Après avoir eu l'occasion de vous présenter la semaine dernière mon analyse concernant les principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2023, nous examinons aujourd'hui les articles de la première partie.
Comme vous le savez, cette année, la partie « recettes » est particulièrement fournie sous l'effet de deux phénomènes très différents. D'une part, la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) que nous venons de voter entre en vigueur avec ce PLF : désormais toutes les mesures concernant les recettes de l'État figurent en première partie, que leur impact concerne l'année 2023 ou non. D'autre part, et peut-être paradoxalement, le recours à la procédure de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, après plusieurs jours de discussion en séance publique à l'Assemblée nationale, a conduit au fait que le Gouvernement conserve un nombre important de mesures présentées par les députés.
Parmi les 111 articles de la première partie, quelques-uns surtout sont d'importance ou retiendront particulièrement notre attention. Je citerai notamment l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu qui, cette année, prend une ampleur toute particulière puisqu'elle équivaut à 6 milliards d'euros. Mais il y a aussi, bien sûr, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), sur laquelle je reviendrai, ou encore la prorogation de la réduction des tarifs d'accise sur l'électricité, qui constitue l'un des pans du bouclier tarifaire et fiscal qui protège actuellement les ménages.
De nombreux articles ont surtout été introduits dans le texte présenté par le Gouvernement lors de l'engagement de sa responsabilité, comme l'augmentation du plafond pour l'application aux petites et moyennes entreprises (PME) du taux réduit d'impôt sur les sociétés (IS), ou encore deux mesures transposant les décisions prises au niveau européen, dans le contexte de forte inflation des prix de l'énergie, et traduites dans un règlement européen : la contribution temporaire de solidarité sur les secteurs de l'extraction, de l'exploitation minière, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie ; et la rente inframarginale de la production d'électricité.
Évidemment, vous le savez tous, le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale contient aussi un article 14 ter qui comporte un nouveau « filet de sécurité » destiné aux collectivités territoriales faisant face à de grandes difficultés en raison de la hausse des prix de l'énergie en 2023.
Au total, je vous propose aujourd'hui 46 amendements, parmi lesquels figure tout particulièrement le report d'un an de la suppression de la CVAE. En effet, je souhaite toujours que soit poursuivie la baisse des impôts de production dans notre pays, alors que ceux-ci représentent encore, en 2022, 5,6 % de la valeur ajoutée des entreprises, soit le niveau le plus élevé d'Europe.
Pour autant, il faut se laisser le temps de faire cette réforme, pour plusieurs raisons.
D'abord, la priorité, actuellement, est de protéger les ménages, les services publics et notre tissu économique contre les ravages de la hausse des prix de l'énergie. L'évolution des tarifs est considérable, et nous connaissons tous, dans nos régions, des entreprises, des établissements agricoles, des collectivités qui se demandent comment elles vont faire pour passer l'hiver et poursuivre leurs activités. Des mesures de soutien aux entreprises face à cette hausse des prix doivent être privilégiées, tout en gardant à l'esprit la forte dégradation de nos comptes publics.
Ensuite, comme souvent, la réforme n'est pas prête. En particulier, le dispositif de compensation n'est pas abouti, les discussions avec les associations d'élus se poursuivent concernant les modalités de territorialisation de la dynamique de la TVA. Il est indispensable de maintenir le lien entre le dynamisme économique des territoires et les ressources fiscales des collectivités territoriales.
Au vu des enjeux majeurs de définition des critères de répartition de la dynamique, la mise en place du nouveau système semble donc prématurée sous peine d'engendrer d'importants effets de bord sur les ressources des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Sans compter que certains sujets essentiels ne sont pas traités, parmi lesquels la question de la métropole du Grand Paris ou celle de l'impact de la réforme dans le calcul des différents indicateurs financiers entrant notamment en compte dans les mécanismes de péréquation.
Sans revenir sur le principe de la suppression de la CVAE et de la compensation définie par l'article 5, je propose de décaler d'un an la mise en place de la réforme, la CVAE serait donc supprimée en deux temps à partir du 1er janvier 2024. Cela permettrait de caler au mieux les conséquences de cette suppression et de concentrer les efforts de l'État sur la protection des acteurs économiques face à la crise énergétique, tout en restant attentif à la situation des comptes publics.
Je propose également une clause de revoyure, en prévoyant que le mécanisme de reversement du fonds national d'attractivité économique des territoires soit défini en loi de finances, et non par un simple décret.
J'indique que je souhaite réserver à la semaine prochaine le vote de trois articles, pour des raisons différentes.
Tout d'abord, il s'agit de l'article 14 ter, relatif au filet de sécurité des collectivités locales confrontées à la hausse des prix de l'énergie. Le dispositif s'adresse potentiellement à toutes les collectivités territoriales : bloc communal, départements, EPCI et régions. Pour pouvoir y prétendre, une collectivité doit satisfaire à trois conditions d'éligibilité : en premier lieu, un critère de potentiel financier ; en second lieu, un critère de perte d'épargne brute en 2023, avec un seuil proposé à 25 % ; et enfin, en troisième et dernier lieu, un critère qui constitue la principale originalité du dispositif. Pour en bénéficier, il faudra que le montant de la hausse en 2023 des dépenses d'électricité, d'énergie et de chauffage urbain de la collectivité au titre du budget principal et des budgets annexes soit supérieur à un seuil fixé à 60 % de la hausse de ses recettes de fonctionnement en 2023.
D'après le chiffrage du Gouvernement, le coût total de ce prélèvement sur recettes (PSR) serait de 1,5 milliard d'euros. Il repose toutefois sur des hypothèses extrêmement fragiles. Il est vrai que nul ne peut, aujourd'hui, prédire la hausse du coût de l'énergie en 2023, mais quand bien même les hypothèses du Gouvernement s'avéreraient parfaitement justes, le coût serait bien inférieur à 1,5 milliard d'euros, et ce pour une raison simple : le texte transmis au Sénat intègre, en deuxième partie, une majoration des crédits de la mission « Écologie » pour financer un « amortisseur électricité », destinée à bénéficier aux entreprises et aux collectivités territoriales. Le coût de ce second dispositif pour les collectivités territoriales serait de 1 milliard d'euros, sur une enveloppe de 3 milliards d'euros.
Ce dispositif, qui doit permettre de limiter les dépenses d'électricité, aura nécessairement un impact sur le filet de sécurité énergie. Contrairement à ce que dit le Gouvernement, les deux dispositifs ne devraient pas conduire à une enveloppe totale dépensée à hauteur de 2,5 milliard d'euros, dans la mesure où l'amortisseur viendra minorer les montants qui seront engagés pour le filet de sécurité.
Compte tenu de ces évolutions très récentes, il m'est apparu nécessaire de vous proposer de réserver notre position sur l'article 14 ter, et de poursuivre nos travaux dans la semaine qui vient, d'autant qu'à la demande du président Larcher, nous avons lancé la semaine dernière une consultation des élus locaux, sur la plateforme dédiée du Sénat, au sujet des conséquences pour leur collectivité ou leur groupement des prix de l'énergie. Une semaine de plus nous permettra peut-être de disposer d'éléments intéressants pour proposer des modifications au dispositif. En particulier, avec l'acompte sur le premier filet de sécurité, nous pouvons déjà avoir un aperçu des collectivités qui en bénéficieront.
Dans cette attente, je suis à l'écoute de vos observations éventuelles. Plusieurs questions de principe doivent en effet être tranchées : quelle enveloppe viser ? Doit-on privilégier de toucher un maximum de collectivités territoriales avec le risque de verser des montants plus faibles de dotation, ou alors mieux cibler pour permettre un soutien plus important ? Une certaine humilité s'impose néanmoins, car, comme je l'ai expliqué, cet exercice de calibrage ne peut reposer que sur des hypothèses très incertaines.
Ensuite, je propose également de réserver l'examen de l'article 18, relatif à la fixation pour 2023 de la fraction du produit de TVA transférée à l'audiovisuel public.
En effet, il s'agit de la première application des dispositions que nous avons votées l'été dernier, avec la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. Aucune réforme n'a accompagné la suppression de cette recette. Le Gouvernement n'a pas bougé, malgré les nombreux travaux sur lesquels il pourrait s'appuyer, comme l'excellent rapport d'information de notre collègue Roger Karoutchi. Je ne comprends pas cette inertie, alors que c'est le parfait exemple de réforme structurelle qui devrait être menée. Aussi, je pense à réduire la dotation allouée dans le cadre de cet article, mais je me laisse encore quelques jours de réflexion et de travail.
Enfin, je m'interroge encore sur l'article 10 octodecies qui porte une demande d'habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour modifier l'article 60 du code des douanes, relatif au droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes. En effet, les dispositions de l'article 60 ont été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans une décision de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de septembre dernier. Au regard des enjeux en matière de conciliation entre, d'une part, la lutte contre la fraude et la recherche des auteurs d'infraction, et, d'autre part, la protection des droits et libertés, il n'est pas sérieux de légiférer par ordonnance. Je souhaite donc vous proposer un dispositif inscrit dans la loi, mais j'ai besoin d'un peu plus de temps pour répondre efficacement aux objections énoncées par le Conseil constitutionnel. C'est donc le troisième article pour lequel je vous propose de réserver notre vote.
Enfin, je vous annonce d'ores et déjà que je vous présenterai également, d'ici à la séance, des amendements permettant de concrétiser les recommandations de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.