Le rapprochement de nos positions risque d'être délicat vu les conditions de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, qui s'est conclu par le rejet de deux parties puis par le recours, à deux reprises, à la procédure prévue au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution.
En première lecture, le Sénat s'est montré fidèle aux principes qu'il défend de longue date : la nécessité d'enclencher le retour à l'équilibre des comptes sociaux et celle d'améliorer réellement le contrôle parlementaire des dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Cette approche nous a conduits à amender substantiellement le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, le Sénat a rétabli la première et la deuxième partie du PLFSS, ce qui était plutôt une bonne chose. Deux différences notables sont à signaler par rapport au texte déposé par le Gouvernement. Nous avons modifié les tableaux d'équilibre de l'article 1er afin de respecter les préconisations de la Cour des comptes ; nous avons ensuite intégré un amendement du Gouvernement augmentant l'Ondam pour 2022 d'un peu moins de 600 millions d'euros, malgré nos nombreuses interrogations - au premier chef celles de Corinne Imbert, rapporteure de branche - sur la justification de cette somme et nos grandes difficultés à obtenir tous les éléments de lisibilité.
Dans la troisième partie, le Sénat a notamment instauré deux contributions. L'une, pérenne, de 300 millions d'euros, est à acquitter par les organismes complémentaires d'assurance maladie ; nous avons l'habitude de faire preuve de détermination à ce sujet. L'autre, ponctuelle, de 250 millions, incombe aux laboratoires d'analyses médicales, en lieu et place des baisses pérennes de tarifs inscrites dans le texte initial.
Le Sénat a également modifié l'article 6 bis de façon à supprimer le principe même du transfert à l'Urssaf Caisse nationale des activités de recouvrement de l'Agirc-Arrco, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (Cavimac). Je peux vous dire que nous avons plutôt entendu des manifestations de soulagement à la suite de cette décision.
Le Sénat a rétabli la rédaction initiale de l'article 8 afin d'accélérer le rattrapage de la fiscalité des cigarettes par celle du tabac à chauffer. Il a complété le dispositif en instaurant diverses taxes comportementales, principalement à vocation préventive, destinées à la jeunesse ; je songe par exemple à l'amendement sur les puffs, qu'il est important de conserver. Nous avons aussi pris des mesures sur les bières aromatisées et sur les messages publicitaires et activités promotionnelles en faveur de produits alimentaires et de boissons trop riches en sucre, en sel ou en matières grasses. C'est une vraie politique de prévention que nous avons ainsi voulu lancer.
À l'article 10, le Sénat a rejeté le transfert de plus de 2 milliards d'euros de charges de l'assurance maladie à la branche famille, conformément à la position que nous avons toujours défendue, y compris l'année dernière.
Enfin, le Sénat a rejeté le rapport constituant l'annexe B en raison du caractère peu réaliste de ses prévisions financières et, surtout, de son absence de stratégie.
Dans la quatrième partie, le Sénat a rejeté l'Ondam pour 2023. Je comprends votre malaise, madame la présidente, car les membres du Sénat ont eux-mêmes eu une hésitation - mais comment ne pas réagir ainsi vu le caractère peu réaliste de l'objectif retenu et, surtout, l'absence de traduction des annonces ministérielles d'une augmentation des crédits, notamment en faveur de la pédiatrie ? Pour résumer les quelques explications que le Gouvernement nous a données, les établissements de santé seraient invités à financer eux-mêmes ces mesures grâce aux sommes qui leur seraient reversées en fin de gestion ! Cela ne nous a paru acceptable ni sur la forme ni sur le fond.
Nous avons adopté plusieurs dispositions visant à améliorer le contrôle des comptes sociaux par les pouvoirs publics : faculté donnée au ministre de refuser une convention médicale qui ne permettrait pas de respecter l'équilibre inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale ; détermination par la loi du montant des subventions versées aux agences et fonds financés par la sécurité sociale ; application d'une clause de retour au Parlement en cas de dépassement de l'Ondam de 1 %. À cet égard, la volonté du Gouvernement, alors même qu'il a inscrit sciemment un faible montant de provisions pour dépenses de crise, de neutraliser le comité d'alerte en 2023 nous a paru inacceptable.
Enfin, à l'initiative du rapporteur René-Paul Savary, le Sénat a ajouté un article donnant un an à une convention nationale pour l'emploi des seniors et la sauvegarde du système de retraite pour formuler des propositions visant à favoriser le maintien des seniors dans l'emploi et à assurer un retour à l'équilibre des comptes de la branche vieillesse d'ici à 2033, tout en prenant diverses mesures de justice sociale. En cas d'échec, des mesures paramétriques entreraient en vigueur en 2024 - recul progressif à 64 ans de l'âge de départ à la retraite, accélération de la réforme Touraine - et les régimes spéciaux convergeraient vers ces paramètres avant le 1er janvier 2033. Ce que nous avons adopté est en définitive assez proche de ce qui devrait être proposé par le Gouvernement, mais nous nous accordons un délai d'un an et nous prenons en considération la question, très importante, de l'emploi des seniors. Le Gouvernement avait émis un avis défavorable sur cet amendement, bien qu'il ait, semble-t-il, hésité à prendre lui-même une initiative semblable.
Voilà, en résumé, les principales différences entre les textes de l'Assemblée nationale et du Sénat. J'en mesure la profondeur - c'est peut-être même un gouffre qui nous sépare. Je forme néanmoins le voeu que, quel que soit le résultat des travaux de la CMP, certaines de nos initiatives soient retenues dans la suite de la navette parlementaire, en particulier les mesures visant à renforcer le contrôle du Parlement ainsi que celles portant sur la fiscalité des produits mis à la disposition de la jeunesse. Sur ces points, je pense que le travail du Sénat a été important et mériterait d'être conservé. Néanmoins, je suis consciente du fait que les conditions d'examen du PLFSS à l'Assemblée nationale pourraient ne pas permettre une discussion de l'ensemble des dispositions dans le cadre d'une éventuelle nouvelle lecture.