules - ne se traduisent pas par une amélioration de la situation climatique globale. Cela suppose de tenir un discours responsable : il ne faut pas parler d'inaction climatique alors que la France fait partie des seuls 20 pays au monde qui ont commencé à baisser leurs émissions ; certes, notre rythme de décarbonation est encore insuffisant, mais il ne faut pas faire croire aux Français que nous ne faisons rien. Il faut également encourager les efforts réalisés par ceux-ci sans quoi nous risquons d'affaiblir notre « équipe de l'écologie ». L'adhésion de la population est un sujet important, sans quoi on perd du temps : cela a été le cas avec la trajectoire carbone car on a oublié de se demander si elle était socialement supportable et territorialement juste. Il faut donc du dialogue et l'union des énergies de tous.

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