Intervention de Emmanuel Capus

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 novembre 2022 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « travail et emploi » et article 47 - examen du rapport spécial

Photo de Emmanuel CapusEmmanuel Capus, rapporteur spécial :

Je vais pour ma part aborder le second volet de la mission, qui pesait budgétairement bien moins dans la précédente décennie et a pris beaucoup d'ampleur depuis : le financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle.

Présenté de longue date comme la meilleure voie d'insertion professionnelle des jeunes, l'apprentissage a longtemps stagné. Le nombre annuel de contrats conclus a même baissé de 2012 à 2017 avant de remonter nettement en 2018 et 2019, puis de « décoller » à un rythme tout à fait inattendu : 300 000 contrats conclus en 2017, 370 000 en 2019, 530 000 en 2020, 740 000 en 2021 et autant sinon plus en 2022. La progression concerne tous les niveaux de formation, mais davantage les bac+2 ou plus (+ 260 % en 3 ans), que les niveaux bac (+ 70 %) et CAP (+ 35 %).

Au plan strictement budgétaire, ce succès de l'apprentissage s'analyse à trois niveaux.

Premièrement, l'État soutient l'embauche d'apprentis.

Avant 2019 coexistaient différentes formes d'aides budgétaires et fiscales. En 2019, elles ont été simplifiées et remplacées par une aide unique ciblée sur les entreprises de moins de 250 salariés et les diplômes équivalant, au plus, au bac. Puis en juillet 2020, une aide exceptionnelle beaucoup plus large et plus avantageuse est mise en place. Elle concerne toutes les entreprises, y compris de plus de 250 salariés, et les formations allant jusqu'à bac + 5. Cette aide exceptionnelle a certainement joué dans l'essor de l'apprentissage, et le coût budgétaire a bondi de 1,3 milliard d'euros en 2020 à 4,2 milliards d'euros en 2021. Pour 2022, le montant sera certainement du même ordre.

La question d'un nouveau paramétrage de cette aide est aujourd'hui posée avec une certaine urgence. Le projet de budget prévoit une dotation de 3,5 milliards d'euros en 2023, inférieure aux dépenses prévues sur 2022. À ce stade, la définition de nouveaux paramètres est en discussion entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. L'aide exceptionnelle, applicable aux contrats conclus jusqu'au 31 décembre prochain, ne sera pas reconduite telle quelle. Doit-on revenir purement et simplement à l'aide unique d'avant 2020 ? Doit-on diminuer le montant de l'aide actuelle, la cibler davantage sur certaines entreprises ou certains niveaux de formation ? Il me paraît assez sain que ces questions soient d'abord discutées avec les partenaires sociaux, pour faire la part entre de probables effets d'aubaine et les incitations vraiment utiles au maintien de la dynamique actuelle de l'apprentissage.

En tout état de cause, tous les contrats conclus avant la fin de l'année 2022 bénéficieront pour un an de l'actuel régime des aides à l'embauche. L'effet budgétaire d'une révision à la baisse ne se fera sentir qu'à l'échéance des contrats actuels et à la conclusion de nouveaux contrats, c'est-à-dire, en large partie, sur les quatre derniers mois de 2023.

Deuxième aspect budgétaire : les exonérations de cotisations sociales. Plus il y a d'apprentis, plus le « manque à gagner » de la sécurité sociale est important, plus la charge de compensation est élevée pour le budget de l'État. Elle était de 580 millions d'euros en 2019. Pour 2023, la dotation prévue est proche de 1,4 milliard d'euros, soit 800 millions d'euros de plus et une multiplication par 2,4 en quatre ans.

Enfin troisième volet, le plus préoccupant : le soutien de l'État à France compétences.

Créée en 2019 par fusion de quatre organismes préexistants, France compétences est chargée de répartir le versement des contributions à la formation professionnelle et à l'apprentissage aux différents acteurs concernés, principalement les opérateurs de compétences (OPCO).

À sa création, aucun soutien de l'État à cet opérateur n'avait été envisagé. C'était même l'inverse, puisque la loi de 2018 prévoit que France compétences verse des fonds à l'État pour la formation des demandeurs d'emploi. Depuis 2019, et cette année encore, l'État reçoit à ce titre, sur un fonds de concours, 1,6 milliard d'euros par an en provenance de France compétences.

France compétences bénéficie de ressources affectées - principalement la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance - qu'elle redirige pour deux tiers au financement de l'alternance et pour un tiers à celui de la formation professionnelle. Plus de la moitié des fonds de formation professionnelle alimente le compte personnel de formation (CPF). Le produit de ces ressources est de l'ordre de 10 milliards d'euros.

Dès 2020, France compétences s'est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, avec un déficit de 4,6 milliards d'euros. En 2021, malgré une subvention de l'État de 2,7 milliards d'euros, elle a enregistré un résultat négatif de 2,9 milliards d'euros. Pour 2022, le déficit était évalué à 5,4 milliards d'euros, après obtention de 2 milliards d'euros dans la LFR de l'été. Le nouveau soutien de l'État de 2 milliards d'euros, prévu dans le PLFR de fin de gestion ramènerait le déficit autour de 3 milliards et demi d'euros.

Ce déséquilibre a des causes structurelles. Les deux principaux dispositifs financés par France compétences - l'apprentissage et le CPF - constituent des enveloppes ouvertes. Le nombre de places en CFA n'est plus contingenté, chaque contrat d'apprentissage ouvre droit à une prise en charge sur les fonds de France compétences. De même, les droits à la formation professionnelle, désormais monétisés, peuvent être directement mobilisés par les titulaires du CPF.

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