Intervention de François Braun

Réunion du 9 novembre 2022 à 21h30
Financement de la sécurité sociale pour 2023 — Article 21

François Braun :

Je souhaite intervenir sur deux points, si vous le permettez, madame la présidente.

Premièrement, je me suis engagé avant la suspension à vous donner réponse, madame la présidente, ainsi qu’à M. Jomier, concernant les IVG instrumentales et la problématique des dossiers.

Pour être tout à fait précis, cinquante projets étaient budgétés ; seuls vingt dossiers de candidature ont été déposés, dont dix-huit ont été retenus – pour ce qui est des deux autres, qui étaient incomplets, les demandeurs se sont vu adresser un courrier individuel les invitant à les compléter en vue d’une autre vague de l’appel à projets.

L’arrêté du 27 octobre dernier fixe la liste de ces dix-huit établissements de santé autorisés à participer à l’expérimentation. Et nous allons lancer avant la fin de l’année une deuxième vague de l’appel à candidatures afin de donner la possibilité à d’autres établissements de se porter candidats.

Deuxièmement, je souhaite faire une déclaration liminaire sur l’article 22, ce fameux article qui pourrait ouvrir la porte à des mesures de coercition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, écoutez ce que disent les professionnels de santé, et notamment tous les médecins : ne cédez pas aux sirènes de solutions court-termistes et démagogiques, au fantasme de la solution miracle qui émergerait soudain après des décennies d’errance et de turpitudes concernant les déserts médicaux.

Voilà quelques décennies ont été prises par le Parlement de mauvaises décisions, pourtant issues de cerveaux intelligents, des décisions dont les Françaises et les Français paient encore aujourd’hui les conséquences : je veux parler de décisions de régulation de l’offre de soins, donc de régulation du nombre de médecins, ce fameux numerus clausus auquel, je m’en souviens, les professionnels de santé étaient opposés – ils étaient même descendus dans la rue…

Comment pouvait-on imaginer qu’en limitant le nombre de médecins on allait faire disparaître les besoins de santé dans une population que l’on savait déjà vieillissante ? Et pourtant, ceux qui prirent cette décision étaient sûrs d’eux !

L’erreur que vous feriez, en prenant la voie de la coercition – en toute bonne foi, j’en suis certain –, pénaliserait nos concitoyens, comme la précédente, pour les vingt ans à venir, mais aussi et surtout dès l’année prochaine. Car utiliser la coercition et contraindre ou interdire l’installation de médecins libéraux serait au mieux contre-productif et, quoi qu’il en soit, dégraderait certainement encore davantage la situation des déserts médicaux.

Des solutions existent pour lutter contre ces déserts médicaux ; elles sont dans ce PLFSS et dans l’action que je mène et vais continuer de mener. Je vais les exposer brièvement.

Auparavant, sans prétendre être Nostradamus, je peux vous prédire ce qui va se passer si vous décidez de prendre la voie de la coercition : mes jeunes collègues ne choisiront plus la médecine générale ; de peur d’être obligés d’aller travailler où ils ne veulent pas, ils choisiront une autre spécialité. Et, quand bien même ils choisiraient cette spécialité de médecine générale ou dans l’hypothèse où la coercition s’adresserait à toutes les spécialités, ils choisiront un exercice salarié, en ville, sans contraintes, et s’occuperont de moins de patients ou se limiteront, comme cela se fait de plus en plus, à des centres de soins immédiats non programmés, négation de la médecine du médecin traitant.

Comment ferait-on peser sur les jeunes générations seules les erreurs passées ? La pénurie de médecins touchant de nombreux pays, nos jeunes médecins, dont la formation est reconnue au niveau international, quitte à ne pas s’installer où ils le souhaitent, seront tentés d’exercer à l’étranger. La tentation est forte, en effet, et les filières sont en train de se recréer, avec le Canada, l’Allemagne, le Luxembourg ou la Suisse, ainsi que, très récemment, les Émirats arabes unis, qui proposent aux jeunes médecins généralistes un salaire de 25 000 euros par mois.

Nous formerons alors des médecins pour qu’ils partent et nous ferons venir des médecins étrangers. Quelle logique ? Se trouvera-t-il ce soir dans cette assemblée quelqu’un pour me dire qu’il y a trop de médecins sur son territoire, dans sa circonscription ?

Il n’y a pas de solution miracle. Pourtant, mesdames, messieurs les sénateurs, des solutions existent. Il faut avoir le courage de faire les bons choix, des choix d’avenir, des choix susceptibles de refonder notre système de santé dans son ensemble, des choix permettant de voir plus loin que la prochaine échéance.

Redonner du temps médical, du temps pour les soins et pour la prévention, c’est faciliter l’emploi d’un assistant médical, qui permet aux généralistes d’augmenter leur patientèle de 10 % ; c’est favoriser l’exercice pluriprofessionnel, largement plébiscité par la profession – sept médecins généralistes sur dix exercent en groupe – ; c’est favoriser le cumul emploi-retraite ; c’est simplifier les démarches bureaucratiques, chronophages et souvent inutiles.

Promouvoir l’installation dans certains territoires, c’est simplifier cette installation par un guichet unique et faire découvrir ces territoires aux jeunes médecins dans le cadre de la quatrième année, professionnalisante, de médecine générale, mais aussi, dès le début de leurs études, dans le cadre de stages ambulatoires. Que l’on ne nous dise pas que nous manquons de maîtres de stage : nous en aurons 14 000 l’année prochaine !

Faciliter l’exercice médical avancé en favorisant les consultations dans les territoires sous-dotés par des médecins de zones moins démunies, dans cette logique de responsabilité collective, c’est aussi ce que prévoit ce PLFSS, conformément aux travaux de différents groupes, dont le groupe transpartisan de l’Assemblée nationale.

Lutter contre les inégalités d’accès à la santé, et les combattre toutes, qu’elles soient territoriales, financières ou sociales, c’est refonder notre système sur la réponse aux besoins de santé de la population et non plus sur une logique mortifère d’offre de soins.

C’est construire à partir des territoires, avec les Français et les élus, en faisant confiance aux professionnels.

C’est tout sauf une politique coercitive, verticale, en définitive inefficace et même dangereuse.

C’est au contraire l’esprit de cette refondation que nous devons réussir ensemble dans le cadre du Conseil national de la refondation.

Oui, le Gouvernement veut faire confiance aux Français, aux professionnels de santé et aux élus. C’est avec optimisme, mais sans naïveté, que je poursuis cette quête. C’est là tout l’esprit de l’article 22 que nous vous proposons : ce dispositif permet, en cas d’échec, de revenir sur la méthode dans le cadre de la discussion conventionnelle avec les médecins, selon la logique de droits et de devoirs partagée par tous.

Voter la coercition serait céder à la facilité, comme quand en 2003 on a accepté de revenir sur l’obligation de garde, que tant de territoires regrettent aujourd’hui.

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