Intervention de Isabelle Briquet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « administration générale et territoriale de l'état » - examen du rapport spécial

Photo de Isabelle BriquetIsabelle Briquet, rapporteure spéciale sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État » :

La promesse du réarmement de l'État territorial portée par le Gouvernement trouvera en 2023 une traduction budgétaire d'une ampleur très limitée. En effet, les effectifs du programme 354, « Administration territoriale de l'État », augmenteront de 48 équivalents temps plein (ETP), soit une hausse de seulement 0,16 %. Peut-être est-ce l'amorce d'un changement de paradigme, mais en tout état de cause, il s'agit d'une avancée bien limitée au regard des enjeux considérables de la mission.

Je souhaite aborder, dans un premier temps, les grands enjeux de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. En effet, les préfets sont au coeur de cette réforme et disposent de nouvelles marges d'action, en particulier pour redéployer des emplois entre missions budgétaires. Outre la mission AGTE, plusieurs autres missions budgétaires sont concernées : Agriculture, Écologie, Culture, Travail et Emploi, Solidarités, Économie... Les préfets de région peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, piocher dans ces viviers d'emplois et redéployer jusqu'à près de 2 000 ETP.

Alors que la circulaire permettant les redéploiements prévoit que « sur la base des mouvements effectués en cours d'année, un amendement sera déposé par le Gouvernement à l'occasion du projet de loi de finances de fin de gestion pour traduire le solde des mouvements », aucun amendement n'a été déposé à ce stade.

Je déplore que l'information soit aussi tardive et ne nous permette pas de nous prononcer sur ces évolutions dans de bonnes conditions. Il me semble indispensable de faire évoluer les modalités d'examen par le Parlement de ces redéploiements, en prévoyant une information plus précoce au sein des documents budgétaires.

Par ailleurs, alors que j'avais dressé un certain nombre de constats sur la situation des secrétariats généraux communs départementaux lors de mes travaux de contrôle en juin dernier, les auditions que j'ai menées ces dernières semaines semblent montrer que les difficultés sont loin d'être résolues.

Cette réforme n'a pas été suffisamment anticipée et a placé les agents dans des situations de grande difficulté. Les différents chantiers de convergence sur le périmètre de l'administration territoriale de l'État doivent se poursuivre impérativement pour permettre à ces services de fonctionner dans de bonnes conditions.

Je souhaite également aborder les constats dressés par la Cour des comptes, dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale. La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années « n'ont pas été réalistes » au sein des préfectures, qui « ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services ».

La Cour fait également le constat que « le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. [...] En dix ans, le programme a réalisé un schéma d'emplois cumulé négatif de - 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. » Aujourd'hui on nous propose une hausse de 0,16 %...

Alors que la Cour met en évidence une évolution de la ventilation des schémas d'emplois qui n'a visé qu'à préserver les équilibres historiques, le Gouvernement a annoncé « un rééquilibrage de la répartition des emplois entre préfectures ». Je considère que ce rééquilibrage devra s'opérer en fonction de critères objectifs et transparents. Il est nécessaire que l'évolution de la répartition des emplois entre préfectures résulte davantage des besoins réels des territoires que du pouvoir de négociation des préfets.

Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a mis en place un document stratégique : missions prioritaires des préfectures (MPP) 2022-2025. Ce document porte assez mal son nom puisque, loin de prioriser certaines missions par rapport à d'autres, il se contente de reprendre l'ensemble des missions des préfectures.

Non que je souhaite remettre en cause le caractère essentiel des missions du réseau préfectoral, mais il est nécessaire que l'État clarifie son discours : ou bien les préfectures doivent prioriser leurs missions et à ce titre les missions les moins importantes auront vocation à abonder en moyens et en emplois les missions prioritaires ; ou bien toutes les missions sont d'égale importance et il faut conforter en urgence les effectifs et les moyens des préfectures.

Au sujet de la délivrance des titres, depuis plusieurs mois, les délais d'obtention de cartes nationales d'identité et de passeports atteignent des records inacceptables. Fin mai dernier, une personne souhaitant obtenir un passeport ne pouvait, en moyenne, espérer en disposer avant la mi-septembre.

Si, les services instructeurs des préfectures ont multiplié par 4,5 le nombre de contractuels afin de répondre à cet afflux de demandes, il me semble que les solutions apportées à ce stade ne sauraient suffire, en particulier en matière de déploiement des dispositifs de recueil (DR).

En effet, pour 2023, la situation ne devrait pas vraiment s'améliorer : d'après les projections de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), la hausse des demandes de titres serait structurelle et s'élèvera à 14 millions de demandes à compter de 2023. Les demandes seront ainsi en hausse de 45 % par rapport à 2019, alors que le nombre de DR augmenterait sur la même période, de 17 % en début d'année 2023, et si les 600 DR promis étaient déployés, de 29,5 % en fin d'année.

Même si des mesures sont mises en oeuvre dans le projet de loi de finances pour augmenter la dotation « titres sécurisés » des communes, il me semble indispensable d'augmenter suffisamment les DR pour être en phase avec l'augmentation des demandes... Alors qu'il reste encore beaucoup de demandes en stock, je m'inquiète des délais nécessaires pour revenir à une situation normale.

Par ailleurs, les services en charge de l'accueil et des demandes de titres auprès des publics étrangers sont en grande difficulté. La dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique des étrangers en France (Anef), sont très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.

Lors des précédents exercices, l'Anef m'avait été présentée comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, mais le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation.

En effet, dans la lignée des engagements pris par le ministre de l'intérieur cet été, la consigne a été passée aux services de mobiliser les marges en effectifs dégagées grâce à l'Anef pour améliorer la qualité de l'accueil et du traitement des dossiers.

Par ailleurs, des renforts en contractuels sont prévus. Je regrette ce choix qui laisse craindre qu'une fois l'Anef pleinement opérationnelle, les vacataires ne seront pas renouvelés au-delà de 2024. Alors que la priorité devrait être à consolider des services et à fidéliser des compétences, le Gouvernement fait encore une fois le choix de recourir à des vacataires, ce qui traduit en réalité la volonté de désengager des effectifs pourtant indispensables à la réalisation de ses missions.

Je souhaite évoquer, pour conclure, la situation des intervenants sociaux en commissariats de police et en unité de gendarmerie (ISCG). Ils jouent un rôle majeur pour l'accueil des victimes en situation de fragilité, en particulier les femmes victimes de violence intrafamiliale ou les personnes en situation de handicap. Dans son discours de Nice du 10 janvier 2022, le président candidat Emmanuel Macron s'est engagé à faire passer à 600 le nombre d'ISCG. Ils sont aujourd'hui 420.

Dans les territoires, il revient au préfet de piloter le déploiement de ces intervenants, en mobilisant les financements de différents partenaires : le conseil départemental, les conseils municipaux, mais également des associations. Le préfet dispose pour ce faire des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui lui permettent de donner une impulsion au dispositif : ainsi, le FIPD couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième. Alors que nombre de conventions triennales arrivent à leur terme, et que l'État s'est engagé à conserver à leur issue un niveau minimal de financement de 10 %, il me semble nécessaire de renforcer la prise en charge afin de pérenniser ces emplois.

L'obtention de financements ayant pu être comparée à un véritable parcours du combattant pour les services préfectoraux, il est urgent de simplifier les modalités de financements et renforcer l'engagement de l'État. J'appelle donc à clarifier le régime de financement des intervenants sociaux, en suivant les recommandations d'un rapport de l'inspection générale de l'administration et en le stabilisant à hauteur de 33 % de prise en charge par le FIPD.

Ainsi, pour conclure, même si des évolutions à la marge sont à relever sur le périmètre de la mission, les grandes réserves que j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer les années précédentes ne sont pas levées, et j'émets donc un avis défavorable sur les crédits de la mission.

Je vous proposerai également un amendement visant à supprimer l'article 41 B rattaché à la mission, qui prévoit une demande de rapport évaluant les conséquences budgétaires, pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), de plusieurs évolutions majeures dans le champ de ses attributions. Ainsi, le dispositif propose d'évaluer les conséquences budgétaires de la création d'un droit de communication au profit de la CNCCFP, sur le modèle de celui dont dispose l'administration fiscale, de la possibilité de consulter le fichier national des comptes bancaires et assimilés, de l'habilitation à saisir la cellule du renseignement financier (Tracfin), et de la possibilité d'accéder en temps réel à la comptabilité des partis politiques.

Il apparaît très clairement que le coeur du dispositif concerne l'extension des pouvoirs de contrôle de la CNCCFP, et non pas véritablement les conséquences budgétaires pour la commission de telles évolutions. Ainsi, la CNCCFP, sur son site internet, analyse-t-elle l'amendement comme un pas « vers une évolution des moyens d'enquête du régulateur financier de la vie politique ». Dans ces conditions, une telle demande de rapport ne relève aucunement du domaine des lois de finances.

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